Publié sur Opinions

COVID-19 : comment faire face à une crise qui frappe les pauvres de plein fouet

Bogotá en Colombie. © Dominic Chavez / Banque mondiale Bogotá en Colombie. © Dominic Chavez / Banque mondiale

Le coronavirus (COVID-19) constitue, par ses conséquences économiques et sociales, une crise mondiale sans précédent dans les dernières décennies. Selon nos estimations, la pandémie pourrait faire sombrer quelque 49 millions de personnes dans l'extrême pauvreté en 2020 (a).

Une grande partie de ces nouveaux pauvres sera concentrée dans des pays qui connaissent déjà des taux de pauvreté élevés, mais les pays à revenu intermédiaire seront aussi fortement touchés. Près de la moitié des personnes qui basculeront dans la pauvreté (23 millions) se trouvera en Afrique subsaharienne, tandis que l’Asie du Sud en comptera 16 millions. Le nombre de personnes vivant sous le seuil d'extrême pauvreté dans les pays aidés par l'Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres, devrait augmenter de 17 millions. Tandis que 22 millions de pauvres supplémentaires vivront dans des pays à revenu intermédiaire. Enfin, on estime que la pandémie plongera dans l'extrême pauvreté 10 millions d'habitants dans les États fragiles et touchés par des conflits .

« Selon nos estimations, la pandémie pourrait faire sombrer quelque 49 millions de personnes dans l'extrême pauvreté en 2020. »

Les suppressions d'emplois, le déclin des envois de fonds des migrants, les hausses de prix et la désorganisation des services d’éducation et de santé sont autant de conséquences des mesures prises pour contenir la propagation du coronavirus.

Si la plupart des ménages ressentiront presque immédiatement ces effets de la pandémie, ils seront probablement plus profonds et plus durables chez les pauvres, car plusieurs facteurs les rendent plus vulnérables :

  • Là où ils vivent. Les pauvres vivent principalement dans les zones rurales. Si cela peut réduire leur exposition à la maladie, cela signifie également qu'ils ont un accès limité aux services de santé. En outre, comme les foyers ruraux dépendent souvent davantage des fonds envoyés par des migrants urbains, l'arrêt de l'activité économique dans les villes leur sera également préjudiciable. Les pauvres des zones urbaines, pour leur part, vivent dans des quartiers surpeuplés où les services sont de piètre qualité, ce qui peut augmenter considérablement leur risque d'être infectés par le virus. Les perturbations des marchés alimentaires pourraient aussi être plus critiques pour les habitants des zones urbaines.
  • Là où ils travaillent. Les pauvres travaillent surtout dans l'agriculture et les services et sont en général indépendants ou employés de manière informelle, principalement dans des microentreprises et des entreprises familiales. Ceux qui travaillent dans le secteur informel des services subiront sans doute plus durement les premiers impacts. Par ailleurs, un grand nombre de personnes vulnérables sans pour autant être pauvres vivent de plus en plus de petits boulots en free-lance et précaires, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire, et risquent donc de basculer dans la pauvreté. Ceux qui travaillent dans l'agriculture devraient, du moins au début, mieux faire face à d'éventuelles ruptures d'approvisionnement ou à une hausse des prix de l'alimentation, mais au fil du temps ils subiront probablement les conséquences de la baisse de la demande dans les zones urbaines.
  • Leur forte dépendance aux services publics, notamment la santé et l'éducation. À court terme, l'accès limité à des services de santé de qualité et abordables risque d'avoir des effets dévastateurs en cas d'infection dans la famille, tandis que les fermetures d'écoles peuvent entraîner une diminution de la ration alimentaire journalière chez les enfants de familles pauvres qui dépendent des programmes d'alimentation scolaire. À long terme, les répercussions des mois de scolarité perdus et de l'interruption des interventions auprès de la petite enfance, des consultations médicales et des services nutritionnels peuvent être particulièrement importantes pour les enfants des familles pauvres, en nuisant au développement de leur capital humain et à leur situation économique future.
  • Une épargne limitée et un manque de couverture sociale. L'absence de filets sociaux adéquats peut contraindre les pauvres à recourir à des stratégies d'adaptation préjudiciables à long terme, comme la vente de biens productifs ou la diminution des investissements dans le capital humain.

L'expérience des pays touchés par l’épidémie suggère que ses effets varient considérablement dans l'espace et dans le temps, les zones urbaines étant les plus touchées dans un premier temps . Les mesures strictes de confinement ont entraîné l'arrêt d'une grande partie de l'activité économique, laissant de nombreux citadins pauvres et vulnérables sans moyen de subsistance. Le risque de perturbation des marchés alimentaires pourrait également être plus élevé dans les zones urbaines et il sera peut-être plus difficile aux familles de faire face à d'éventuelles pénuries ou hausses des prix des denrées alimentaires et d'autres produits de première nécessité.

De même, la capacité des pouvoirs publics à fournir rapidement une aide au revenu aux ménages urbains en difficulté est limitée, car les programmes existants de protection sociale ciblent en priorité les zones rurales. En outre, le soutien aux entreprises ne concernera probablement que celles du secteur formel. Par conséquent, une grande partie des nouveaux pauvres se trouvera probablement dans les villes, tandis que les zones rurales, généralement plus défavorisées au départ, connaîtront une détérioration des conditions de vie et une aggravation de la pauvreté .

« Selon les premières données disponibles pour les pays touchés, les effets de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté et la répartition des revenus se manifestent rapidement, avec des conséquences désastreuses. »

Selon les premières données disponibles pour les pays touchés, les effets de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté et la répartition des revenus se manifestent rapidement, avec des conséquences désastreuses. L'une des premières enquêtes rapides (a) réalisée par téléphone pour évaluer l’impact sur les moyens de subsistance a été conduite dans des zones rurales en Chine. Elle a révélé que dans environ la moitié des villages étudiés, chaque famille avait subi des pertes de revenus de 2 000 à 5 000 yuans (282 à 704 dollars) en moyenne au cours du mois précédent. Les habitants ont été contraints de réduire leurs dépenses alimentaires, ce qui a des répercussions considérables sur la nutrition et le développement du capital humain à long terme.

De même, selon des sondages téléphoniques effectués au Bangladesh (a) en mars, 93 % des personnes interrogées ont subi des pertes de revenus de 75 % en moyenne par rapport au mois précédent, et environ 72 % ont perdu leur emploi ou vu leurs perspectives économiques réduites. En conséquence, le nombre de personnes interrogées vivant sous le seuil de pauvreté national est passé de 35 à 89 %.

Les politiques à mettre en place pour atténuer les effets de la pandémie sur la pauvreté et la répartition des revenus devront s'adapter au contexte et aux circonstances de chaque pays. Néanmoins, les chiffres ci-dessus mettent en évidence des traits communs aux pays concernés :

  • Une réponse efficace en faveur des ménages pauvres et vulnérables nécessitera d'y consacrer d'importantes ressources budgétaires supplémentaires. Il suffit pour s’en convaincre de faire un calcul rapide. Assurer à toutes les personnes vivant dans l'extrême pauvreté — avant et depuis le coronavirus — le versement d'un dollar par jour (soit la moitié environ du seuil international d'extrême pauvreté) pendant un mois coûterait 20 milliards de dollars (à raison de 665 millions par jour pendant 30 jours). Étant donné que les effets seront probablement ressentis aussi par de nombreux ménages non pauvres et que bien des familles auront sans doute besoin d'un soutien pendant beaucoup plus d'un mois, la somme nécessaire pour une protection efficace pourrait s'avérer bien plus conséquente.
  • Tous les programmes de soutien devront rapidement toucher tous les pauvres, actuels et nouveaux. Si les filets sociaux existants peuvent être mis à profit pour verser assez rapidement de l'argent à une partie des personnes déjà démunies, ce n'est pas le cas pour les nouveaux pauvres. En effet, ces derniers auront en général un profil différent, notamment en raison de leur localisation (principalement en milieu urbain) et de leur emploi (la plupart du temps dans les services informels, la construction et l'industrie manufacturière).
  • Les décideurs ont besoin d'informations actualisées et pertinentes sur les conséquences de la pandémie et sur l'efficacité des politiques mises en place. Pour ce faire, on peut exploiter les données disponibles en libre accès pour suivre l'évolution des conséquences économiques et sociales de la crise, en particulier les prix, les niveaux de service et l'activité économique, ainsi que le ressenti des citoyens et les comportements sociaux. En outre, les gouvernements peuvent utiliser les technologies mobiles pour collecter en toute sécurité des données auprès d'un échantillon représentatif de ménages ou d'individus. Les enquêtes par téléphone permettent recueillir des informations sur la santé et l'emploi, la sécurité alimentaire, les stratégies d'adaptation, l'accès aux services de base et aux dispositifs de protection sociale, soit autant de facteurs étroitement liés au risque de s’appauvrir ou de basculer dans la pauvreté.

Le Groupe de la Banque mondiale met tout en œuvre pour aider les pays à répondre à la crise sur tous ces fronts, en fournissant aux gouvernements des données, des conseils stratégiques et des ressources financières afin qu'ils puissent protéger efficacement les familles et les entreprises contre les conséquences sociales et économiques du coronavirus et renforcer la résilience.


VOIR AUSSI : L'actualité du Groupe de la Banque mondiale face à la pandémie de COVID-19


Auteurs

Carolina Sánchez-Páramo

Directrice mondiale de la Banque mondiale pour la pauvreté

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