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Le commerce mondial ne progresse quasiment plus. Le populisme nuit à la croissance

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Le commerce mondial ne progresse quasiment plus. Le populisme nuit à la croissance Cargo ships with full container receipts to import and export products worldwide

L'organe décisionnel suprême de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) aura toutes les raisons de s'inquiéter lors de sa réunion du 26 février. Le commerce international, moteur essentiel de la prospérité mondiale depuis la chute du mur de Berlin, s’est grippé et devrait rester anémique dans les années à venir.  En 2023, on estime que les échanges de biens et de services n'ont progressé que de 0,2 %, soit le rythme le plus lent depuis 50 ans, en dehors des récessions mondiales. Sans la croissance du commerce des services, les échanges auraient enregistré une baisse pure et simple. Le commerce des marchandises a en effet reculé d'environ 2 %, ce qui constitue la contraction la plus forte de ce siècle hors période de récession mondiale. La croissance du commerce s'améliorera cette année, mais elle restera inférieure de moitié au taux moyen enregistré au cours de la décennie précédant la pandémie. Fin 2024, le commerce mondial aura enregistré les cinq années de croissance les plus faibles depuis les années 1990.

La croissance mondiale du commerce ralentit

Fin 2024, le commerce mondial aura enregistré les cinq années de croissance les plus faibles depuis les années 1990.

Global Trade Growth is Slowing
Source : Banque mondiale

Ces chiffres sont de mauvais augure pour le niveau de vie des populations partout dans le monde. L'expansion rapide du commerce mondial après 1990 a permis à un milliard de personnes de s'affranchir de l'extrême pauvreté. Elle a stimulé la croissance des économies en développement, permettant à nombre d'entre elles de réduire l'écart de revenu avec les économies plus riches. Au cours de la première décennie de ce siècle, le rythme de progression du revenu par habitant dans les économies en développement était supérieur de 3,5 points de pourcentage à celui des économies développées. Le commerce a également accéléré la diffusion des technologies, contribuant ainsi à la croissance de la productivité dans le monde entier.

Pourtant, la mémoire est courte. Dans de nombreux pays, le populisme nuit aujourd'hui gravement au commerce mondial. Beaucoup de pays renoncent à conclure de nouveaux accords commerciaux.  Depuis le début des années 2020, seulement cinq accords sont signés en moyenne chaque année, soit moitié moins que dans les années 2000. En revanche, les pays semblent avoir un appétit insatiable s'agissant des restrictions commerciales. En 2023, près de 3 000 restrictions commerciales ont été imposées dans le monde, soit environ cinq fois plus qu'en 2015. Comme on peut s'y attendre, la faiblesse prolongée du commerce coïncide avec un ralentissement prononcé de l'investissement.

Les accords commerciaux régionaux sont en perte de vitesse

Les pays ne sont plus aussi friands d'accords commerciaux.

Regional Trade Agreements are on the Decline

Note : Nombre moyen de nouveaux accords commerciaux par an. Ce chiffre ne prend pas en compte les accords signés par le Royaume-Uni. Sources : Banque mondiale ; Organisation mondiale du commerce.

Que faire ? La communauté internationale pourrait commencer par renforcer l'ordre international fondé sur des règles. Les décideurs politiques devraient s’attacher à réaffirmer les principes fondamentaux : la nécessité d'abaisser les barrières commerciales, d'éviter les politiques nationales qui faussent la concurrence et d’instaurer des règles du jeu équitables et inclusives dans le commerce international. Plus précisément, ils doivent aider l'OMC à remplir son mandat. Les attentes à l'égard de la réunion de l'OMC sont à juste titre modestes, mais celle-ci constitue une occasion importante de faire progresser l’agenda du commerce.

Au niveau national, il est temps que les pays se défassent de leur engouement pour les restrictions commerciales, dont les coûts à long terme sont souvent nettement supérieurs aux potentiels avantages à court terme. Les récentes restrictions commerciales n'ont que peu modifié les interdépendances qui prévalent entre les pays. Par exemple, à la suite du différend commercial entre les États-Unis et la Chine, les pays dont la croissance des exportations vers les États-Unis s’est accélérée entre 2017 et 2022 ont également enregistré une augmentation significative de leurs importations en provenance de Chine. Les restrictions commerciales se traduisent en général principalement par une hausse des prix, car les chaînes d'approvisionnement s’allongent et se complexifient davantage.

Les restrictions commerciales se multiplient

Les pays optent de plus en plus pour des restrictions commerciales, un signe inquiétant pour la croissance mondiale

Les restrictions commerciales se multiplient

Note : Nombre d'interventions de politique commerciale affectant le commerce des biens et des services. Les mesures de restriction/libéralisation sont des interventions qui défavorisent/avantagent les intérêts commerciaux étrangers. Données ajustées pour tenir compte des retards de déclaration au 31 décembre 2023. Sources : Global Trade Alert ; Banque mondiale.

Des concepts apparemment inoffensifs, comme la « délocalisation amicale » et la « délocalisation de proximité », peuvent eux aussi être contre-productifs. Ces mesures peuvent être motivées par le désir compréhensible de protéger les chaînes d'approvisionnement. En réalité, les chaînes d'approvisionnement mondiales diversifiées sont davantage des sources de résilience que de vulnérabilité. À long terme, les efforts visant à réduire les chaînes d'approvisionnement mondiales risquent d'affaiblir la croissance potentielle en limitant la diffusion des technologies internationales, en réduisant l'efficience et en faisant grimper les coûts.  Les décideurs politiques qui entravent le commerce international se tirent une balle dans le pied.

Il est temps, en outre, que les pays relancent le processus d'élargissement des accords commerciaux. Même dans un contexte mondial incertain pour le commerce, certains pays ont réussi à conclure de nouveaux accords importants. La Zone de libre-échange continentale africaine, qui est entrée en vigueur en mai 2019 avec 22 signataires, s'est depuis élargie et comprend 47 pays à compter de ce mois-ci. Il s'agit de la plus grande zone de libre-échange par le nombre de pays participants. Son objectif est ambitieux : créer un marché unique pour les biens et les services dans la région.

Au cours de l'année écoulée, l'économie mondiale s'est suffisamment bien comportée pour que les gouvernements, et les consommateurs, considèrent les avantages du commerce international comme acquis. Une récession mondiale a été évitée, en grande partie grâce à la vigueur de l'économie américaine et de quelques grandes économies émergentes. Pourtant, la croissance mondiale devrait ralentir pour la troisième année consécutive. Les principales locomotives de l'économie mondiale (les économies avancées et la Chine) vont ralentir le pas cette année. Les attaques visant les navires commerciaux transitant par la mer Rouge et la sécheresse au Panama perturbent deux des routes maritimes les plus importantes du monde.

Les gouvernements du monde entier seraient bien avisés de redoubler d'efforts pour donner un nouveau souffle au commerce mondial. Pour ce faire, ils doivent réduire les incertitudes liées à la politique commerciale , chercher de nouvelles voies pour développer le commerce international et restaurer le système commercial mondial fondé sur des règles.

Ce billet a d'abord été publié en anglais sur le site Barron’s le 22 février 2024. 


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Auteurs

Ayhan Kose

Économiste en chef adjoint et directeur de la cellule Perspectives de la Banque mondiale

Alen Mulabdic

Économiste, macroéconomie, commerce et investissement de la Banque mondiale

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