Publié sur Opinions

En matière de développement, nous n'avons pas à choisir entre les personnes et le climat

Teacher and school children in a classroom in Boesmanland School in Pofadder, Northern Cape Province, South Africa. Teacher and school children in a classroom in Boesmanland School in Pofadder, Northern Cape Province, South Africa.

Le changement climatique est profondément injuste, c'est une évidence.  Les pays les plus pauvres du monde ont le moins contribué aux émissions mondiales, et les habitants les plus pauvres d'un pays en produisent moins que leurs voisins plus riches. Pourtant, ce sont ces mêmes pays et personnes les plus pauvres qui sont les plus vulnérables. Les populations pauvres sont en effet souvent plus exposées aux effets du changement climatique, notamment parce qu'elles vivent dans des endroits sujets aux inondations, travaillent dans des secteurs comme l'agriculture ou n'ont pas accès à une eau et à des installations sanitaires de qualité. En outre, ces personnes disposent de moins de ressources pour s'adapter et investir dans leur protection.  

Avec ou sans dérèglement du climat, il ne fait pas non plus de doute que la hausse des revenus et de la consommation d'énergie (a) est nécessaire dans les pays les plus pauvres, où nombre d'individus ne peuvent satisfaire leurs besoins fondamentaux pour une vie décente. Aujourd'hui, 2,8 milliards de personnes cuisinent avec des combustibles traditionnels et la pollution intérieure qui en résulte provoque des millions de décès, surtout parmi les femmes et les enfants. Par ailleurs, l'accès à la santé, à l'éducation ou aux moyens de transport est bien inférieur à ce qui serait considéré comme acceptable dans les pays riches. La fourniture de ces services doit par conséquent être une priorité. 

Dans ce contexte, la réponse au changement climatique doit être non seulement efficace, mais aussi équitable. Ce double souci d’efficacité et d’équité suppose que l’on ne freine pas le développement et la réduction de la pauvreté dans les pays pauvres. Un développement rapide et inclusif peut atténuer la vulnérabilité des populations au changement climatique, en réduisant potentiellement de moitié le nombre de personnes qui tomberont dans la pauvreté en raison de ces dérèglements d'ici 2030. La priorité accordée par le Groupe de la Banque mondiale au changement climatique ne se fait pas au détriment du développement et de la réduction de la pauvreté  : elle se fonde au contraire sur les risques très concrets que les impacts climatiques font peser sur notre objectif d'élimination de l'extrême pauvreté. 


« Un développement rapide et inclusif peut atténuer la vulnérabilité des populations au changement climatique, en réduisant potentiellement de moitié le nombre de personnes qui tomberont dans la pauvreté en raison de ces dérèglements d'ici 2030. »


 

Pour lutter contre le changement climatique, les pays les plus riches du monde doivent assurément intensifier leurs actions et en faire beaucoup plus.  Mais pour stabiliser la situation, tous les pays — y compris ceux à revenu faible et intermédiaire — devront contribuer à ramener à zéro les émissions nettes mondiales de dioxyde de carbone. Si les pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure optent pour le maintien du statu quo alors que le reste du monde s'engage sur une trajectoire nette zéro, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) s'établiraient encore autour de 20 gigatonnes d'équivalent CO2 en 2050, soit 40 % des émissions actuelles. Quelles seraient les conséquences ? D'une part, la transition sera beaucoup plus difficile pour ces pays : les impacts climatiques seront beaucoup plus importants et les coûts de transition de leurs économies et de réduction des émissions seront plus élevés après 2050. D'autre part, les températures mondiales augmenteront bien au-delà de 2,5 °C, et des répercussions climatiques significatives seront dès lors inévitables.

Pour les pays et les décideurs qui se demandent si la transition est possible aujourd'hui, voici une bonne nouvelle : il existe de plus en plus de données qui prouvent que l'action climatique ne menace pas la croissance économique.  En fait, bon nombre des arbitrages du passé, lorsque les solutions plus écologiques étaient très coûteuses, n'ont plus lieu d'être, ce qui ouvre des perspectives sans précédent pour la croissance verte.


« Pour les pays et les décideurs qui se demandent si la transition est possible aujourd'hui, voici une bonne nouvelle : il existe de plus en plus de données qui prouvent que l'action climatique ne menace pas la croissance économique. »


  

Aujourd'hui, dans la plupart des pays, il est possible d'améliorer l'accès à l'énergie en utilisant des sources renouvelables, telles que l'éolien et le solaire. Leurs coûts ont chuté au cours de la dernière décennie, ce qui en fait non seulement des options moins onéreuses que le gaz naturel et le charbon (a) dans la plupart des endroits du monde, mais aussi les sources d'énergie les moins chères de l'histoire. Si l'on tient compte des coûts environnementaux et sociaux à l'échelle locale de l'extraction des combustibles fossiles et de la dépendance à l'égard des importations de ces produits, la comparaison est encore plus frappante. Des études empiriques sur le Mexique, l'Indonésie (a) et Oman (a) ont montré que les subventions aux combustibles fossiles — et donc la dépendance à l'égard d'une énergie artificiellement bon marché — ont un impact négatif sur la productivité.

Les politiques climatiques et toutes celles qui sont plus globalement de nature environnementale contribuent à la croissance économique en agissant sur quatre leviers :

Le renforcement du capital humain, en rendant les individus plus productifs et créatifs parce qu'ils sont en meilleure santé et mieux éduqués. De nombreuses actions visant à réduire les émissions de GES ont des retombées positives grâce à la baisse de la pollution atmosphérique et, plus généralement, à un meilleur environnement. Non seulement nous sommes tous moins productifs quand la qualité de l'air est mauvaise, mais la pollution de l'air peut affecter de façon permanente le développement physique et cognitif des enfants, avec des répercussions sur leur épanouissement et leurs perspectives économiques tout au long de la vie. C'est pour ces raisons que la loi sur la qualité de l'air de 1970 aux États-Unis a non seulement permis d'éviter des centaines de milliers de décès prématurés, mais qu'elle a aussi été à l'origine d'avantages économiques substantiels (a). Selon une étude réalisée en Chine (a), la réduction des particules PM2,5 à 25 µg/m3 à l'échelle nationale augmenterait la productivité de 4,5 %. Une autre étude menée en Israël (a) a révélé que l'exposition transitoire aux PM2,5 est associée à une baisse significative des résultats scolaires.

Le renforcement du capital naturel, en s'appuyant sur les services que la nature nous rend. La production alimentaire et l'accès à l'eau potable dépendent de la santé des sols et des écosystèmes. La gestion ou la restauration des paysages peut donc faire plus que réduire les émissions de carbone : elle peut également générer davantage de revenus pour les agriculteurs (a) et faire baisser le prix des denrées alimentaires. Par ailleurs, les forêts et les mangroves ne font pas que stocker du carbone : elles réduisent aussi les risques d'inondation et soutiennent les moyens de subsistance. Plus tôt chaque pays prendra conscience des atouts de ce capital naturel pour les évaluer et les gérer convenablement, mieux ce sera pour nous tous, car la préservation des services écosystémiques procurera des avantages économiques (a) et environnementaux, au nombre desquels la stabilisation du changement climatique.

Le renforcement des mutations technologiques et l'accroissement de la productivité. Le fait de favoriser les technologies propres finit par les rendre capables de concurrencer celles qui polluent — c'est ce qu'on appelle souvent l'hypothèse de Porter (a). Aujourd'hui, non seulement l'électricité solaire et éolienne est moins chère que celle d'origine fossile, comme nous l'avons mentionné plus haut, mais elle est également plus adaptée pour alimenter les zones faiblement peuplées et très pauvres que les technologies à base de combustibles fossiles n'ont pas réussi à atteindre. Les pompes à chaleur sont elles aussi beaucoup plus efficaces (a) que les chaudières traditionnelles et elles offrent une protection contre les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes. Enfin, le coût du cycle de vie des véhicules électriques devient équivalent à celui des voitures classiques, et ces véhicules réduisent la pollution de l'air et la dépendance à l'égard des importations de pétrole. De même, le vélo électrique ouvre de nouvelles perspectives pour lutter contre les embouteillages et la pollution dans les villes, et ce à tous les niveaux de revenus.

Le renforcement de l'efficacité pour obtenir plus avec moins. Faire en sorte d'améliorer l'efficacité de systèmes économiques peu performants — notamment en corrigeant des externalités fréquentes à l'échelle locale — est plus favorable à la croissance que l'accumulation des facteurs de production. On sait bien que des prix faussés — du fait des subventions aux combustibles fossiles ou à l'eau par exemple — augmentent les émissions de GES, la pollution et la dégradation de l'environnement, mais qu’ils entraînent aussi une mauvaise répartition des ressources et une moindre croissance (a). La combinaison de mesures de planification urbaine, de marchés fonciers fonctionnels et d'investissements dans les transports en commun et les pistes cyclables peut réduire les émissions, tout en favorisant des villes productives, essentielles pour créer les emplois urbains dont tant de pays ont besoin. Ces investissements dans des institutions et une gouvernance améliorées ne risquent pas de nuire au développement et, au contraire, des institutions efficaces sont au cœur de la croissance économique et du développement (a).

Les institutions, les réglementations et les infrastructures actuelles ne permettent toujours pas d'exploiter tout le potentiel de technologies plus productives et moins chères, comme les énergies renouvelables ou la mobilité électrique. Des réformes ou des investissements ciblés peuvent aider à saisir ces opportunités, qu'il s'agisse de mini-réseaux solaires dans les zones rurales ou de vélos électriques dans les villes surpeuplées. Ce sont aussi des moyens d'accélérer la réduction de la pauvreté, y compris dans les régions les moins avancées qui n'ont guère profité de la croissance économique mondiale au cours des dernières décennies.

La bonne question n'est pas de savoir si l'action climatique favorise ou compromet la croissance. La réponse à une question aussi abstraite sera toujours « cela dépend », sachant que la conception des politiques climatiques est essentielle. Par exemple, une grande méta-analyse de l'impact des réglementations environnementales sur la compétitivité (a) indique que ces réglementations peuvent tout autant augmenter la productivité que la diminuer, selon le contexte. Une étude sur les pays de l'OCDE (a) suggère également que ces réglementations favorisent la croissance, jusqu'à un certain niveau d'exigences dont les coûts finissent par surpasser l'impact de la politique sur l'innovation. Enfin, on sait aussi que l'effet distributif de la réforme des subventions énergétiques ou de la tarification du carbone dépend de la manière dont les recettes sont utilisées (a) : soit pour réduire d'autres taxes, soit pour financer des services publics, soit pour les redistribuer directement à la population. La bonne question à se poser est donc plutôt de savoir quelles politiques climatiques peuvent accélérer le développement et la réduction de la pauvreté, et comment nous pouvons aider les pays à limiter et à gérer les arbitrages inévitables. 


« La bonne question à se poser est donc plutôt de savoir quelles politiques climatiques peuvent accélérer le développement et la réduction de la pauvreté, et comment nous pouvons aider les pays à limiter et à gérer les arbitrages inévitables. »


  

La transition vers une économie à faible émission de carbone et résiliente ne sera pas aisée. Il faudra améliorer considérablement l'accès des pays en développement aux capitaux nécessaires pour investir dans des infrastructures bas carbone et résilientes. L'intensité capitalistique plus élevée des technologies vertes, combinée aux contraintes des finances publiques après la pandémie de COVID-19, complique sans aucun doute la réalisation de ces investissements. Pour cela, le soutien financier des pays les plus riches est essentiel et doit progresser au-delà des niveaux actuels.

Aujourd'hui, le principal risque pour les pays à faible revenu n'est pas de se voir refuser l'accès à des technologies obsolètes, coûteuses et polluantes, mais de se voir refuser l'accès aux technologies plus récentes, plus propres et plus productives du 21e siècle, donc d'être déconnectés des chaînes de valeur mondiales et prisonniers de technologies sans avenir. En adoptant directement les meilleures technologies disponibles, ces pays bénéficieront des investissements antérieurs des pays riches et éviteront le processus coûteux de modernisation ou remplacement  que les pays à revenu élevé devront supporter au cours des prochaines décennies.

En dépit de son caractère injuste, tous les pays seront en butte à la crise climatique. Il nous appartient d'aider les pays à revenu faible ou intermédiaire à faire le meilleur usage possible des technologies , des innovations et des outils du 21e siècle pour stopper le changement climatique et se préparer à ses pires conséquences. Agir ainsi, c'est tout simplement bon pour le développement. 


Auteurs

Stéphane Hallegatte

Conseiller senior sur le changement climatique, Banque mondiale

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