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Une prospérité future se tisse aujourd'hui dans les ateliers de couture du Tamil Nadu

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Lors d'un voyage dans les zones rurales du Tamil Nadu, nous avons rencontré beaucoup de femmes qui ont longtemps travaillé dans les usines de confection implantées dans de grandes villes de l’État, comme Tiruppur ou Chennai. Une fois mariées, elles ont dû quitter leur travail et retourner au village pour s’occuper de leur famille. Aujourd’hui, ces jeunes femmes tirent parti de leur expérience pour créer dans leurs villages de petits ateliers de couture qui alimentent le gigantesque marché indien. Et tout le monde a gagné au change : installées dans des cabanes ou d’anciennes étables réaménagées, ces nouvelles entreprises dégagent de beaux profits, tout en créant des emplois au bénéfice de la communauté. Les clients sont au rendez-vous : les grandes usines de confection étant confrontées à une véritable pénurie de main-d’œuvre qualifiée, elles confient à présent des commandes à ces petits ateliers. L’essor rapide de ces entreprises offre de nouvelles possibilités d’accès à l’emploi pour les femmes des milieux ruraux. Il contribue ainsi à une plus forte participation des femmes à la vie active, tout en apportant une dimension de genre inédite et populaire au slogan lancé par le gouvernement « Start Up India ».
 
Une petite cabane en terre battue au toit recouvert de feuilles de cocotier qui ne laisse guère présager le bruit qui en sort, comme surgi d’un autre monde : celui du bourdonnement de neuf machines à coudre industrielles sur lesquelles de jeunes femmes assemblent des coupons de tissu et fabriquent des chemises d’homme destinées au vaste marché indien des vêtements bon marché. 
 
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Une ancienne étable reconvertie en atelier de confection.


Nous sommes dans le village d’Inam Koilpatti, dans l’État du Tamil Nadu, au sud de l’Inde. Alors que de nombreux villages de la région s’urbanisent rapidement, celui-ci reste majoritairement composé de cahutes et ses habitants sont encore bien loin de la prospérité.
 
Indhurani et Gurupakkiam dirigent le petit atelier de confection installé dans la cabane. Grâce à leur esprit d’entreprise, les deux jeunes femmes ont, à leur manière et sans le vouloir, donné un coup de fouet à la devise « Start Up India » du gouvernement. Une impulsion plus que nécessaire dans cette région rurale et pauvre du Tamil Nadu.
 
Elles racontent : « Nous étions toutes les deux employées dans une usine à Thalavaipuram [un nouveau pôle de l’industrie textile des environs]. Mais avec nos charges de famille, il devenait difficile d’aller travailler tous les jours à 20 kilomètres d’ici. Alors il y a trois ans, nous sommes allées voir notre patron et nous lui avons proposé de créer un atelier de couture dans notre village s’il acceptait de nous confier des commandes. »
Il ne leur a pas été difficile de convaincre leur employeur, qui connaissait la qualité du travail des deux femmes, d’autant que l’industrie textile locale était confrontée à une forte pénurie de main-d’œuvre.
 
Une fois l’accord conclu, les jeunes femmes ont réuni leurs maigres économies pour acheter deux vieilles machines à coudre industrielles qu’elles ont fait remettre en état. Et comme elles n’avaient plus beaucoup d’argent, elles ont transformé une partie de leur habitation en atelier.
 
Aujourd’hui, Indhurani et Gurupakkiam ont réinvesti leurs bénéfices : elles possèdent neuf machines, emploient dix ouvrières et leur entreprise travaille toute l’année. Elles ont déménagé et l’atelier occupe désormais toute la surface de l’ancienne maison.
 
L’industrie vestimentaire est l’une des plus dynamiques du Tamil Nadu, et Tiruppur, son premier pôle d’activité, compte désormais parmi les grands centres mondiaux de la confection. Cependant, le secteur fait face à de graves difficultés de recrutement. « Rien qu’à Tiruppur, il y a du travail pour 20 000 personnes », explique le président de l’association de l’industrie du vêtement.

Dans les campagnes, pourtant, la main-d’œuvre qualifiée ne manque pas. Nombreuses sont les femmes des régions rurales du Tamil Nadu qui ont longtemps travaillé dans des usines de confection avant de devoir retourner dans leur village une fois mariées et mères de famille. Notre projet — le Projet d’autonomisation et de réduction de la pauvreté au Tamil Nadu — a précisément formé un grand nombre de femmes rurales aux métiers de la confection, une activité très prisée parmi elles.
 
Néanmoins, alors que des milliers de couturières expérimentées vivent dans les campagnes, il existe bien peu d’entreprises de confection dans ces villages, tout juste quelques petits ateliers qui répondent aux besoins des villageois ou à des commandes saisonnières, par exemple pour fournir les uniformes des écoles locales. Il était donc nécessaire de mettre en relation les industriels et cette main-d’œuvre qualifiée, uniquement séparés par la distance.


Faire évoluer les mentalités
 
Mais comment faire ? Indhurani et Gurupakkiam nous ont montré la voie. Leur manque d’instruction ne les a pas empêchées de créer une entreprise prospère. Peut-être même que cela les a encouragées à se battre !
 
Il fallait donc que quelqu’un s’attaque au problème et établisse le contact entre les deux parties. Et c’est Shunmugaraj, responsable local du projet dans le district de Virudhnagar, qui a relevé le défi avec beaucoup d’enthousiasme. Il avait lu l’envie de travailler dans les yeux des villageoises et il était convaincu que les usines pourraient doubler leur chiffre d’affaires annuel si seulement elles acceptaient de les employer d’une manière ou d’une autre. Il n’y avait pas de problèmes de débouchés, étant donné que les exportations vers le Moyen-Orient progressaient sans cesse et que les perspectives d’expansion étaient considérables.
 
Il subsistait toutefois un obstacle de taille : les dirigeants des grandes entreprises de confection de la zone d’activité de Thalavaipuram n’étaient guère disposés à confier des commandes à de simples villageoises. Pour eux, les campagnes étaient synonymes d’inefficacité et de désorganisation, et ils étaient persuadés que des femmes pauvres et sans instruction ne pourraient pas être de bonnes gestionnaires.
 
Petit à petit, Shunmugaraj a cependant réussi à convaincre ces responsables. Il leur a expliqué que, pour chaque femme qui travaillerait avec eux, au moins deux autres femmes pourraient en faire autant dans les villages. Et de surcroît, certaines de ces femmes se montraient très dynamiques et le projet pourrait les aider à créer de petits ateliers de confection, avec un financement et un accompagnement adaptés.

 

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Un atelier de sous-traitance au cœur du village.


Une idée qui fait son chemin
 
Dans un premier temps, trois dirigeants d’usine ont accepté de faire un essai : si les ateliers de village étaient capables d’atteindre les niveaux de performance exigés, ils leur sous-traiteraient des commandes.
 
Trois mois plus tard, quatre premiers ateliers avaient répondu aux exigences fixées. Six mois plus tard, il y en avait vingt et une vingtaine d’autres sont candidats. Shunmugaraj et son équipe ont accompli un travail formidable en établissant la relation qui manquait entre les villages et les usines.
 
Leur méthode ? Tout d’abord, identifier avec soin les femmes ayant un véritable esprit d’entreprise pour les aider à créer leur petit atelier de confection. Puis, pendant trois mois, les conseiller, leur présenter des clients, faciliter leur accès à des financements de la part du gouvernement et des banques, les aider à obtenir les autorisations nécessaires, les mettre en contact avec les fabricants d’équipements, les former à la gestion d’entreprise et les aider à recruter. Au bout de ces trois mois, les femmes sont largement prêtes à voler de leurs propres ailes, une condition fixée avec elles dès le départ.
 
Aujourd’hui, le district de Virudhnagar compte 20 petits ateliers de confection qui emploient plus de 200 femmes. Beaucoup d’entre elles ont abandonné avec joie les travaux agricoles ou des emplois non qualifiés, voire dangereux dans les fabriques de feux d’artifice. Grâce à ce travail bien rémunéré et proche de leur domicile, la qualité de vie de ces femmes s’est grandement améliorée et elles exercent un métier dont elles ont toujours rêvé.
 

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Une pièce de la maison transformée en atelier.


Création de marques propres
 
Quand le projet pilote a commencé, l’une de ces femmes, Bhanu, nous a dit : « J’aimerais avoir ma propre marque un jour ». Un an plus tard, si Bhanu continue à travailler pour quelques grands clients, elle a aussi lancé sa griffe. Comme cela se produit souvent dans ce cas, elle et son associée Fathima Beevi se sont séparées à l’amiable, et cette dernière a depuis créé son atelier où elle emploie d’autres femmes.
 
Andal, une autre chef d’entreprise, a débuté avec cinq machines à coudre. Six mois plus tard elle en possédait une douzaine. Dans un autre village, dix femmes se sont associées et, en mettant en commun leurs économies, elles ont ouvert un atelier équipé de dix machines et qui fait du très bon travail.
 
Certaines des grandes usines de confection de Thalavaipuram ont à présent conclu des partenariats avec de petits ateliers dirigés par des femmes. Et bien peu de ces nouvelles entreprises ont baissé le rideau !
 
Forte de ces succès et pour aller encore plus loin, la Banque mondiale a lancé le Projet de transformation rurale au Tamil Nadu, dont l’objectif est de faire participer davantage de femmes à la chaîne de valeur d’autres secteurs d’activité (horticulture, agroalimentaire, industrie laitière, industrie du cuir et artisanat) et de favoriser l’expansion de leurs petites entreprises dans tout l’État.
 
Alors que l’Inde a des difficultés pour créer des emplois et accroître la participation des femmes à la vie active, Indhurani et Gurupakkiam montrent la voie à suivre. À n’en pas douter, il existe quelques « joyaux » parmi des milliards d’oubliés en Inde. Il faut leur donner la chance de briller de tous leurs feux et d’en entraîner d’autres dans leur sillage.
 
Les auteurs remercient Shouvik Mitra qui leur a fourni des études de cas et des données.


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