Si la baisse des prix du baril est une aubaine pour les importateurs de pétrole, qu’en est-il des pays producteurs ? Comment s’en sortent-ils face à ce qui semble annoncer, après dix années de prix soutenus, la fin du « supercycle » des matières premières, synonyme de déclin de recettes ? Et, plus généralement, quel sera l’impact pour l’économie mondiale et, surtout, pour les six régions du monde en développement ?
Ces questions étaient au centre d’une table ronde réunissant les principaux économistes de la Banque mondiale le 15 avril, à la veille des Réunions de printemps du Groupe Banque mondiale et du FMI. La discussion, retransmise en ligne et en direct, a été essentiellement consacrée à la difficulté de relancer durablement la croissance mondiale.
Alors que le taux de croissance mondial est relativement stable, à 2,9 %, le premier vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale a qualifié la situation d’« accalmie menaçante ». En effet, « s’il ne se passe pas grand-chose en surface, il y a en profondeur beaucoup de turbulences » et, selon Kaushik Basu, ceci « entraine à la fois des préoccupations mais aussi des possibilités d’amélioration du tout au tout ».
L’effondrement spectaculaire des prix pétroliers et la baisse enregistrée dans ceux des autres matières premières figurent au premier plan des éléments qui pèsent sur la conjoncture mondiale. Les prix du brut ont chuté de 55 %, pour s’établir à 47 dollars le baril au début du mois de janvier dernier. La Banque mondiale avait alors prédit pour 2015 un déclin simultané tout à fait inhabituel des neuf principaux indices des prix des matières premières (a).
« Globalement, la baisse des prix pétroliers fera du bien à l’économie mondiale, car elle va à l’évidence stimuler le PIB », analyse Kaushik Basu. Mais il n’en reste pas moins que des pays pourraient en souffrir.
La croissance devrait tourner en moyenne autour de 3 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, avec toutefois de fortes variations à l’intérieur de la région, a indiqué l’économiste en chef régional Shantayanan Devarajan. La croissance est au rendez-vous dans les pays importateurs de pétrole, qui constituent un tiers des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), tandis que les pays exportateurs accusent un déclin « significatif » de leurs taux de croissance, selon le dernier bulletin d’information économique consacré à cette région. Parmi eux, les quatre pays actuellement en conflit — Iraq, Libye, Syrie et Yémen — enregistreront tous des taux négatifs.
Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour réformer les régimes de subventions au carburant qui prévalent dans la région et qui atteignent dans certains pays 10 % du PIB, a affirmé M. Devarajan, en évoquant une « occasion sans précédent ».
« La région MENA représente 3 % du PIB mondial et 50 % de la totalité des subventions énergétiques » a-t-il souligné. « Je n’ai pas besoin de vous dire qu’au-delà de leur impact sur le budget, les subventions ont toutes sortes d’effets corrosifs : elles sont sources d’embouteillages et de pollution, elles contribuent à épuiser les nappes phréatiques, et des études montrent qu’elles nuisent à la création d’emplois. »
La baisse des prix du pétrole et des matières de premières a affaibli le dynamisme de l’économie en Afrique, où les prévisions de croissance établies par la Banque mondiale pour 2015 ont été ramenées de 4,6 % à 4 %, selon l’économiste en chef régional Francisco Ferreira. D’après la dernière édition d’Africa’s Pulse, cette évolution des cours aura des conséquences négatives sur le commerce extérieur de 36 pays africains, sachant que ces pays concentrent 80 % de la population du continent et 70 % de l’activité économique. Un pays comme le Nigéria, dont l’économie est relativement diversifiée, devrait voir sa croissance repartir dès 2016. En revanche, les pays exportateurs de pétrole à l’économie moins diversifiée, comme l’Angola ou la Guinée équatoriale, vont souffrir plus durablement.
« Bien entendu, a précisé M. Ferreira, les pays qui perdent le plus sont les grands exportateurs de pétrole », qui connaîtront une dégradation des termes de l’échange de 40 % en 2015. Leurs systèmes budgétaires ont essuyé « des chocs très importants » et souffert de la dépréciation de leurs monnaies.
« Ce qui nous préoccupe, c’est l’impact de cette conjoncture sur les pauvres », a insisté M. Ferreira.
L’Europe et l’Asie centrale accusent durement les retombées de la récession en Russie, qui viennent se conjuguer à la baisse des prix pétroliers et au recul du montant des envois de fonds des migrants dans les pays voisins, a résumé l’économiste en chef régional Hans Timmer. La croissance devrait stagner en raison principalement de la perte de vitesse des économies russe et ukrainienne.
« Mais ce n’est qu’une toute petite partie des mauvaises nouvelles », a averti M. Timmer, en soulignant notamment la contraction de 14 % des revenus réels en Russie et le déclin du montant des envois de fonds en provenance de ce pays en raison de la dépréciation du rouble. Ces pertes de revenu s’accompagnent de pressions budgétaires de plus en plus fortes, de suppressions d’emplois dans la construction et d’autres secteurs non marchands, et de problèmes dans le secteur bancaire. Elles entraînent aussi des difficultés au niveau des filets de protection sociale.
C’est l’Asie qui tirera le plus de profit de la baisse des prix pétroliers, et en particulier la région de l’Asie du Sud, sachant que tous les pays qui la composent sont importateurs nets de pétrole. Selon le dernier rapport économique consacré à cette région, l’Asie du Sud, est, parmi toutes les régions du monde, celle qui enregistre à l’heure actuelle l’économie la plus dynamique, et son taux de croissance devrait augmenter régulièrement pour passer de 7 % en 2015 à 7,6 % en 2017.
« La situation est très favorable pour les économies de la région », a indiqué Martin Rama, économiste en chef régional. « Reste à savoir si elle saura en tirer parti pour aller plus loin dans la réforme des prix de l’énergie de manière à pérenniser la croissance. »
La baisse des cours mondiaux du pétrole bénéficiera à la plupart des pays en développement d’Asie de l’Est et du Pacifique, à savoir notamment le Cambodge, le Laos, les Philippines, la Thaïlande et les îles du Pacifique. Les exportateurs de combustibles, dont la Malaisie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, vont subir un ralentissement de leur croissance et une réduction des recettes publiques, d’après le dernier rapport sur l’économie régionale (a).
Selon Sudhir Shetty, économiste en chef pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, « le plus grand risque pour la région c’est que la lenteur de la reprise mondiale s’installe et devienne la norme ».
Enfin, la région de l’Amérique latine et des Caraïbes risque d’être celle qui souffrira le plus de la baisse des cours des matières premières. La croissance y est en grande perte de vitesse depuis 2012, a rappelé Humberto Lopez, directeur-pays régional qui siégeait à la table ronde au nom de l’économiste en chef Augusto de la Torre. Le taux de croissance, qui atteignait près de 5 % en moyenne en 2011, est tombé à moins de 1 % en 2015. Au Brésil, il sera proche de zéro, a souligné M. Lopez.
Le dernier rapport semestriel consacré à cette région indique que le principal facteur de cette décélération de la croissance est extérieur et qu’il réside dans le ralentissement de l’économie chinoise et le déclin des prix des matières premières. Les investissements dans la région, auparavant en plein essor, se sont effondrés, en particulier dans les secteurs du pétrole et des minerais, le plongeon des prix des matières premières s’accompagnant d’une baisse de profitabilité ou d’une aggravation des risques. Alors que la Chine connaît une croissance plus modérée et que les prix des matières premières se stabilisent à des niveaux plus faibles, l’Amérique latine et les Caraïbes devront s’adapter à une « nouvelle normalité », anticipe le rapport.
« Nous sommes dans une situation similaire à celle de la fin des années 90, quand la région n’était pas tirée par le boum des matières premières », a analysé M. Lopez. « Face à la nouvelle normalité, il va falloir réaliser des ajustements budgétaires de grande ampleur. »
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