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Autonomiser les adolescentes à Port-au-Prince: "Nous sommes l'avenir d'Haïti"

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Initiative pour les adolescentes. Haïti. Banque mondiale Cela fait près d’un an que la Banque mondiale soutient l’Initiative pour les adolescentes (AGI) en Haïti. Un programme qui a permis à 1000 jeunes haïtiennes de 17 à 20 ans, ayant quitté le système scolaire au cours du secondaire et venant de milieux socio-économiques défavorisés, de pouvoir suivre une formation professionnelle et technique à des métiers non traditionnels pour les femmes.

J’avais eu l’occasion de me rendre à Port-au-Prince lors du lancement et rencontrer de futures bénéficiaires. J’ai pu y retourner, il y a quelques jours, pour y constater l’avancée du programme.

Trois ans après le terrible séisme du 12 janvier 2010, Haïti est un pays qui se relève et dont la capitale vit au rythme de la reconstruction. De nombreux chiffres témoignent de la réussite des politiques de réponse d’urgence : 11 millions de mètres cubes de décombres ont été dégagées. Un million de Haïtiens déplacés ont quitté les camps, et 2 millions d’enfants en âge scolaire reçoivent des repas gratuits chaque jour.

Mais face au poids des traditions, l’insécurité, et un taux de chômage endémique, le marché de l’emploi reste verrouillé pour les jeunes et les femmes en particulier.

L’Initiative pour les adolescentes vise donc à permettre à ces jeunes haïtiennes de pouvoir aborder le marché du travail mieux armées et plus expérimentées. En effet, le stage fait partie intégrante de la formation que les jeunes femmes reçoivent. Dans ce contexte, l’acquisition de compétences techniques en adéquation avec les besoins du marché du travail est clef pour que cette situation change dans les faits et que les mentalités évoluent.

Pour Nadine Napoléon, que je rencontre dans les locaux du ministère de la condition féminine et du droit des femmes, « ces formations représentent une voie d'espoir pour ces jeunes filles. Les femmes haïtiennes doivent réaliser qu'il n'y a pas de limites. Elles doivent changer de logique. » Serait-ce aux femmes de changer ? Pour sa collègue, Rozanie Jean-Brice, « il faut les inciter à s’engager dans de nouveaux métiers, mais il faut avant tout sensibiliser les employeurs. Trop souvent, ces derniers préfèreront choisir un homme plutôt qu'une femme au moment de l'embauche. La formation et l'obtention d'une première expérience professionnelle à travers un stage peut aider à briser le mur qui se dresse devant elles. ». Ceci est d'autant plus vrai dans un contexte où les relations sociales jouent un rôle déterminant à l’obtention d’un premier emploi, défavorisant les jeunes qui ne disposent pas de ce capital social.

Rares en effet sont les femmes qui exercent dans le domaine de l’installation de systèmes électrique ou de réfrigération, celui des télécommunications ou même de la maçonnerie où pourtant les salaires sont plus élevés que dans les métiers dits féminin.

Pierre Frandy, initiative pour les adolescentes. Banque mondialePierre Frandy est, lui, convaincu que les femmes « doivent aller dans les métiers techniques où elles ont un meilleur rendement » que les hommes.

Jeune entrepreneur de 32 ans, il est revenu de République Dominicaine après le tremblement de terre pour participer à la reconstruction de son pays. Il invite régulièrement plusieurs jeunes femmes à mettre en pratique l’enseignement reçu à Apex, un centre de formation partenaire de l’AGI, sur les chantiers d’installation électrique et de télécommunication menés par son entreprise Install & Repair.

Ces mini stages renforcent l’employabilité des jeunes femmes qui pourront se présenter avec une expérience acquise sur le terrain devant un employeur potentiel.

Lui-même espère pouvoir transformer ces stages en emplois si la situation économique le lui permet.

Un stage comme première expérience professionnelle

Marie Carmelle Lafontant qui dirige l’Infop, un centre de formation aux métiers de l’hôtellerie, est confiante. Les hôtels Karibe ou Oasis se sont engagés, le matin de notre entretien, à accueillir plusieurs des jeunes professionnelles, « pour de courtes durées certes, mais ce soutien va [lui] permettre d’en trouver d’autres. »

Présente lors de notre rendez-vous, Daphnée Marcel, directrice des ressources humaines de l’hôtel Karibe, constate que « le secteur hôtelier à Port-au-Prince est en pleine effervescence avec l’ouverture de plusieurs établissements. Cette concurrence accrue nous oblige à investir dans la formation professionnelle pour garder notre clientèle. Nous avons besoin de personnels formés à nos métiers. Les stages sont souvent le premier pas avant l’embauche. »

Initiative pour les adolescentes. Haïti. Banque mondialeSi la direction d’une entreprise est déjà convaincue de l’intérêt d’employer des femmes, il lui faut également obtenir le soutien des employés déjà présents, y compris lorsque l’on parle d’accueillir des débutantes.

Reginald Simon, un des managers de la société de travaux publics Tecina S.A., et le centre Haïti Tec viennent de s’accorder sur une convention de stage. Formé aux Etats-Unis, il reconnaît que le nombre de stagiaires « dépend avant tout du nombre de tuteurs qui se décideront. Je ne peux l’imposer, cela va donc se faire sur la base du volontariat » admet-il.

Mais dans une entreprise où 25 à 30 % des employés sont des femmes, il ne doute pas du succès du programme : « elles sont plus professionnelles et plus disciplinées. Et l’intégration de stagiaire se révèle aussi bénéfique pour les plus expérimentés de nos employés : ils apprennent grâce aux jeunes recrues les nouvelles technologies qui sont désormais la norme de nos métiers. »

Initiative pour les adolescentes. Haïti. Banque mondialeEn plus des moyennes entreprises ou des grands groupes comme Digicel, Apexet Haïti Tec démarchent surtout les micro-entreprises qui comptent moins de 10 salariés et qui fleurissent à Port-au-Prince.

Un modèle d’entreprise qui attire les jeunes femmes soutenues par l’AGI. Pour Jessica, qui suit une formation en installation de système électrique et de réfrigération, créer sa propre entreprise fait désormais partie du domaine du possible.

Cet enthousiasme est le même chez le groupe de jeunes maçonnes rencontrées à Haïti Tec. « Nous sommes le futur d’Haïti », me dit l’une d‘elles. À les voir monter un mur de parpaing tout en s’attardant sur les besoins antisismiques du pays, je n’en doute pas.


Auteurs

Olivier Puech

Former French Web & Social Networks Editor

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