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Suivi du financement de l’éducation (EFW) 2024 : dépenser plus, avec plus d'efficacité et d'équité

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Suivi du financement de l’éducation (EFW) 2024 : dépenser plus, avec plus d'efficacité et d'équité Un nouveau rapport fait état d’une hausse régulière des dépenses totales d’éducation au cours de la dernière décennie, mais il n’en a pas été de même pour les dépenses par enfant. Copyright : Banque mondiale.

Nous savons que l’éducation est un investissement qui porte ses fruits dans la durée, au profit des individus tout au long de leur vie et pour le bien de la société tout entière. Mais nous n’ignorons pas non plus qu’en matière de financement de l’éducation, le diable se cache dans les détails : pour tirer le meilleur parti de leurs dépenses, les pouvoirs publics doivent investir dans l’éducation de manière appropriée, efficace et équitable.

La dernière édition du rapport de Suivi du financement de l'éducation (EFW), publié par la Banque mondiale et l’UNESCO, fait état d’une hausse régulière des dépenses totales d’éducation dans le monde au cours de la dernière décennie, toutes sources confondues (pouvoirs publics, ménages et donateurs). Mais elle montre aussi que cette augmentation n’a pas donné lieu à une progression conséquente des niveaux de dépenses par enfant, en particulier dans les pays les plus pauvres qui connaissent une forte croissance démographique. De fait, à l’échelle mondiale, les dépenses totales d’éducation par enfant n’ont pas augmenté.

S’il est difficile pour les pays à revenu élevé d’assurer des dépenses d’éducation efficaces, c’est un défi colossal pour les pays à faible revenu, qui sont pris dans un étau. D’un côté, ils savent qu’investir dans l’éducation constitue un facteur important, sinon décisif, pour éradiquer la pauvreté et renforcer la résilience aux crises. De l’autre, en raison même de leur pauvreté, grevés par le fardeau de leur dette et fragilisés par les crises, ils ne sont pas en mesure d’investir autant qu’il le faudrait pour changer leur trajectoire de développement.

La crise des apprentissages et des qualifications ne fait qu’aggraver ce dilemme : les systèmes éducatifs échouent à doter les jeunes d’un socle de bases fondamentales et des compétences nécessaires pour répondre aux besoins du marché du travail, ce qui fait peser sur eux une pression supplémentaire pour relever le niveau des élèves et ponctionne leurs ressources au détriment d’investissements et de réformes plus larges. À tout cela s’ajoutent les répercussions financières persistantes de la pandémie de COVID-19 et l'explosion de la dette mondiale, qui limitent la capacité des pays à investir davantage dans l’éducation.

Le rapport EFW décrit l’état du financement de l’éducation, afin de permettre aux pays, bailleurs de fonds, partenaires et collectivités de prendre des mesures éclairées. Né en 2021, il est le fruit d’une collaboration entre la Banque mondiale, l’équipe du Rapport mondial de suivi sur l’éducation (GEM) et l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU). Ce travail permet de suivre l’évolution des dépenses d’éducation, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire, qui sont confrontés aux difficultés les plus graves. Il examine pour cela les montants consacrés par les pays à l’éducation et la cohérence de ces investissements avec leurs besoins de développement. 

On peut dégager cinq points essentiels de l’édition 2024 (a) :

1. Les dépenses augmentent, mais elles restent insuffisantes pour résoudre la crise des apprentissages, en particulier dans les pays à faible revenu. Les dépenses mondiales d’éducation sont allées croissant dans la dernière décennie, signe d’un engagement fort de la part des gouvernements. Dans les pays à faible revenu comme dans ceux à revenu intermédiaire inférieur, la croissance des dépenses annuelles d’éducation a été plus rapide que dans les pays plus riches. Toutefois, dans de nombreux pays à faible revenu, et y compris parmi ceux qui ont atteint les objectifs de dépenses d’éducation recommandés pour leur niveau de PIB, les niveaux de financement restent trop faibles dans l’absolu pour garantir des apprentissages suffisants chez les élèves. En 2022, les dépenses annuelles par enfant dans les pays à faible revenu ne dépassaient pas 55 dollars (ou 172 dollars en parité de pouvoir d’achat) (voir graphique ci-dessous).


Graphique 1 : Malgré une tendance à la hausse des dépenses mondiales d’éducation dans la dernière décennie, les dépenses publiques annuelles par enfant dans les pays à faible revenu sont insuffisantes pour assurer des apprentissages nécessaires chez les élèves

Les dépenses publiques annuelles par enfant dans les pays à faible revenu sont insuffisantes


a. Croissance des dépenses réelles d’éducation (toutes sources confondues) par groupe de revenu, 2010-2022, 2010 = 100
b. Dépenses publiques d'éducation par enfant d’âge scolaire (en dollars constants de 2022) par groupe de revenu, 2010-2022

 

2. Dépenser plus ne suffit pas sans un souci d’efficacité et d’équité. Bien que les dépenses totales d’éducation aient augmenté depuis 2010, les dépenses par enfant ont globalement stagné du fait des évolutions démographiques. Il existe une corrélation claire entre l’augmentation des investissements financiers dans l’éducation par enfant et l’amélioration des résultats scolaires, en particulier dans les pays à faible revenu. Cependant, les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur ont souvent du mal à allouer efficacement les dépenses d’éducation, ce qui peut en saper les effets. S’ils veulent améliorer l’éducation, les pouvoirs publics doivent assurer une dépense plus efficace, selon des modalités propres à chaque contexte, mais des principes partout les mêmes : renforcer la gestion des finances publiques afin d’allouer des ressources aux programmes présentant le meilleur rapport coût-efficacité ; répondre rapidement aux besoins locaux ; et améliorer la gestion des écoles afin d’optimiser la performance des enseignants et de garantir le meilleur usage des ressources disponibles. L'expérience du Brésil, de la Colombie, de l’Indonésie ou encore de l’Ouganda, par exemple, nous montre qu’il est possible d’améliorer les résultats des élèves grâce à des mesures neutres sur le plan budgétaire, telles que l’octroi d’une plus grande autonomie de dépense aux administrations infranationales (a) et la réduction de l’absentéisme chez les enseignants (a). 

3. Si, en termes absolus, le montant de l’aide en faveur du secteur de l’éducation est élevé, sa part dans l’aide totale au développement a diminué. À l’échelle mondiale, l’aide totale à l’éducation a atteint un niveau record de 16,6 milliards de dollars en 2022, contre 14,3 milliards en 2021, soit une croissance annuelle réelle de 16 %. Néanmoins, la part de l’aide au développement consacrée à l’éducation a diminué, passant de 9,3 % en 2019 à 7,6 % en 2022. En cause, la réorientation des priorités de financement des bailleurs de fonds vers l’énergie, le soutien à l’Ukraine et la santé à la suite de la pandémie de COVID-19. En 2022, l’aide publique au développement représentait 12,2 % du financement de l’éducation dans les pays à faible revenu (contre 13 % en 2021) et seulement 0,29 % du montant total des financements consacrés à l’éducation dans le monde.

4. La dette pèse lourdement sur l’éducation. Au cours des dix dernières années, les paiements des intérêts sur la dette publique des pays en développement ont augmenté plus rapidement que leurs dépenses d’éducation. Certains pays à revenu faible ou intermédiaire inférieur consacrent pratiquement autant de ressources par habitant au service de la dette qu’à l’éducation. Cette situation exige le développement de mécanismes de financement innovants permettant d’alléger l’endettement à court terme (restructurations, conversions de dette au profit de programmes de développement, etc.). Mais, pour garantir l'accès à une éducation de qualité, ces dispositifs doivent s'accompagner dans les pays d’une mobilisation soutenue des ressources intérieures, d’une dépense efficace, d’une gestion saine des finances publiques et d’une croissance économique robuste.

5. Il faut accroître et améliorer les données de suivi disponibles. Alors qu’environ sept pays sur dix publient des données clés sur le financement de l’éducation, l’absence d’informations ventilées par type de dépenses ou par degré d'enseignement rend difficile le suivi du financement de l’éducation. Bien que, pour cette édition du rapport, nous ayons pu avoir accès à un plus grand nombre de données au niveau des ménages (cinq fois plus de points de données en comparaison avec les années précédentes), nous manquons encore cruellement de données post-COVID, en particulier dans les pays les plus pauvres où les montants des dépenses d'éducation à la charge des ménages sont, en termes relatifs, bien plus élevés qu’ailleurs. S’ils ne disposent pas des données nécessaires pour appréhender le problème dans toute sa complexité, les responsables publics auront du mal à trouver des solutions efficaces.

Nous encourageons les pays, les partenaires, les bailleurs de fonds et les collectivités à se saisir de ces conclusions comme un point de départ pour l'action et à améliorer en permanence leurs méthodes de collecte, de notification et d’analyse des données. Tous les acteurs de l’éducation, y compris nos propres organisations, peuvent et doivent donner la priorité au financement de l’éducation et orienter les ressources là où elles auront le plus d’impact. C'est en investissant mieux dans l'éducation que l’on pourra améliorer les acquis scolaires de tous les enfants. 


Luis Benveniste

Directeur du Pôle mondial d'expertise en Éducation de la Banque mondiale

Stefania Giannini

Sous-Directrice générale de l'UNESCO pour l'éducation

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