Publié sur Opinions

La mort sur la route n’est pas une fatalité

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Des deux-roues et des piétons dans une rue de Katmandou, au Népal. © Daniel Silva Yoshisato/Banque mondiale. Une autoroute traversant Accra, Ghana. © Daniel Silva Yoshisato, Banque mondiale.

Chaque année, les accidents de la route tuent 1,35 million de personnes dans le monde, soit plus que le paludisme et le sida réunis, auxquels s’ajoutent 50 millions de blessés. Cause majeure de handicap, l'insécurité routière est un fléau souvent négligé par le grand public et les gouvernements, ou considéré comme inévitable. Sachant que plus de 93 % des décès se produisent dans les pays en développement, c’est aussi l'un des principaux obstacles au développement et à la lutte contre la pauvreté dans le monde. Les décès et les blessures causés par les accidents de la circulation auraient pour conséquence de maintenir dans la pauvreté entre 12 et 70 millions de personnes chaque année.

Or, la sécurité routière est peut-être le seul grand défi du développement pour lequel il existe des solutions relativement bien connues et potentiellement efficaces à 100 %. Alors que les pays se réunissent cette semaine à Stockholm pour la troisième Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière, une question s’impose : pourquoi 3 700 personnes meurent-elles encore chaque jour sur les routes ?

Les raisons sont multiples et, malheureusement, ce sont les mêmes qu'il y a dix ans. Ainsi, l'abaissement des limitations de vitesse ou le renforcement des contrôles étant souvent impopulaires, les dirigeants politiques hésitent à mettre ces mesures en place. Les pouvoirs publics privilégient souvent des interventions de moindre impact, comme les campagnes de sensibilisation du public, au détriment des investissements et des politiques qui réduisent réellement la mortalité sur les routes. En outre, la faiblesse des institutions et le manque de données complètes dans de nombreux pays rendent pratiquement impossibles la planification, la mise en œuvre et le suivi des interventions.

Mais, par-dessus tout, la quasi-totalité des obstacles à une progression plus rapide de la sécurité routière ont un point commun : le manque de financements et d'investissements appropriés et opportuns de la part des gouvernements. On estime que des dizaines de milliards de dollars seraient nécessaires chaque année pour s'attaquer sérieusement à ce problème. Pourtant, les trois principaux organismes donateurs internationaux qui se consacrent à la sécurité routière ne déboursent que moins de 50 millions de dollars par an. L'établissement d'un cadre réaliste et détaillé pour le financement à long terme de la sécurité routière aux niveaux mondial, régional, national et local constituerait une avancée décisive si elle était décidée à Stockholm.

À l'échelle mondiale, il n'existe qu'une réserve limitée de ressources financières à même de contribuer au renforcement des capacités et aux programmes d'amélioration de la sécurité routière. Il s'agit du Fonds mondial pour la sécurité routière (GRSF), du Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies pour la sécurité routière et du Partenariat mondial pour la sécurité routière. Les sources régionales de financement incluent le Programme de politique de transport en Afrique (SSATP), ainsi que des fonds spécifiques des banques régionales de développement. Par ailleurs, des organisations telles que la Fédération internationale de l'automobile sont en pointe des initiatives de sensibilisation et d'appel à l'action. Mais bien que ces acteurs jouent un rôle clé dans la coordination des efforts et la diffusion des bonnes pratiques, les institutions internationales ne pourront jamais combler le déficit d'investissement qui exige un soutien actif des gouvernements, à l'échelon national et local.

Une autoroute traversant Accra, Ghana. © Daniel Silva Yoshisato, Banque mondiale.
Une autoroute traversant Accra, Ghana. © Daniel Silva Yoshisato, Banque mondiale.

Les ministres des Finances et autres acteurs qui tiennent les cordons de la bourse dans bien des pays à revenu faible et intermédiaire sous-estiment encore largement l'ampleur du problème et ses conséquences sur l'avenir social et économique de leur pays. Pourtant, outre la douleur et la souffrance des individus et de leurs familles, les accidents de la route représentent un énorme fardeau financier pour les pays. Rien que dans les pays à revenu faible et intermédiaire, le GRSF estime que les décès et les blessures graves sur les routes coûtent 1 700 milliards de dollars par an aux économies, soit plus de 6,5 % du PIB. Selon des études récentes de la Banque mondiale, réduire de moitié le nombre de morts et de blessés sur les routes sur une période de 24 ans pourrait entraîner une augmentation du PIB par habitant allant jusqu'à 22 % dans certains pays.

La sensibilisation des décideurs nationaux et locaux aux retards du développement provoqués par les accidents graves de la circulation n'est qu'une première étape. Pour réussir à obtenir une part des financements limités, les organismes du secteur routier doivent présenter des dossiers d'investissement solides sur des programmes nationaux et infranationaux susceptibles de rapporter des bénéfices économiques évidents. Il faut pour cela réaliser des évaluations ciblées pour tirer parti des ressources appropriées, qu'il s'agisse des allocations budgétaires des gouvernements centraux, des impôts, des assurances publiques et privées ou des recettes provenant des contraventions. Du côté du secteur privé, s'assurer du respect d'exigences strictes en matière de sécurité pour les projets routiers ou les concessions, en fonction d'évaluations précises qui englobent les questions de sécurité routière dès le départ, est un moyen d'apporter des ressources importantes.

Il est indispensable que les pays dégagent et garantissent des financements à long terme pour la sécurité routière. Mais ce n'est pas une tâche facile, surtout quand les capacités et les ressources sont limitées. C'est pourquoi la Banque mondiale et le GRSF aident les pays à recenser des possibilités d'amélioration du réseau routier et à mobiliser des financements. Par exemple, une évaluation de sécurité réalisée par le GRSF sur l'axe routier Tulu Dimtu-Kality, en Ethiopie, a conduit à un projet de rénovation d'un montant de 17,5 millions de dollars financés par le gouvernement, pour un effet de levier de plus de 80 dollars par dollar investi.

Tous les décès sur les routes peuvent être évités et la manière d'y parvenir n'a rien de mystérieux. C'est donc un impératif moral que de mettre un terme à cette épidémie mondiale. L'un des caps les plus importants à franchir est de remédier au manque de financement, alors même que nous arrivons au terme fixé pour les objectifs 2020 et que débute le nouveau programme mondial pour la sécurité routière à l'horizon 2030.


Auteurs

Makhtar Diop

Directeur général et vice-président exécutif d’IFC

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