Publié sur Opinions

Comment un État fragile peut-il recouvrer sa force ? Impressions de Côte d'Ivoire

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ABIDJAN, Côte d’Ivoire. À Abidjan, poumon économique de l’Afrique de l’Ouest, j’ai visité un centre de formation professionnelle. Maniant avec dextérité un système d’ampoules clignotantes, un jeune homme m’a fait une démonstration de ses tout nouveaux talents d’électricien. Puis il m’a confié quelque chose de très important :

« Voilà dix ans que je suis sorti du secondaire avec mon diplôme mais, à cause de la guerre, je n’ai jamais pu travailler. Alors cette formation, c’est une bénédiction pour moi. Mais mes frères et sœurs, comme tellement d’autres gens, n’ont pas eu cette chance. Comment faire pour les aider eux aussi à décrocher un emploi ? ».

Pour ce premier voyage outre-Atlantique en tant que président du Groupe de la Banque mondiale et cette première étape officielle en Afrique, après avoir consacré des années à travailler sur les dossiers de ce continent, le choix de la Côte d’Ivoire m’avait amené à ces réflexions : comment un pays peut-il tourner la page de longs conflits et devenir une économie stable et florissante ? Comment un État fragile peut-il recouvrer sa force ?

Le témoignage de cet apprenti m’a fourni quelques pistes concrètes importantes.

Tout d’abord, pour des pays comme la Côte d’Ivoire, sortie l’an dernier d’une décennie de conflits, le chemin vers la stabilité passe par la création de nombreux emplois (la Banque mondiale a financé le projet de formation de ce jeune homme dans le cadre du programme Emplois jeunes, doté de 50 millions de dollars).

Le second enseignement est le suivant : ici comme partout en Afrique, il faut redoubler d’efforts afin de créer des emplois pour les jeunes. À l’échelle du continent, entre sept à 10 millions de jeunes gens intègrent chaque année les rangs de la population active. Et si le taux général de chômage est partout élevé, celui des jeunes atteint des niveaux insupportables.

Le problème peut sembler insurmontable, amenant certains à affirmer qu’on n’arrivera pas à fournir assez d’emplois par an pour tous ces jeunes. Mais ma visite en Côte d’Ivoire m’a conforté dans l’idée que des changements positifs sont possibles, à trois conditions : avoir des dirigeants politiques déterminés, déployer une stratégie de développement économique pratique et axée sur les résultats et susciter un véritable engagement du secteur privé. La réussite de la Côte d’Ivoire aurait des répercussions majeures sur la région et sur l’ensemble du continent.

Je retiendrais trois moments forts de ce voyage, que je partage ici avec vous :

  • j’ai eu un long entretien avec le président Alassane Ouattara, ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international. Son volontarisme économique fait plaisir à voir : il table sur une croissance à deux chiffres dès 2014 et entend faire de son pays une économie émergente d’ici 2020. Pour ses concitoyens, l’un des tests critiques consistera à faire le pari de la paix, pour s’engager ainsi sur le chemin de la prospérité. Nous sommes l’un et l’autre convenus que, pour ce faire, tous les Ivoiriens doivent tourner la page des hostilités ;
  • j’ai rencontré un groupe de femmes, toutes investies de responsabilités — des avocates, une rédactrice en chef, la patronne d’une coopérative agricole exclusivement féminine et la responsable d’une initiative de femmes en faveur de la réconciliation — pour ce qui s’est révélé être une touchante leçon d’humilité. Elles m’ont dit, et je leur donne totalement raison, que la seule solution pour édifier une économie durable en Côte d’Ivoire consiste à placer les femmes au centre des efforts de reconstruction ;
  • j’ai visité l’Agroparc industriel et pu ainsi découvrir les activités implantées dans le cadre de ce projet : production de noix de cajou, de farine de manioc et de plantes médicinales et fabrication de cuisinières basse consommation. Cette initiative public-privé a largement contribué à rationnaliser le processus de production, en réduisant les coûts et en donnant aux agriculteurs pauvres un meilleur accès aux marchés locaux, régionaux voire internationaux. L’opération, financée par la Banque mondiale, a créé de nombreux débouchés pour les producteurs des zones rurales.

Je suis extrêmement heureux d’avoir pu effectuer cette visite en Côte d’Ivoire, où un dirigeant résolu introduit des changements radicaux et œuvre avec les acteurs privés à relancer l’économie. Nous espérons de tous nos vœux que le processus de réconciliation progressera et que la paix s’installera de manière durable.

J’ai la conviction, en quittant ce pays, que nous devons désormais tout faire pour transposer à grande échelle des projets pilotes dont l’efficacité est désormais avérée. La Côte d’Ivoire y est prête. Le Groupe de la Banque mondiale n’a plus qu’à se mettre en ordre de marche.

 

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Auteurs

Jim Yong Kim

Ancien président du Groupe de la Banque mondiale

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