Publié sur Opinions

Internet mobile : l'essor des équipements éducatifs destinés aux villages isolés

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Contourner les obstacles
à la connectivité.

Ces quinze dernières années, des progrès considérables ont été réalisés pour fournir du matériel informatique et un accès internet aux écoles du monde entier. Malgré ces avancées, de nombreux élèves et enseignants ne sont toujours pas connectés (a) ; ils vivent pour la plupart dans des zones rurales de pays à revenu faible ou intermédiaire (ou plus rarement dans des pays de l’OCDE).

Pour y remédier, un grand nombre de pays ont paré au plus pressé, en prenant des mesures provisoires (c’est ce que l’on peut supposer ou, du moins, espérer). Ils ont ainsi testé et préconisé l’utilisation d’équipements mobiles grâce auxquels les élèves de communautés reculées peuvent accéder à un enseignement et des ressources pédagogiques numériques.

Il n’est pas question ici d’apprendre sur un smartphone.

Ces équipements, ce sont notamment des bus connectés à internet et équipés d’ordinateurs qui passent dans les villages une fois par mois. De Big Blue au Zimbabwe (a) au Google Internet Bus (a) en Inde, en passant par d’autres initiatives similaires dans des pays aussi disparates que la Tunisie (a), le Pakistan (a), le Rwanda (a), Maurice (a), les Philippines (a), la Malaisie (a), les États-Unis (a), le Canada (a), le Mexique (a) et la Chine (a), on a assisté à l’apparition de divers types de salles de classe itinérantes à technologie embarquée, et cette tendance semble vouée à se développer largement.

La plupart de ces projets paraissent avoir été imaginés et mis en œuvre en vase clos, sans jamais s’adosser à des expérimentations similaires dans d’autres pays. Même lorsque leur objectif s’apparente (pour être parfaitement honnête) plus à un coup politique et à une opération de relations publiques (a) qu’à une activité à visée pédagogique, ne faudrait-il pas fournir des lignes directrices aux responsables de ces initiatives afin de maximiser le rendement des investissements consentis ?

Et, pour aller plus loin, pourquoi ne pas tirer de ces expériences des enseignements qui pourraient être utiles aux investissements en cours dans d’autres secteurs ? Je pense en particulier au transport scolaire, à l’apprentissage à distance, aux salles d’informatique à l’école et à l’accès internet en milieu rural.

Historiquement, certaines de ces initiatives sont apparues dans l’orbite du mouvement porté par la fondation Telecentre (a), qui s’est illustré en Asie du Sud, avec les projets Daknet en Inde (a), eTUKTUK (a) au Sri Lanka, le Telecentre on wheels (a) dans le Bengale-Occidental, ainsi que dans d’autres régions du monde (avec le programme Vasconcelos (a) au Mexique, par exemple).

De plus, des initiatives plus anciennes telles que les bibliobus et les laboratoires scientifiques itinérants s’adaptent peu à peu pour intégrer, de multiples façons, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). L’Internet Archive Bookmobile (a) est un exemple célèbre de ce à quoi pourrait ressembler un bibliobus à l’ère d’internet ; le Nepal Book Bus (a) est une autre illustration. Dans le monde entier, on a vu les populations rurales innover et utiliser leurs animaux — des chameaux (a), des ânes (a), etc. — pour transporter des bibliothèques mobiles ; le Zimbabwe (a) a cherché à transposer ce mode de transport à l’ère numérique.

Aux États-Unis et au Canada, plusieurs districts ont doté les bus scolaires d’une connexion Wi-Fi après s’être aperçus que de nombreux élèves issus de zones rurales mettaient à profit leurs longs trajets quotidiens pour faire leurs devoirs. Celui de Coachella, en Californie (a), apporte son soutien à l’initiative peut-être la plus connue dans ce domaine ; mais on trouve d’autres exemples au Minnesota (a), en Arizona (a) et en Alberta (a). Au Rwanda (a), plus de 400 bus bénéficient d’une couverture 4G, offrant aux passagers (et à de nombreux élèves) une connexion gratuite à internet lorsqu’ils empruntent les transports publics.

Le terme « d’éducation mobile » renvoie souvent à l’utilisation d’appareils de petite taille (des téléphones, par exemple) que l’on peut facilement transporter. L’ironie, pourtant, c’est qu’on les utilise en mode sédentaire (assis, debout, couché…). D’après certains experts de renom, si l’on veut connaître les dernières évolutions en matière de technologie mobile, il faut se désintéresser des appareils portatifs (un secteur bientôt saturé et où l’innovation décline, d’après certains) et se tourner vers l’automobile.

Certaines approches éducatives se situent à mi-chemin de ces deux univers « mobiles » : au Royaume-Uni (a), par exemple, où un bus a été transformé en salle de classe connectée en permanence, ou en Californie, où un bus se déplace dans les communautés défavorisées pour relayer un signal Wi-Fi (a) et faire en sorte que les enfants disposent d’une connexion chez eux. Dans le cadre du projet Samsung Solar Powered Internet School (a), des élèves au Kenya (a) et en Afrique du Sud (a) ont cours dans des conteneurs de 12 mètres installés à côté de leur école. Ces locaux sont dotés de plusieurs ordinateurs et d’une connexion internet alimentés par l’énergie solaire. Voilà un exemple de salle de classe internet mobile… qui ne se déplace pas.

En dépit de la visibilité de nombre de ces projets (qui sont à la fois des opérations de communication faciles pour les politiques et des sujets d’actualité sympas pour les médias), on ne sait pas grand-chose de ces initiatives.

  • Où prennent-elles place ?
  • Quel contexte et quels obstacles récurrents expliquent qu’elles voient le jour ?
  • Quels sont les modèles de déploiement les plus fréquents ?
  • Quelles catégories d’utilisateurs ciblent-elles ?
  • À quoi ressemblent ces environnements pédagogiques ?
  • À qui appartiennent ces équipements ? À qui est confiée leur gestion ?
  • À quelles fréquences sont-ils le plus souvent utilisés (sur la journée, la semaine ou le mois) ?
  • Quels sont les modes d’usage les plus courants ?
  • Quelles sont les configurations technologiques les plus usuelles ?
  • Quelles sont les bonnes (ou les mauvaises) pratiques émergentes associées ?
  • Que savons-nous des coûts et des avantages associés ?
Et, plus fondamentalement :
  • Ces initiatives sont-elles viables et constituent-elles des approches d’un bon rapport coût-efficacité pour aider les enseignants et les élèves de communautés isolées à tirer parti des atouts que présente l’informatique éducative ou leur fournir un accès à des équipements spécialisés pour l’enseignement des sciences, des mathématiques et de la technologie ?
Ou plutôt :
  • Ne sont-elles pas, en définitive, que des gadgets onéreux et très médiatisés, qui, sur le plan pratique, ne font rien pour réduire la fracture numérique ?
Comme l’attention s’est focalisée sur l’éducation que reçoivent aujourd’hui les enfants réfugiés itinérants, plusieurs organisations envisagent le recours à des salles de classe mobiles « non traditionnelles », en privilégiant pour la plupart l’utilisation des TIC. Or, à ce que je sache, aucune enquête rigoureuse n’a été (encore) menée à l’échelle mondiale qui étudierait l’usage d’équipements informatiques mobiles destinés à offrir un accès internet aux professeurs et aux élèves issus de communautés isolées, dans le but de consigner et de recenser tous les enseignements pratiques des diverses initiatives qui ont eu lieu dans le monde depuis environ dix ans. Quelqu’un devrait peut-être s’en charger, avant que certains groupes ne décident d’investir des sommes considérables dans de tels projets à grande échelle… 
 
Cet article est une traduction d'un billet paru sur le  blog EduTech (en anglais). Si le sujet vous intéresse, nous vous recommandons également :  
Note : le cliché du jeepney bondé a été pris dans le sud des Philippines par le photojournaliste Keith Bacongco. Transférée à l’origine sur Flickr, je l’ai trouvée via  Wikimedia Commons ; son utilisation est soumise à la licence Creative Commons - Attribution Generic 2.0.
 

Auteurs

Michael Trucano

Spécialiste de l'éducation et des TIC

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