Publié sur Opinions

Au-delà de l’aide humanitaire : favoriser l’autonomie économique des réfugiés en misant sur l’esprit d’entreprise

Two men at detergent factory Two men at detergent factory

52 degrés dans le camp de réfugiés de Markazi, au nord de Djibouti. Sous une chaleur de plomb, une Yéménite sert des plats qu’elle vient de cuisiner dans un four qu’elle a elle-même fabriqué. Elle tient un restaurant sous un toit en tôle ondulée que son mari a achetée à Djibouti-ville, à quatre heures de route du camp. Parmi ses clients, un autre réfugié et son fils qui dirigent une petite activité de transport dans la ville voisine.

Cela se passait lors de ma dernière visite à Obock, mais le phénomène est courant dans le monde entier : des personnes contraintes de quitter leur foyer ou leur pays et qui, dans des conditions de vie éprouvantes, parviennent à créer des entreprises et des emplois, pour leur bien et celui de leur communauté locale. Loin des clichés qui ne voient en eux qu’un poids pour la population d’accueil et des bénéficiaires passifs de l’aide humanitaire, les réfugiés sont aussi des entrepreneurs, et les entreprises qui fournissent des services ou des emplois aux réfugiés, des opportunités d’investissement. C'est ce que démontrent deux nouvelles études de la Banque mondiale, réalisées dans le cadre de son initiative Private Sector for Refugees (PS4R) (a).

Ces travaux décrivent comment les réfugiés contribuent au dynamisme des marchés, en particulier dans les contextes de fragilité, de conflit et de violence, où l’économie est mise à rude épreuve. Lorsque le cadre juridique le permet, ils peuvent devenir créateurs d’emplois, employés, clients et cibles d’investissement qui alimentent la croissance économique et développent le secteur privé.

Investir dans des entreprises faites par et pour des réfugiés

Investir dans des entreprises en lien avec des réfugiés est l’un des moyens de favoriser l’inclusion économique de ces populations.  Dans Refugee-Related Investment: Myth or Reality?, nous montrons que ce type d’investissement à impact suscite un intérêt croissant. Les investisseurs y voient un moyen de permettre aux réfugiés de se prendre en charge, d’améliorer le bien-être des communautés d’accueil et de stimuler la croissance économique, tout en engrangeant des dividendes. Beaucoup d’entre eux comptent encore sur des subventions qui compensent les risques. Des approches de financement mixte, combinant subventions et capitaux privés, sont actuellement mises à l’essai en vue de tester leur efficacité et leur déploiement à plus grande échelle.

C’est le cas d’idacapital (a), une entreprise de gestion d’investissements qui a pour objectif de soutenir les micro-entrepreneurs réfugiés et migrants en Turquie via un fonds de capital-risque et la plateforme de financement WorqCompany. En Jordanie, le Fonds pour les start-up et les PME innovantes (ISSFJO) (a) promeut la création d’emplois pour les jeunes et le développement entrepreneurial tout en mettant l’accent sur le potentiel de croissance des produits fabriqués par les réfugiés. Présent dans plusieurs régions du monde, le Fonds d’investissement pour les réfugiés de Kiva Capital Management (KRIF) (a) a recours au financement participatif pour prêter des fonds aux réfugiés. En Amérique latine, Andean Capital (a) investit dans l’immobilier dans le cadre d’un programme de logement subventionné destiné aux citoyens colombiens à faible revenu et aux immigrés vénézuéliens. Au Kenya, le Kakuma Kalobeyei Challenge Fund (a) d’IFC finance et soutient l’arrivée ou le développement d’entreprises au sein et autour d’un camp de réfugiés. Plusieurs organisations partenaires de l’initiative PS4R, comme le Refugee Investment Network (a), s’efforcent d’intégrer la question des réfugiés dans leurs fonds d’investissement et instruments de placement. Cela dit, l’intérêt pour le potentiel que représentent les réfugiés est encore balbutiant, sachant que les possibilités de placement attractives restent difficiles à trouver dans les pays fragiles, et que les investisseurs doivent surmonter quantité d’obstacles.

L’entrepreneuriat comme voie d’inclusion durable

Dans une autre publication, intitulée Advancing Refugee Entrepreneurship: Guidelines for the Private Sector, Governments, and the Development Community (a), nous montrons que les réfugiés sont loin d’être un fardeau pour les populations qui les accueillent ; au contraire, ils peuvent être des entrepreneurs prospères , capables d’apporter avec eux de nouvelles pratiques commerciales et connaissances, de nouveaux marchés et réseaux d’affaires, et de créer des emplois.

Comme en Jordanie, où des réfugiés syriens ont monté une usine de fabrication de produits ménagers et d’hygiène, Sigma Detergent (a), devenue désormais une entreprise exportatrice florissante. Ou encore, au Cameroun, où Zainabou Abou, arrivée comme réfugiée en 1995 après avoir fui les violences qui sévissaient en République centrafricaine, a lancé une activité d’artisanat, puis ouvert une école, où elle a formé et employé à ce jour une centaine de personnes issues de la population locale ou réfugiée. Cette multi-entrepreneuse m’a raconté comment elle s’est ensuite tournée vers d’autres activités, en s’engageant notamment dans le secteur du poisson congelé. Elle crée aujourd’hui des emplois sur toute la chaîne d’approvisionnement, de la pêche à la distribution, en passant par la congélation, l’entreposage et la vente. Syrien réfugié au Canada, Tareq Hadhad relate en préface de l’étude un parcours d’entrepreneur similaire. À la tête de Peace by Chocolate (a), il montre comment les réfugiés qui créent une entreprise commencent souvent modestement, puis embauchent progressivement d’autres réfugiés comme eux ou des résidents locaux au chômage et vulnérables, favorisant ainsi l’inclusion sociale. Ces démarches individuelles doivent être encouragées par un écosystème entrepreneurial inclusif. Plusieurs réseaux d’incubateurs, comme SINGA (a), s’y emploient, en accompagnant pas à pas les réfugiés dans leur cheminement vers l’entrepreneuriat. Ces écosystèmes peuvent en outre permettre un rebond plus rapide en période de crise. En Pologne (a), entre le début de l’invasion de leur pays et juin 2023, les réfugiés ukrainiens ont fait enregistrer 29 400 entreprises individuelles (en polonais). Ce chiffre représente 10 % de la totalité des créations d’entreprises individuelles au cours de cette période, ce qui témoigne de l’immense contribution des entrepreneurs réfugiés à l’économie locale.

La crise mondiale des réfugiés nécessite de nouveaux outils

La crise mondiale des réfugiés s’intensifie, avec 108,4 millions de personnes déplacées dans le monde (a). Elles pourraient être jusqu’à 216 millions d’ici 2050, parce que les conflits, l’instabilité, la raréfaction des ressources et les chocs climatiques vont probablement s’aggraver dans les prochaines décennies. Les études menées dans le cadre de l’initiative PS4R montrent aux gouvernements, au secteur privé et aux partenaires de développement qu’il est possible d’affranchir les réfugiés de l’aide humanitaire et de les accompagner vers l’autonomie et l’inclusion économique. Nous vous invitons à lire nos dernières publications ou à vous inscrire à notre nouvelle formation en ligne (a) gratuite. Vous en saurez plus sur les enjeux de l’intégration économique des réfugiés par le secteur privé et sur le rôle que peuvent jouer les entreprises, les pouvoirs publics et la communauté du développement. 


Auteurs

Benjamin Herzberg

Spécialiste senior du développement du secteur privé, Banque mondiale

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000