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Oriana Bandiera, Greg Fischer, Andrea Prat et Erina Ytsma répondent à cette question dans une nouvelle étude (a) très intéressante. Mais avant de donner la réponse (et puisque c’est aujourd’hui la Journée internationale des femmes), il convient de s’interroger sur la raison même de cette question.
Bandiera et al. motivent leur questionnement en soulignant l’existence d’un certain nombre d’aspects psychologiques suggérant que les femmes réagissent différemment des hommes aux incitations. Le premier est l’aversion au risque. De nombreuses études ont conclu que celle-ci est plus prononcée chez les femmes que chez les hommes, en particulier quand elles étaient menées dans un cadre expérimental (voir par exemple l'article [a] publié en 2012 par Charness et Gneezy sur l’aversion au risque financier). Donc les personnes les plus prudentes ne seront peut-être pas aussi intéressées par les primes de performance, qui risqueraient d’accroître la variabilité de leur revenu.
Le deuxième aspect est la confiance. De multiples expériences ont démontré que les hommes ont en général une plus grande confiance en eux que les femmes (voir par exemple la revue de la littérature [a] de Croson et Gneezy). Et les individus qui manquent de confiance en soi seront probablement moins enclins à expérimenter de nouvelles méthodes pour améliorer leur performance, ce qui pourrait pourtant améliorer leur rémunération.
Troisième aspect : l’altruisme. Les expériences sous forme de jeu tendent à démontrer que les femmes ont un comportement plus altruiste que les hommes (voir Cronson et Gneezy, déjà cité, ou le chapitre [a] de Bertrand dans le Handbook of Labor Economics). Ainsi, selon Bandiera et al., les femmes ont déjà tendance à intérioriser davantage et faire leur le souci de bonne santé de leur entreprise, et des primes supplémentaires n’auraient pas un grand impact sur leur performance.
Enfin, le quatrième aspect est l’esprit de compétition. Il semble que les femmes ne font pas preuve d’un esprit de compétition aussi développé que les hommes (voir les revue de la littérature ou les intéressantes différences interculturelles dans l’étude de Gneezy, List et Leonard [a]), mais ce n’est pas toujours vrai — par exemple, une étude expérimentale (a) à laquelle j’ai participé en Ouganda n’a révélé aucune différence entre les adolescents et les adolescentes.
En somme, tout cela porterait à croire que les femmes sont moins sensibles que les hommes à la rémunération basée sur la performance. Bandiera et al. décident d’approfondir la question et de rassembler toute une série d’études pour vérifier la validité de cette hypothèse. Les auteurs piochent dans les études publiées et différents documents de travail à la recherche de travaux comparant au moins deux niveaux plus ou moins élevés d’incitations (pécuniaires). Ils restreignent pour cela leurs recherches aux études (expériences de terrain et en laboratoire) qui exigent un véritable travail et un résultat tangible (et qui ne reposent donc pas sur des hypothèses). Ils excluent nombre d’études, dont celles portant sur des incitations sous forme de distinction et de primes d’équipe, ou les études comparant des structures d’incitation différentes (par exemple rémunération à la pièce/système de tournois).
Ils sélectionnent finalement 37 études et commencent à rechercher les différences entre les sexes. Mais certains des travaux retenus n’abordent pas cet aspect. Bandiera et al. ont donc besoin des données correspondantes (on verra plus loin que cet aspect est important compte tenu de leur méthode). Ils parviennent finalement à collecter les données de 16 articles portant sur 18 expériences. Cette échantillon est particulièrement varié : on y trouve aussi bien des études conduites sur des lycéens américains chargés de mettre des documents sous enveloppe, sur des agents de santé qui vendent des préservatifs en Zambie ou encore sur des enseignants kenyans payés sur la base des résultats aux examens.
Puis vient le temps de l’analyse... Si la plupart des méta-analyses utilisent des modèles à effets aléatoires, Bandiera et al. choisissent d’appliquer un modèle bayésien hiérarchique (MBH). Leurs explications sur ce qu’est le MBH et ses différences par rapport à d’autres approches sont très intéressantes, mais il serait trop long ici d’approfondir cet aspect de leur étude.
Fin du suspense: les femmes réagissent-elles différemment ou pas? Je cite les auteurs: « malgré des contextes très variés (tant sur le plan de la tâche à effectuer et du lieu qu’en ce qui concerne la structure de la rémunération à la performance), les différences de sensibilité aux incitations entre hommes et femmes s’avèrent relativement constants et toujours proches de zéro, quel que soit le contexte. Cela implique que ces études ont une validité externe : le fait que le différentiel entre les sexes soit nul implique que la prochaine étude conclura très probablement à un résultat égal à zéro ». Ainsi, il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes. Et les deux sexes se montrent tout aussi sensibles aux incitations monétaires (avec un écart-type d’environ 0,28). Par conséquent, ces incitations sont efficaces et elles le sont autant pour les unes que pour les autres.
Avant de conclure, je voudrais signaler deux aspects intéressants de cette étude. Le premier, c’est que l’approche adoptée par Bandiera et al. leur permet de poser une question en lien avec les études originales, mais que ces dernières n’avaient pas posée directement: ils rassemblent les données existantes, appliquent le MBH et sont capables d’analyser les différences entre les sexes. Le deuxième aspect, d’ailleurs souligné par les auteurs, c’est que cette approche ne donne des résultats généralisables qu’à des contextes où des expériences sont menées. Voilà qui ouvre par conséquent la voie à plus de diversification.
Enfin, leur étude nous montre que nous pouvons apprendre des choses nouvelles sur de multiples questions en agrégeant les données et les éléments dont nous disposons déjà. Mais encore faut-il que les données soient disponibles. Les auteurs de l’étude m’ont expliqué que leur principale difficulté avait été de trouver les documents pertinents et d’en extraire les informations dont ils avaient besoin. Veillons donc à rendre les données accessibles.
Oriana Bandiera, Greg Fischer, Andrea Prat et Erina Ytsma répondent à cette question dans une nouvelle étude (a) très intéressante. Mais avant de donner la réponse (et puisque c’est aujourd’hui la Journée internationale des femmes), il convient de s’interroger sur la raison même de cette question.
Bandiera et al. motivent leur questionnement en soulignant l’existence d’un certain nombre d’aspects psychologiques suggérant que les femmes réagissent différemment des hommes aux incitations. Le premier est l’aversion au risque. De nombreuses études ont conclu que celle-ci est plus prononcée chez les femmes que chez les hommes, en particulier quand elles étaient menées dans un cadre expérimental (voir par exemple l'article [a] publié en 2012 par Charness et Gneezy sur l’aversion au risque financier). Donc les personnes les plus prudentes ne seront peut-être pas aussi intéressées par les primes de performance, qui risqueraient d’accroître la variabilité de leur revenu.
Le deuxième aspect est la confiance. De multiples expériences ont démontré que les hommes ont en général une plus grande confiance en eux que les femmes (voir par exemple la revue de la littérature [a] de Croson et Gneezy). Et les individus qui manquent de confiance en soi seront probablement moins enclins à expérimenter de nouvelles méthodes pour améliorer leur performance, ce qui pourrait pourtant améliorer leur rémunération.
Troisième aspect : l’altruisme. Les expériences sous forme de jeu tendent à démontrer que les femmes ont un comportement plus altruiste que les hommes (voir Cronson et Gneezy, déjà cité, ou le chapitre [a] de Bertrand dans le Handbook of Labor Economics). Ainsi, selon Bandiera et al., les femmes ont déjà tendance à intérioriser davantage et faire leur le souci de bonne santé de leur entreprise, et des primes supplémentaires n’auraient pas un grand impact sur leur performance.
Enfin, le quatrième aspect est l’esprit de compétition. Il semble que les femmes ne font pas preuve d’un esprit de compétition aussi développé que les hommes (voir les revue de la littérature ou les intéressantes différences interculturelles dans l’étude de Gneezy, List et Leonard [a]), mais ce n’est pas toujours vrai — par exemple, une étude expérimentale (a) à laquelle j’ai participé en Ouganda n’a révélé aucune différence entre les adolescents et les adolescentes.
En somme, tout cela porterait à croire que les femmes sont moins sensibles que les hommes à la rémunération basée sur la performance. Bandiera et al. décident d’approfondir la question et de rassembler toute une série d’études pour vérifier la validité de cette hypothèse. Les auteurs piochent dans les études publiées et différents documents de travail à la recherche de travaux comparant au moins deux niveaux plus ou moins élevés d’incitations (pécuniaires). Ils restreignent pour cela leurs recherches aux études (expériences de terrain et en laboratoire) qui exigent un véritable travail et un résultat tangible (et qui ne reposent donc pas sur des hypothèses). Ils excluent nombre d’études, dont celles portant sur des incitations sous forme de distinction et de primes d’équipe, ou les études comparant des structures d’incitation différentes (par exemple rémunération à la pièce/système de tournois).
Ils sélectionnent finalement 37 études et commencent à rechercher les différences entre les sexes. Mais certains des travaux retenus n’abordent pas cet aspect. Bandiera et al. ont donc besoin des données correspondantes (on verra plus loin que cet aspect est important compte tenu de leur méthode). Ils parviennent finalement à collecter les données de 16 articles portant sur 18 expériences. Cette échantillon est particulièrement varié : on y trouve aussi bien des études conduites sur des lycéens américains chargés de mettre des documents sous enveloppe, sur des agents de santé qui vendent des préservatifs en Zambie ou encore sur des enseignants kenyans payés sur la base des résultats aux examens.
Puis vient le temps de l’analyse... Si la plupart des méta-analyses utilisent des modèles à effets aléatoires, Bandiera et al. choisissent d’appliquer un modèle bayésien hiérarchique (MBH). Leurs explications sur ce qu’est le MBH et ses différences par rapport à d’autres approches sont très intéressantes, mais il serait trop long ici d’approfondir cet aspect de leur étude.
Fin du suspense: les femmes réagissent-elles différemment ou pas? Je cite les auteurs: « malgré des contextes très variés (tant sur le plan de la tâche à effectuer et du lieu qu’en ce qui concerne la structure de la rémunération à la performance), les différences de sensibilité aux incitations entre hommes et femmes s’avèrent relativement constants et toujours proches de zéro, quel que soit le contexte. Cela implique que ces études ont une validité externe : le fait que le différentiel entre les sexes soit nul implique que la prochaine étude conclura très probablement à un résultat égal à zéro ». Ainsi, il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes. Et les deux sexes se montrent tout aussi sensibles aux incitations monétaires (avec un écart-type d’environ 0,28). Par conséquent, ces incitations sont efficaces et elles le sont autant pour les unes que pour les autres.
Avant de conclure, je voudrais signaler deux aspects intéressants de cette étude. Le premier, c’est que l’approche adoptée par Bandiera et al. leur permet de poser une question en lien avec les études originales, mais que ces dernières n’avaient pas posée directement: ils rassemblent les données existantes, appliquent le MBH et sont capables d’analyser les différences entre les sexes. Le deuxième aspect, d’ailleurs souligné par les auteurs, c’est que cette approche ne donne des résultats généralisables qu’à des contextes où des expériences sont menées. Voilà qui ouvre par conséquent la voie à plus de diversification.
Enfin, leur étude nous montre que nous pouvons apprendre des choses nouvelles sur de multiples questions en agrégeant les données et les éléments dont nous disposons déjà. Mais encore faut-il que les données soient disponibles. Les auteurs de l’étude m’ont expliqué que leur principale difficulté avait été de trouver les documents pertinents et d’en extraire les informations dont ils avaient besoin. Veillons donc à rendre les données accessibles.
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