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Humaniser les chiffres de la pauvreté en donnant une voix aux pauvres : une expérience pilote au Soudan du Sud

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Nous humanisons ce qui se passe dans le monde en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains. – Hannah Arendt
 
Nous savons tous qu’il est indispensable de mesurer la pauvreté pour en suivre l’évolution et pour adapter les interventions. Cependant, les chiffres ne rendent pas compte des souffrances des populations pauvres, ni des difficultés qu’elles rencontrent pour joindre les deux bouts. Prenons le cas du Soudan du Sud. Ce pays traverse une période très troublée et est le théâtre depuis 2015 de plusieurs crises. Le fragile accord de paix n’ayant pas été respecté, les affrontements entre groupes armés ont repris et, dans le même temps, les cours internationaux du pétrole se sont effondrés, privant le Soudan du Sud de sa principale source de devises. Le pays est aujourd’hui aux prises avec une profonde crise budgétaire et économique, qui a entraîné une très forte inflation, comme l’indique notre tableau de bord des prix en temps réel (a). Au Soudan du Sud, les moyens de subsistance sont de plus en plus compromis et, à 66 %, le taux de pauvreté a atteint un nouveau record.
 
À lui seul, ce chiffre illustre l’ampleur de la pauvreté dans ce pays, ce qui est bien sûr utile pour des comparaisons et des analyses qui permettront d’élaborer des politiques et des programmes d’action. Mais il ne montre pas le combat quotidien que livre la population pour survivre. C’est pour donner une dimension humaine à un chiffre abstrait que nous avons commencé à recueillir de courts témoignages vidéo (a) de Sud-Soudanais :

Multimedia

Ces témoignages, recueillis dans le cadre d’enquêtes auprès des ménages, dévoilent une réalité désastreuse. En effet, si les chiffres peuvent aider les autorités nationales à affiner les politiques publiques, les vidéos montrent, elles, le sentiment d’impuissance, les souffrances engendrées par la famine et le désespoir de la population. Ceux qui témoignent racontent leurs enfants affamés, expliquent qu’ils n’ont pas de quoi les nourrir ni les moyens de les envoyer à l’école, et qu’ils savent que leur situation ne s’améliorera pas demain. Les vidéos font prendre conscience de cette détresse.
 
La possibilité pour ces personnes de s’exprimer, de raconter la lutte qu’elles mènent au quotidien afin de montrer au monde entier ce qu’est leur vie, est une premier pas vers l’autonomisation. C’est ce qui nous pousse à continuer de chercher des solutions innovantes pour les aider, ainsi que des millions d’autres, à sortir de la pauvreté. Certes, ces témoignages ne sauraient remplacer les études quantitatives qui servent à élaborer des programmes et des politiques, mais ils sont précieux pour centrer nos analyses et pour donner une voix aux plus démunis. Car la pauvreté ne se résume pas à des chiffres : c’est un combat humain.

 La première édition d’un nouveau rapport phare de la Banque mondiale intitulé Pauvreté et prospérité partagée vient d’être publiée. Elle expose les problèmes rencontrés, faute de données suffisantes, pour mesurer la pauvreté. Pour y remédier, la Banque s’est déjà engagée à faire en sorte que les 78 pays les plus pauvres du monde disposent d’enquêtes auprès des ménages tous les trois ans. Ces enquêtes sont en cours ou prévues sur les deux prochaines années dans 41 des 48 pays d’Afrique subsaharienne. Elles pourraient être l’occasion de donner aux pauvres davantage de moyens de s’exprimer. Il s’avère que l’enregistrement de témoignages, comme nous l’avons expérimenté au Soudan du Sud, est une intervention très peu coûteuse qui peut accompagner une enquête auprès des ménages.

En donnant une voix aux pauvres, nous nous rapprochons de notre double objectif : mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée d’ici à 2030.


Auteurs

Utz Pape

Lead Economist, Poverty and Equity Global Practice

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