Il n’y a pas que la guerre qui pousse à l’exil.
Un de mes amis a grandi au Honduras. À son passage à l’adolescence, il a inévitablement attiré l’attention des gangs de rue locaux. Il parvenait à leur échapper en rentrant directement chez sa grand-mère à la fin des cours. Il n’en ressortait que le lendemain matin pour repartir au collège.
Sa mère l’appelait chaque jour sur Skype ; elle s’était installée aux États-Unis, alors qu’il n’avait que trois ans, pour y travailler comme nounou. Elle s’interrogeait : devait-elle le faire venir auprès d’elle ?. Beaucoup de ses amis avaient opté pour cette solution, mais leurs enfants s’étaient retrouvés en prison ou étaient tombés aux mains des gangs qui avaient déjà tenté de les recruter au Honduras.
Elle se décide le jour où son fils lui envoie une photo de trois victimes assassinées par un gang aux portes de son école.
Elle engage 10 000 dollars pour payer le voyage de son fils, en bus, en voiture et enfin à pied pour traverser le désert du Texas jusqu’à la frontière américaine, où la police des frontières le place en garde à vue. Après un mois de détention à Philadelphie, il peut finalement rejoindre sa mère près de Washington. Aujourd’hui, il fait partie des centaines de milliers de mineurs non accompagnés (a) qui ont fui les violences en Amérique centrale pour un avenir incertain en Amérique du Nord.
Avec la crise des réfugiés en Europe et au Moyen-Orient, le monde entier voit dans la guerre le principal facteur des déplacements forcés de populations. Or, la menace d’une autre crise des réfugiés plane en Amérique centrale (a). Moins couvert par les médias, ce phénomène, qui se produit à un rythme plus lent, est tout aussi dévastateur qu’un conflit à grande échelle propice à captiver l’imagination du monde. D’après l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le nombre de demandes d’asile en provenance d’Amérique centrale a quintuplé depuis 2008 (a). La moitié au moins des personnes concernées sont des femmes, contraintes à s’exiler pour échapper aux viols, aux agressions et aux extorsions (a). Comme l’a observé Shelly Pitterman, représentant régional du HCR pour la région Amériques, lors du dernier Forum sur la fragilité (a) : « Ces femmes ne viennent pas aux États-Unis parce qu’elles sont attirées par un eldorado économique. Ce sont des facteurs de répulsion qui déterminent leur départ. »
Le monde est confronté à une crise sans précédent de migrations forcées : on dénombre près de 20 millions de réfugiés et des millions d’autres personnes déplacées au sein de leur pays. Les acteurs du développement se sont mis à investir davantage dans les pays concernés. C’est le cas du Groupe de la Banque mondiale, qui cherche à mieux organiser les initiatives de développement dans le monde pour répondre aux déplacements forcés, notamment dans les pays en situation de conflit. L’institution s’est dotée d’un programme dédié (a) et a déjà mené des opérations en Azerbaïdjan, République démocratique du Congo, Pakistan et Sri Lanka. Les projets en cours, qui couvrent des secteurs multiples, visent à développer les économies ainsi qu’à renforcer la résilience des populations déplacées et des communautés d’accueil.
Cependant, les acteurs du développement doivent globalement aller plus loin. On entend par déplacement forcé toute situation où des personnes doivent quitter ou fuir leur foyer à cause d’un conflit, de violences, de persécutions ou de violations des droits humains. De fait, outre les conflits, les violences et les violations des droits humains sont les principales causes des grands mouvements de population. Pour António Guterres, ancien haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « Le Moyen-Orient et l’Afrique ne sont pas les seuls théâtres de ces crises dramatiques, le continent américain connaît aussi une crise des réfugiés ».
En Amérique centrale, les enfants non accompagnés, les adolescents et les femmes sont les principales victimes de groupes criminels organisés et sont souvent traumatisés par l’épreuve du déplacement. Fort de la solidité des liens qu’il entretient avec les États d’Amérique centrale, le Groupe de la Banque mondiale investit désormais dans des initiatives de prévention des violences au Honduras, en El Salvador et au Guatemala ; il soutient depuis de nombreuses années de tels projets dans des pays à revenu intermédiaire comme le Brésil et la Colombie. Les troubles au Moyen-Orient enjoignent à tous les acteurs de remédier à la crise du déplacement des populations dans le monde, en prenant en compte chacune des causes possibles : conflits, violences et violations des droits humains.
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