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La question des déplacements forcés a longtemps été considérée comme relevant de l’humanitaire. Mais avec le nombre sans précédent de personnes déplacées contre leur gré, de plus en plus de voix appellent les acteurs du développement à s’impliquer.
L’envergure et la nature même du problème viennent mettre en exergue la nécessité d’un tel engagement. Il y a environ 60 millions de personnes dans le monde qui ont dû fuir à cause de violences et de violations des droits humains, qu’il s’agisse de réfugiés, qui ont franchi une frontière internationale, ou de personnes déplacées au sein de leur propre pays. Ces gens passent bien souvent des années, voire des décennies, loin de chez eux, avec peu de perspectives sur le plan économique. Et cela a des retombées indirectes sur un nombre encore supérieur de personnes, particulièrement dans les pays d’accueil, au niveau national aussi bien que local.
Alors, que pouvons-nous faire, nous, acteurs du développement ? Qu’implique une approche de développement, et en quoi diffère-t-elle des modes de fonctionnement traditionnels et des approches humanitaires ?
L’implication des acteurs du développement repose sur la reconnaissance que les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays diffèrent, par leur nature et leurs besoins, des populations pauvres en général, et que les communautés locales qui les accueillent diffèrent aussi des autres communautés. Si tel n’était pas le cas, les mécanismes habituels de lutte contre la pauvreté seraient suffisants, et il n’y aurait pas besoin de programmes spécifiques pour gérer les déplacements forcés de populations. Il en résulte donc que l’objectif des acteurs du développement doit être d’éliminer graduellement ces différences et de normaliser la situation socioéconomique des personnes déplacées et de celles qui les accueillent.
Prenons quelques instants pour réfléchir aux implications de cette vision. Les « solutions durables » traditionnelles aux déplacements forcés consistent à favoriser le retour dans le pays ou la région d’origine, l’intégration dans le pays ou la communauté locale d’accueil, ou le déplacement vers un autre pays.
L’objectif que nous suggérons pour les acteurs du développement est fondamentalement différent, même s’il n’est pas incompatible. Il ne concerne pas le lieu où la personne se trouve, mais plutôt les besoins spécifiques qu’elle est susceptible d’avoir.
Par exemple, un Pachtoune d’Afghanistan qui vit dans le nord-est du Pakistan depuis 1979 et qui est parfaitement intégré à la société locale continuera à être considéré comme un réfugié dans une optique traditionnelle et sur le plan juridique, mais ne sera pas forcément, pour les acteurs du développement, une personne à traiter différemment que les autres pauvres de la communauté au sein de laquelle il vit.
Inversement, un réfugié du Burundi qui s’est vu accorder la citoyenneté tanzanienne ne sera plus considéré, dans une optique traditionnelle et sur le plan juridique, comme une personne déplacée contre son gré, mais il pourra toujours « relever de la compétence » des acteurs du développement s’il continue à faire face à des difficultés spécifiques découlant du fait d’avoir dû fuir son pays.
Qu’est-ce qui différencie les personnes déplacées des pauvres dans leur ensemble ?
Pour dire les choses simplement, les réfugiés et les déplacés au sein de leur propre pays sont particulièrement vulnérables justement à cause du déplacement forcé qu’ils ont connu. Ils ont subi une perte d’actifs soudaine et souvent catastrophique. Ils doivent faire face à des difficultés d’ordre psychologique, notamment parce qu’ils doivent gérer toutes les incertitudes liées à leur situation « temporaire », ou parce qu’ils ont été confrontés directement à des violences traumatisantes. Ils atterrissent souvent dans des endroits où ils n’ont aucune perspective et peu d’opportunités économiques, et leur statut juridique ne leur donne parfois même pas le droit de travailler. Les acteurs du développement devraient se fixer pour principal objectif de limiter l’impact de ces vulnérabilités spécifiques.
Qu’en est-il des communautés d’accueil ?
Les communautés locales connaissent un véritable choc démographique lorsqu’elles sont confrontées à un afflux massif de population. Cela provoque un déséquilibre entre l’offre et la demande sur un certain nombre de marchés (notamment dans les services et l’emploi), avec des domaines qui connaissent un excès de demande et d’autres un excès d’offre. Un appui extérieur pourrait contribuer à « lisser » cet ajustement, ce qui serait plus facile si on laissait les mécanismes de marché (y compris les mouvements secondaires vers d’autres pays) s’appliquer aux réfugiés et déplacés.
Avec ce genre de processus, il y aura des gagnants et des perdants, ce qui devra être géré avec soin. Cela pourrait aussi exacerber des tensions préexistantes, notamment en lien avec la composition ethnique des populations, ce qui viendrait encore aggraver la fragilité des pays d’accueil. Les acteurs du développement devront apporter une assistance spécifique pour limiter les effets à court terme de ces chocs et s’efforcer de transformer cet afflux de populations en avantage sur le moyen terme.
Il est essentiel de trouver une approche efficace face à la crise des déplacements forcés de populations, car ça n’est qu’à ce prix que le Groupe de la Banque mondiale parviendra à atteindre son double objectif de mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée, et que la communauté du développement pourra atteindre les Objectifs de développement durable qu’elle s’est fixés. Et, pour commencer, il nous faut identifier clairement les objectifs qui sont les nôtres.
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