« Tu laisseras tout ce que tu aimes le plus chèrement ; et c’est la flèche que l’arc de l’exil décoche pour commencer », écrivait Dante dans La Divine Comédie.
Pour la plupart des 65 millions de personnes déplacées dans le monde, la lutte est quotidienne. Après avoir survécu à un voyage périlleux dans l’espoir de débuter une nouvelle vie, comment se reconstruire et s’enraciner dans une terre étrangère ?
Lors des dernières Réunions de printemps, la Banque mondiale a été invitée à réfléchir aux solutions à apporter à la crise mondiale des réfugiés, et notamment aux moyens qui pourraient permettre aux populations déplacées de vivre mieux. À cet égard, la planification et la fourniture de services d’infrastructure occupent une place centrale.
Lorsque le provisoire devient permanent
Les camps de réfugiés sont généralement établis dans le but d’offrir un foyer temporaire aux personnes déplacées. Par conséquent, l’accès à l’énergie y est envisagé sur le court terme. Mais, bien souvent, les réfugiés restent dans les camps nettement plus longtemps que prévu, et leurs besoins dépassent largement les capacités initialement planifiées.
L’infrastructure existante est donc très sollicitée, et ceux qui ont le plus besoin de formes modernes d’énergie n’y ont que peu ou pas accès. Si les solutions humanitaires de court terme ne sont pas viables d’un point de vue économique, les solutions de long terme qui sont proposées trop tôt risquent d’envoyer des signaux politiquement indésirables au pays d’accueil.
D’après un récent rapport de Chatham House (a), neuf réfugiés sur dix vivent dans des camps sans accès à l’électricité et la plupart n’ont pas d’éclairage la nuit. Près de 61 % des ménages vivant à Dadaab (Kenya), le plus grand camp de réfugiés au monde, n’ont qu’une bougie par jour pour s’éclairer. Les habitants du camp de Goudoubo (Burkina Faso) consomment 100 kilos de bois par mois pour cuisiner.
La crise des réfugiés est autant une crise mondiale de l’énergie qu’une crise humanitaire.
En quête de solutions technologiques, de financement et de gouvernance innovantes
Dans un entretien récent (a), le nouvel économiste en chef de la Banque mondiale Paul Romer revient sur le modèle des « villes à charte » (a) pour les pays à faible revenu. Il s’agit, pour un pays, de déléguer l’administration d’une ville à un pays plus développé, permettant ainsi l’émergence d’une charte énonçant des règles de gouvernance. Nous pensons que l’application du concept de « ville à charte » aux camps de réfugiés pourrait fondamentalement transformer ces environnements fragiles. Dans ces espaces, dotés d’un ensemble de normes clairement défini, la population pourrait s’auto-administrer, réorganiser ses ressources et créer des marchés adaptés à ses besoins, ce qui lui permettrait de se développer économiquement.
La durée moyenne du séjour dans un camp de réfugiés étant de 17 ans (a), ne devrions-nous pas considérer sérieusement cette proposition ? Elle pourrait donner aux populations déplacées une chance de se forger de nouvelles racines, de mobiliser des investissements et de créer des emplois durables. Dans l’idéal, et grâce à l’afflux de capitaux privés, non seulement l’aide humanitaire deviendrait moins nécessaire, mais les camps de réfugiés pourraient intensifier leurs échanges commerciaux avec les pays d’accueil, ce qui aurait des retombées positives pour ces derniers.
Pour commencer, ces villes expérimentales devront mettre en place des services énergétiques efficients et de qualité, car l’accès à l’énergie est vital pour les entrepreneurs et les petites entreprises. En outre, des solutions hors-réseau axées sur des énergies renouvelables et des fours à bois moins polluants amélioreront la qualité de l’air dans les camps de réfugiés et réduiront les émissions de gaz à effet de serre. Les financements accordés par les donateurs peuvent inciter le secteur privé à participer à la fourniture des services énergétiques. Le recours à des appels d’offres pour la passation des marchés permettrait de repérer les solutions technologiques les moins coûteuses, tandis que le déploiement de systèmes énergétiques portables (mini-réseaux ou centrales solaires, par exemple), dans le cadre de contrats de bail ou de location-acquisition, aurait pour effet d’atténuer les risques financiers. Et si les installations énergétiques étaient fabriquées et entretenues par les habitants des camps, cela réduirait les coûts et créerait des emplois.
Quelles seront les prochaines étapes ?
D’après le modèle proposé, ces villes devront attirer des entreprises du secteur privé afin d’élargir l’accès à des solutions énergétiques durables grâce à divers produits et services ayant fait leurs preuves et adaptés à des régions éloignées et isolées. Ainsi, les institutions financières internationales (IFI) pourraient apporter leur expertise dans les domaines suivants, par exemple :
- Élaboration de modèles économiques pour des technologies énergétiques durables hors-réseau ;
- Combinaison de financements publics, humanitaires et privés ;
- Mise en œuvre de solutions d’exploitation des données relatives à la consommation énergétique dans les camps et montrant si leurs habitants sont disposés à payer ;
- Évaluation des mécanismes de fixation des tarifs et de recouvrement des coûts ;
- Renforcement des capacités des organisations humanitaires et des responsables des camps de réfugiés.
En partenariat avec les organisations humanitaires, les IFI peuvent offrir divers modèles d’activité et de gouvernance, à la fois novateurs et efficaces, qui permettront aux populations déplacées d’accéder à des solutions énergétiques durables.
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