La sécurisation des titres de propriété est, de l’avis général, un moyen de lutter contre la pauvreté et, quand il s’agit des droits des femmes, de réduire les inégalités entre les sexes . Mais nous manquons d’éléments pour mieux cerner la situation et les interactions en jeu : dans quelle mesure les droits fonciers des femmes sont-ils protégés ou au contraire inexistants, et quel est l’impact précis de cette sécurité ou insécurité sur leur autonomisation ?
Ce constat vaut même pour l’Afrique, qui a pourtant fait l’objet de la plupart des études sur la question, faute de recherches suffisamment solides et nombreuses.
Je me heurte souvent à ce problème dans mes travaux de recherche mais aussi dans mon travail sur le terrain : en l’absence de données factuelles, il est difficile d’aider les populations locales à concevoir des programmes d’enregistrement des terres qui intègrent les femmes. Mon objectif ici est de dresser un état rapide de nos connaissances — et de nos lacunes — sur la situation foncière des femmes en Afrique, en espérant que cela incitera d’autres professionnels du développement à remédier à cette insuffisance de données.
Les droits fonciers des femmes en Afrique sont-ils garantis ?
Pour répondre à cette question, il faut déjà définir la notion de « sécurité foncière » — une entreprise qui peut se révéler délicate puisque les femmes accèdent souvent aux terres par l’entremise de leur père ou de leur mari. Tandis que la plupart des enquêtes auprès de la population se basent sur l’existence d’un document foncier comme critère de la sécurité foncière, les experts sont de plus en plus convaincus qu’il faut aussi mesurer le droit de propriété « ressenti », comme en témoignent les cibles 1.4.2 et 5a des Objectifs de développement durable.
L’une des solutions peut consister à interroger les propriétaires sur leurs craintes de voir leurs terres confisquées par un tiers (voisin ou personnalité venue de l’extérieur). La plupart des femmes en Afrique se heurtant à des obstacles juridiques et culturels pour hériter de terres, il faut aussi demander aux propriétaires s’ils envisagent de léguer leurs parcelles à leurs femmes ou leurs filles.
Une étude approfondie de l’IFPRI montre ainsi que la sécurité foncière objective des femmes est moins solide que celle des hommes à l’aune de différents indicateurs allant de la possession d’un titre de propriété à la participation aux prises de décision.
Mais lorsque l’on s’intéresse à la sécurité ressentie (mesurée par la crainte d’une confiscation), le tableau n’est pas tout à fait le même : selon une recherche que j’ai dirigée (a) en Éthiopie et en Zambie, les femmes chefs de famille éprouvent un sentiment accru de sécurité foncière par rapport à leurs homologues masculins — un constat similaire a été établi au Ghana (a) par mon collègue Markus Goldstein (a).
Bien entendu, les femmes chefs de famille ne sont pas représentatives de l’ensemble des femmes d’une communauté donnée. Les simples comparaisons hommes-femmes ne suffisent pas pour appréhender la question de la sécurité foncière des femmes. Tandis que certaines femmes chefs de famille (veuves ou divorcées) peuvent être plus vulnérables que la moyenne des autres femmes, certaines jouissent parfois d’un statut social supérieur qui leur permet de contrôler leurs terres en toute indépendance.
Les données disponibles suggèrent donc que s’il existe bien des inégalités hommes-femmes en matière de droits fonciers, il faut mesurer le ressenti de ces hommes et ces femmes quant au risque de confiscation et rendre compte de la situation des femmes dans les ménages dirigés par un homme.
Quelles sont les solutions efficaces pour mieux sécuriser les droits fonciers chez les femmes ?
Selon un faisceau grandissant d’éléments probants, l’enregistrement conjoint des biens fonciers améliore la consignation des droits des femmes et, ce faisant, contribue à augmenter la productivité agricole et la sécurité foncière.
En Ouganda par exemple, la Banque mondiale évalue actuellement les efforts du gouvernement (a) pour inciter les époux à procéder à un enregistrement conjoint des terres, y compris à travers des subventions conditionnées à cette démarche et des campagnes de communication ciblées. Tandis que 40 % au moins des ménages se disent prêts à procéder à un enregistrement conjoint en l’absence d’incitations, la proportion bondit à 70 % avec les incitations.
Au Bénin, où les autorités œuvrent à la délimitation des villages et à la certification des parcelles, une autre évaluation de la Banque mondiale (a) a montré l’impact positif de ces relevés sur les disparités entre hommes et femmes en ce qui concerne la mise en jachère des terres (une technique qui préserve la fertilité du sol). Selon des résultats préliminaires, les bénéficiaires sont plus disposés à léguer davantage de terres à leurs filles et épouses, et les perspectives des femmes chefs de famille de conserver leurs terres, même en cas de veuvage, s’améliorent.
On voit donc que la connaissance avance, mais que beaucoup d’interrogations demeurent, qui appellent à collecter davantage de données pour apporter une réponse nuancée (a). Pour tous ceux qui s’emploient à renforcer les droits fonciers des femmes, cette absence de données probantes représente à la fois un défi et une opportunité.
La Banque mondiale a noué des partenariats avec plusieurs pays d’Afrique pour combler ces lacunes à travers des évaluations rigoureuses de l’impact des projets visant à conforter les droits fonciers des femmes — et des hommes — au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Ouganda et au Rwanda. Avec ONU-Habitat, elle met également au point des méthodologies normalisées pour mesurer la sécurité foncière ressentie.
Nous comptons sur vous pour soutenir ces efforts de collecte de données et contribuer ainsi à renforcer la base de connaissances qui permettra d’agir plus efficacement en faveur de la sécurisation foncière des femmes en Afrique et ailleurs.
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