J’ai eu le privilège d’effectuer cette année un certain nombre de déplacements avec la société Gallup Inc. pour mettre à jour la base de données Findex sur l’inclusion financière. L’idée était de tester la version élargie de notre questionnaire. Nous sommes allés à la rencontre des habitants de divers pays, pour recueillir des informations sur leurs modes d’épargne, d’emprunt, de paiement et de gestion des risques.
Comme cette famille d’un bidonville de Calcutta, dont l’abri de fortune accueille trois générations. La paie que touche le père, chauffeur, lui est directement versée sur un compte en banque ouvert par son employeur. Très fier, il nous a expliqué comment, chaque mois, il laisse un peu d’argent sur ce compte, car il est convaincu que c’est un moyen sûr d’épargner pour l’éducation de ses enfants.
Ou cet homme, un Kenyan, qui s’est constitué une petite cagnotte sur son compte mobile M-Pesa afin d’avoir de quoi verser un acompte pour acheter son échoppe de barbier car, dit-il, « l’argent liquide brûle les doigts ».
Ce ne sont là que deux exemples prouvant l’utilité des paiements dématérialisés sur le plan de la réduction des coûts et de la sécurité des transactions. Sans oublier leur rôle dans la progression de l’inclusion financière, un objectif essentiel. Forts de l’intérêt croissant des pays du G20 pour améliorer la participation des personnes ayant peu de revenus au système financier, la Fondation Bill & Melinda Gates, l’Alliance Better than Cash et le Groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale ont constitué un partenariat visant à convaincre le monde du fabuleux potentiel des transactions numériques.
Comme tout problème à résoudre, il importe de bien en apprécier l’ampleur et la portée. Nous avons donc commencé par constituer la base Findex — une première mondiale — pour mesurer la participation financière. Nous avons ainsi pu cerner l’étendue du défi de l’inclusion financière :
- plus de 2,5 milliards d’adultes dans le monde n’ont pas accès à un système formel de dépôt ;
- seulement 41 % des adultes vivant dans des pays en développement ont un compte en banque (une proportion qui chute à un peu plus de 20 % parmi ceux qui disposent de moins de 2 dollars par jour pour vivre) ;
- les femmes sont majoritairement concernées par ce risque d’exclusion du système financier : dans les pays en développement, elles ne sont que 37 % à avoir un compte, contre 46 % d’hommes.
Ces chiffres ont de quoi choquer. Car comment épargner, emprunter ou investir si vous êtes exclu du système financier ? On comprend bien pourquoi la communauté internationale se mobilise autour de la question de l’inclusion financière — une pièce maîtresse des initiatives en faveur du développement.
Un examen de travaux de recherche effectués un peu partout dans le monde révèle les gains immédiats des transactions numériques, pour l’émetteur comme pour le bénéficiaire. Un transfert dématérialisé coûte moins cher que d’envoyer du liquide. Un argument qui fait mouche pour tous ceux qui expédient de l’argent à leurs familles restées au pays et qui peut changer la donne pour un gouvernement soucieux de réduire les frais généraux des programmes de transferts sociaux. Pour le bénéficiaire, c’est aussi moins coûteux, puisqu’il n’est plus obligé de se rendre dans un centre urbain, de faire la queue et donc de perdre du temps et de l’argent pour récupérer les fonds.
Les transactions numériques sont également plus sûres. Déjà, le bénéficiaire n’a plus de grosses sommes en liquide sur lui, avec les risques en cas de longs déplacements. Mais la criminalité urbaine n’est pas le seul délit qu’elles permettent d’éviter : l’enregistrement numérique des transactions et des vérifications plus strictes de l’identité des parties se révèlent efficaces pour éradiquer la corruption, toujours susceptible d’entacher les programmes de transfert.
Sans compter que cette numérisation est un facteur avéré de l’émancipation économique des femmes, qui récupèrent ainsi des moyens d’action et n’ont plus à se battre au sein de leur foyer pour conserver l’argent qu’elles ont gagné.
Le rapport complet s’appuie sur des données probantes tirées d’études menées en Inde, au Niger, en Afrique du Sud, au Mexique, au Brésil, en El Salvador, en Bolivie, au Pérou, aux Philippines, au Malawi, au Kenya, au Rwanda, au Népal, au Mozambique et aux États-Unis. L’un dans l’autre, il atteste de l’intérêt phénoménal de la dématérialisation des transactions, qui rend les paiements plus efficaces et qui contribue à la réalisation d’objectifs de développement comme l’émancipation économique des femmes ou, surtout, l’inclusion financière.
Mais le rapport revient aussi sur certains problèmes que les partisans des transactions numériques doivent résoudre. Sans surprise, l’un des principaux obstacles est lié à l’absence d’infrastructures financières dans bon nombre de pays à faible revenu et, en particulier, en milieu rural. Faute de réseau physique adapté aux transactions numériques — des infrastructures qui nécessitent des investissements en amont — ceux qui ont tout à gagner d’un tel système risquent d’en être exclus.
De plus, la présence d’infrastructures adaptées ne garantit en rien que les gens vont se laisser convaincre de les utiliser. Ceux qui n’ont jamais eu de compte en banque doivent être sensibilisés à leur emploi mais être aussi convaincus que c’est un système sûr et fiable dans lequel ils peuvent avoir confiance. En définitive, l’objectif n’est pas de simplement substituer les comptes numériques au liquide mais bien d’utiliser ces comptes pour se constituer un historique de crédit, épargner et avoir des projets financiers.
Les pouvoirs publics peuvent y contribuer, en introduisant un cadre réglementaire tenant compte du rôle des opérateurs non bancaires (à l’instar des fournisseurs de services de paiement et des opérateurs de téléphonie mobile) pour remédier à ces difficultés. Un code de conduite explicite permettra d’introduire des règles du jeu équitables, et de s’assurer que la protection des consommateurs fait partie des principales préoccupations.
En attendant, la dématérialisation des paiements effectués par les gouvernements peut servir de catalyseur, en suscitant des innovations dans ce domaine et en ouvrant la voie à une implication accrue du secteur privé et de la communauté internationale.
Notre recherche prouve, en dernier ressort, que les efforts visant à relever ces défis importants valent la peine — pour les pouvoirs publics, quelle que soit la taille du pays concerné, et pour les millions de personnes encore exclues du système financier, au premier rang desquelles les femmes.
Prenez part au débat