Alors que je me rendais à la mosquée, je me suis mis à réfléchir aux ressorts de la violence qui sévit dans mon pays. La plupart des conflits durables dans le monde ont pour origine un manque de ressources vitales : de l’eau, de la nourriture, des sols fertiles... La Somalie n’échappe pas à cette règle.
Notre pays compte une large population nomade. Beaucoup sont totalement tributaires du climat au quotidien. De fortes sécheresses interrompues par des inondations dévastatrices surviennent régulièrement. L’eau est aussi précieuse que l’or et il n’est pas rare de prier pour avoir de la pluie.
Le partage des ressources hydriques peut être facteur de solidarité et d’unité, mais aussi synonyme d’effusions de sang. C’est une cause immémoriale de conflit : un simple différend entre deux individus qui se disputent une source d’eau peut dégénérer en violences sanglantes et opposer des clans et des communautés pendant des années. Lorsque les puits et les rivières sont asséchés, chacun mobilise son clan pour obtenir les ressources nécessaires à sa survie.
Marquée par des années de conflit, la population n’était pas disposée à revivre les violences passées. Un chef de clan s’est adressé à son village en ces termes : « Quiconque a vécu cette terrible période sait ce qui s’est passé. Je souhaite ne pas revenir aujourd’hui sur le tribut que nous avons payé. »
Nous avons également eu beaucoup de mal à nous rendre dans les endroits retenus pour les forages. Les routes ne sont pas goudronnées et le relief de ces terres semi-arides est accidenté. Un collègue, qui avait contracté une blessure légère au dos en jouant au football, a déclaré forfait. Il peut s’estimer heureux d’avoir échappé à un trajet de 18 heures, sans eau ni nourriture. Les 4x4, soi-disant conçus pour des conditions tout-terrain éprouvantes, ont néanmoins échoué dans le sable et les rochers. Deux des quatre véhicules ont dû être remplacés.
Pour évaluer nos chances de trouver de l’eau, nous avons dû effectuer des sondages électriques verticaux, fort heureusement concluants. Ces périples avec des ingénieurs étrangers n’ont pas manqué de péripéties. À Towfiq, le patriarche nous a assurés que nous pouvions passer la nuit en toute sécurité dans la cour de l’école. Il nous a suppliés d’utiliser l’eau potable avec parcimonie. Sans réfléchir, l’un des ingénieurs a demandé à prendre une douche. Je lui ai souri et j’ai répondu : « Quand nous serons de retour, inch Allah ! »
À notre arrivée à Rakko-Raaxo, les hostilités avec les clans voisins avaient de nouveau repris. Inquiets de nous voir annuler notre déplacement pour des raisons de sécurité, des représentants des autorités locales, des chefs de clans et des entrepreneurs m’ont appelé. Leur message était clair : « S’il vous plaît, restez, faites votre travail, et nous vous protégerons. » Le lendemain, sous la protection d’un véhicule lourdement armé, que l’on appelle ici un dhashiike, deux milices claniques nous ont escortés dans leur « territoire » et ont travaillé ensemble, pour une fois, à assurer notre sécurité.
Dans les mois qui ont suivi, nous sommes revenus procéder aux forages dans quatre zones touchées par des conflits. Sur le chemin de retour vers Garowe, la capitale du Puntland, nous avons dégusté un thé de Somalie à Libaaxo. Le restant du voyage, nous avons eu une discussion animée à propos de l’essor des constructions à Garowe, des installations sportives et des excellents plats de spaghettis préparés par le restaurant Spaghetti House, un nom certes approprié, mais probablement illégal. La vie est dure ici, mais elle s’améliore de jour en jour.
Le Somalia Stability Fund est un fonds multidonateurs mis en place par Adam Smith International en faveur de la paix et de la stabilité en Somalie.
Crédit photographique : ministère américain de la Défense via Flickr creative commons
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