Iraq, Libye, Syrie, Yémen : les conflits armés qui sévissent depuis une décennie au Moyen-Orient et en Afrique (MENA) ont semé la mort, la destruction et le chaos dans la région. Les pays voisins souffrent des retombées des conflits, tandis que d’autres se démènent pour préserver leur stabilité après les Printemps arabes. Or, la guerre a des effets disproportionnés sur la population féminine : elle accroît la fréquence des violences sexuelles et sexistes et restreint la mobilité des femmes et des filles pour l’accès à des services essentiels et aux emplois. Ce sont elles qui ont accès à la nourriture en dernier en période de pénurie alimentaire, et elles qui sombrent dans l’extrême pauvreté et les privations (a) quand les familles perdent leur soutien principal (un homme en général). Elles encore qui auront le plus de difficultés à reprendre possession des terres et des biens perdus au cours du conflit.
La situation dans la région MENA n’échappe pas à cette règle : un nombre disproportionné de femmes et de filles have souffrent des pénuries alimentaires (a) et sont privées d’accès aux structures scolaires et aux équipements de santé. Au Yémen, notamment, plus de 4,5 millions d’enfants et de femmes enceintes ou allaitantes souffrent de malnutrition aiguë, tandis que les taux de mortalité maternelle ont augmenté. Les femmes et les enfants constituent la majorité des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, alors que le nombre de veuves et de ménages dirigés par une femme a atteint un niveau sans précédent.
Mais, dans la région MENA comme ailleurs, la guerre transforme aussi le rôle économique des femmes. Celles-ci ont dû souvent se mettre à travailler dans l’économie informelle et doivent désormais subvenir seules aux besoins de leur famille. Dans tous les pays en situation de conflit, la pauvreté est montée en flèche, entraînant une hausse des mariages précoces (a) : les deux tiers des Yéménites sont mariées avant leurs 18 ans, contre 50 % avant la guerre.
Violences domestiques, enfants mariées ou esclaves sexuelles : les violences contre les femmes et les filles se sont aggravées dans la région (a). Outre ce fait particulièrement alarmant, on assiste aussi, du fait de la prolifération des armes, à une « militarisation de la masculinité » qui prend pour cible la liberté de déplacement, d’expression et d’agir des femmes. En l’absence d’un État fort, les groupes radicaux opposés à l’émancipation des femmes ont gagné du terrain.
La transition ouvre la voie aux femmes
Dans la région MENA, les problèmes d’inégalités entre hommes et femmes ont été traditionnellement relégués au second plan par rapport à des enjeux « plus importants » ou « plus urgents » comme les guerres civiles, les interventions étrangères, le chômage, la corruption et l’autoritarisme. Or, comme le montre l’histoire, l’exclusion de pans entiers de la population est un obstacle majeur à la cohésion sociale, aux institutions démocratiques et à un développement durable.
Le mois dernier, à l’occasion des Réunions de printemps, la Région MENA de la Banque mondiale a proposé un aperçu d’un rapport consacré aux enjeux de la reconstruction pour la sécurité, la paix durable et l’équité. Selon ce travail de recherche novateur à paraître prochainement, les processus de consolidation de la paix et de reconstruction ne doivent plus être seulement guidés par les approches descendantes traditionnelles axées sur l’édification de l’État : celles-ci doivent s’accompagner d’approches centrées sur les populations et inclusives.
Afin d’assurer l’efficacité et la pérennité des efforts de consolidation de la paix, les femmes doivent avoir leur place à la table des négociations et disposer d’un pouvoir de décision. L’enjeu, ici, n’est pas uniquement de faire preuve d’inclusion, mais aussi de contribuer à une paix véritable et durable (a). Outre leur participation aux négociations, les femmes doivent être considérées comme des agents du changement et des facteurs de cohésion sociale au niveau local et national. Elles ont joué un rôle actif de médiation en Syrie et au Yémen, par exemple, où elles ont été chefs de file dans la résolution des différends autour des terres et de l’eau (a), convaincu les milices d’établir leurs camps à l’extérieur de leurs villages et fait campagne pour la libération des prisonniers.
Afin d’améliorer le bien-être et l’autonomie des femmes et de lutter en particulier contre l’appauvrissement toujours plus profond des veuves et des femmes réfugiées ou déplacées, les programmes de protection sociale doivent cibler ces populations et leur garantir un niveau de vie minimum. En procédant à des investissements urgents dans l’éducation et la santé des femmes, la région pourra inverser le déclin de son capital humain et renouer avec la trajectoire de progrès (a) qui prévalait avant qu’elle ne plonge dans l’instabilité. Il est en outre essentiel de s’attaquer de front aux violences de genre pour empêcher qu’elles ne deviennent un fléau généralisé en période de conflit.
Enfin, la région doit impérativement soutenir l’émancipation économique des femmes. Selon une étude récente (a) réalisée par le FMI, le comblement des disparités entre les sexes en matière d’emploi et d’entrepreneuriat pourrait conduire à un gain de revenu de 38 %. Parce qu’elles ont dû travailler pour se procurer des revenus pendant la guerre, les femmes ont acquis des connaissances et des compétences précieuses pour les efforts de consolidation de la paix et de reconstruction. Les pays qui soutiennent le travail des femmes, aussi bien dans le secteur informel que dans l’économie officielle, en tireront des bénéfices conséquents sur le plan de la réduction de la pauvreté et de la sécurité alimentaire.
Comme le souligne la stratégie régionale de la Banque mondiale, l’inclusion sociale est l’un des piliers d’une paix et d’un développement durables dans la région MENA. Cette région a aujourd’hui une occasion historique de tourner la page et de bâtir les fondements de l’inclusion et de l’égalité des sexes au profit des futures générations. Elle ne peut pas ni ne doit la laisser passer.
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