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Intégrité et transparence des dépenses et sécurité en Afrique subsaharienne : chaînons manquants et maillons faibles

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Intégrité et transparence des dépenses et sécurité en Afrique subsaharienne : chaînons manquants et maillons faibles Au Mali et au Burkina Faso, les dépenses de sécurité ont augmenté respectivement de 66 % et 138 % au cours des cinq dernières années.

Les dépenses de sécurité sont en hausse dans plusieurs régions d’Afrique subsaharienne. Cependant, dans ces environnements d’insécurité croissante, il est nécessaire d’améliorer la gestion budgétaire et d’optimiser les dépenses. Les institutions chargées de la sécurité souffrent souvent des mêmes problèmes de gestion des ressources humaines et de finances publiques que l’ensemble des institutions étatiques.

Dans les contextes de conflit, le rétablissement de la sécurité est la première des priorités pour les populations locales et une condition préalable à la stabilité, elle-même indispensable à la croissance et au développement socio-économique. Une publication récente de la Banque mondiale consacrée aux tendances de la gouvernance en Afrique subsaharienne (a) nous rappelle que les conflits coûtent cher à la croissance. Selon le Fonds monétaire international (a), ils amputent la croissance de 2,5 points de pourcentage en moyenne chaque année. Les conflits pèsent lourdement sur les finances publiques : ils réduisent les recettes et entraînent une augmentation des dépenses militaires. Avec pour conséquence de détourner des ressources précieuses qui pourraient être plus utilement mises au service de la population.

Les dépenses de sécurité ont augmenté dans la plupart des pays touchés par des conflits en Afrique, et en particulier au Sahel depuis 2019. Au Mali et au Burkina Faso, les dépenses de sécurité ont augmenté respectivement de 66 % et 138 % au cours des cinq dernières années. L’Afrique subsaharienne connaît une recrudescence des putschs militaires depuis 2020, dans les pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad) mais aussi au Soudan, en Guinée ou encore au Gabon. Bien que le contexte de ces coups d’État varie considérablement d’un pays à l’autre, ils présentent plusieurs facteurs communs, notamment la faillite du contrat social entre les citoyens et l’État, l’insécurité et la militarisation de la vie politique. Nous constatons que tous ont été précédés de mouvements d’insatisfaction et de mise en cause de la légitimité des gouvernants.

Cependant, malgré l’augmentation des dépenses de sécurité et l'arrivée de régimes militaires dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, la violence reste élevée, en particulier en Afrique de l’Ouest et de l’Est. C'est notamment le cas au Sahel, où les niveaux de violence sont invariablement supérieurs à ceux observés avant les coups d’État. Selon les données du projet ACLED (a), le nombre de décès enregistrés dans la région n’a cessé d’augmenter depuis 2019, les populations civiles payant un lourd tribut à l’intensification des violences.

Comment expliquer cette tendance ?

Pour certains, plusieurs de ces coups d’État seraient « la conséquence indirecte d’une expansion déséquilibrée des forces armées face à de graves menaces sécuritaires » (a). Cette situation découle souvent d’un état de délabrement croissant des institutions chargées de la sécurité nationale, sur fond de mauvaise gestion des ressources humaines, de corruption généralisée et d’incurie financière. 

Dans le cas des pays du Sahel, le fossé entre les soldats et les officiers subalternes, d’une part, et la « vieille garde », d’autre part, peut s'expliquer par des pratiques népotistes, des systèmes injustes de récompenses et de promotions et une gestion opaque des ressources humaines (a). La corruption et le détournement des soldes, des allocations de subsistance, des rations et des matériels ne sont pas inhabituels au sein des unités militaires, ce qui conduit à des chaînes de commandement parallèles (a). C’est le cas dans de nombreux pays en situation de fragilité et de conflit, où les salaires et les rations des soldats représentent généralement le plus gros des dépenses récurrentes de sécurité.

La Somalie fournit un exemple éloquent de la nécessité de mieux gérer et optimiser les dépenses dans un contexte d’insécurité croissante. La Somalie a été en mesure de réduire ses coûts de 50 % en réformant l’approvisionnement en rations alimentaires. Les contrats d’achat centralisés pour l’ensemble des principales fournitures de l’armée ont permis de réaliser des économies budgétaires massives. À cela s’ajoutent des avancées technologiques, avec l’enregistrement biométrique des soldats et les paiements sur des comptes bancaires ou d’argent mobile. En quelques années seulement, la Somalie (a) a remplacé la distribution des soldes de la main à la main par des versements électroniques.

En conclusion, les institutions chargées de la sécurité nationale ne fonctionnent pas en silo, indépendamment des autres institutions étatiques. Elles souffrent souvent des mêmes problèmes de gestion des ressources humaines et des finances publiques. Les faiblesses institutionnelles dans le secteur de la sécurité sont généralement aggravées par un manque accru de transparence. Hélas, malgré des enjeux de développement communs, les donateurs traditionnels ont tendance à se tenir à l’écart du secteur de la sécurité, alors qu’ils pourraient, pour le moins, mener des travaux d’analyse dans ce domaine.

Il y a de quoi y réfléchir, compte tenu de la corrélation directe et négative de l’insécurité avec le contrat social et avec la croissance et le développement.


Yousif Elmahdi

Spécialiste senior du secteur public

​Gaël Raballand

Chef de service, Pôle mondial d'expertise en Gouvernance, Afrique de l'Ouest

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