Publié sur Opinions

Le Pakistan doit mettre les femmes et les filles au cœur de sa stratégie de reprise après la pandémie

Cette page en:
Roheela Bibi, dans son commerce à Sheikhupura, dans le Pendjab (Pakistan) | Source : www.pakstockphoto.com | Photographe : Asad Zaidi Roheela Bibi, dans son commerce à Sheikhupura, dans le Pendjab (Pakistan) | Source : www.pakstockphoto.com | Photographe : Asad Zaidi

Ce billet fait partie de la série « Act Now Pakistan », consacrée aux idées, aux politiques et aux actions qui permettront au Pakistan de sortir plus fort de la crise du coronavirus.

L’entreprise de broderie et d'ornements de Samina était, depuis trois ans, florissante. Les bénéfices payaient les frais de scolarité des enfants, et, après des débuts modestes, Samina était devenue la principale source de revenus de sa famille. Au plus fort de son activité, l'entreprise installée à Karachi comptait 9 employées gagnant chacune 40 000 roupies pakistanaises par mois.

Puis la pandémie de COVID-19 a frappé, réduisant à néant la demande pour ses produits, et Samina a maintenant du mal à joindre les deux bouts.

Elle n'est pas seule dans cette situation : des milliers d'entrepreneures pakistanaises subissent des pertes de revenus considérables depuis que le virus est apparu. 

Selon une étude récente, les microentreprises pakistanaises dirigées par des femmes, souvent plus petites que celles détenues par des hommes, ont 8 % de chances de plus de perdre la totalité de leurs recettes pendant la pandémie.  

Le coronavirus aggrave les inégalités entre les femmes et les hommes

Le virus exacerbe des disparités qui sont profondément enracinées au Pakistan, déjà au bas du classement dans le domaine de l’égalité entre les sexes. Il est donc à craindre que certains des acquis économiques et sociaux pour lesquels les femmes ont tant lutté soient anéantis.

Dans le contexte actuel d’incertitude économique, les emplois informels qui représentent la majeure partie de l'emploi féminin ont été les premiers à disparaître.  La plupart des femmes employées dans l’économie informelle, en particulier celles qui travaillent à domicile, ont donc perdu leur source de revenus. En outre, plus d'un quart des femmes pakistanaises ont été licenciées ou privées de leur emploi dans différents secteurs d'activité. Les enfants étant à la maison en période de confinement, ce sont également les femmes qui assument la plus grande part des tâches domestiques, ce qui limite encore leurs perspectives économiques.

Mais au-delà de ses conséquences économiques, la pandémie a aussi fortement perturbé les services de santé essentiels pour les femmes et les enfants, tout comme l'éducation.

Le fonctionnement de la plupart des centres de santé reproductive et de planning familial du Pakistan n'est pas encore revenu à la normale. Les visites pré et postnatales n'ont plus lieu, car les agents de santé communautaires sont soit confinés, soit réticents à se déplacer en raison du manque d'équipements de protection individuelle. Les rapports de terrain font état de l’angoisse des femmes enceintes et de l’impossibilité pour certaines femmes d’obtenir les contraceptifs dont elles ont besoin pour leur santé et pour éviter des grossesses.

Dans sa lutte contre le coronavirus, le Pakistan doit mettre en place des politiques économiques et sociales qui répondent aux besoins spécifiques des femmes.

Pendant ce temps, les centres de quarantaine, les salles d'isolement et les autres établissements de santé ne sont pas équipés correctement pour venir en aide aux groupes vulnérables comme les femmes, les personnes transgenres et les anciens. Il n'y a pas d'intimité pour la toilette personnelle et pas davantage de produits hygiéniques de base pour les femmes en période de menstruation.

En ce qui concerne l'éducation, les filles risquent de voir leur situation se détériorer à cause du coronavirus. Les conclusions générales des études menées après Ebola et d'autres catastrophes confirment que lorsqu'elles rencontrent des difficultés financières, de nombreuses familles à faible revenu refusent de renvoyer leurs filles à l'école parce qu'elles ont besoin d'elles pour s'occuper des tâches ménagères supplémentaires ou pour gagner plus d'argent grâce au travail informel.

Pour aggraver la situation, les violences à l'égard des femmes sont en augmentation — en nombre et en intensité —, car de nombreux services et centres d'assistance téléphonique ont fermé, tandis que la plupart des refuges (Dar-ul Aman) n'ont pas de protocoles de prévention du coronavirus et ne peuvent pas accueillir de nouvelles personnes.

Les services de lutte contre les violences de genre étaient déjà insuffisants avant la pandémie, quand on sait que 28 % des femmes et des filles pakistanaises de plus de 15 ans déclarent avoir subi des violences physiques. La sécurité de ces femmes et de beaucoup d'autres qui vivent sous le même toit que leurs agresseurs est de plus en plus précaire.

Sur le plan économique, le pays prépare un projet visant à relancer les microentreprises, en particulier celles dirigées par des femmes.

Image
Un groupe de femmes travaillant dans une usine de textile (Pakistan) | Source : www.pakstockphoto.com | Photographe : Asad Zaidi
Un groupe de femmes travaillant dans une usine de textile (Pakistan) | Source : www.pakstockphoto.com | Photographe : Asad Zaidi

De nouveaux efforts en faveur de l'égalité des sexes 

Dans sa lutte contre le coronavirus, le Pakistan doit mettre en place des politiques économiques et sociales qui répondent aux besoins spécifiques des femmes.  

Sur le plan économique, le pays prépare un projet visant à relancer les microentreprises, en particulier celles dirigées par des femmes.  Avec l'appui de la Banque mondiale, cette initiative permettra également de fournir des smartphones aux salariés, et notamment aux femmes, afin que toutes et tous puissent accéder à des formations en ligne susceptibles de les aider à créer des entreprises prospères.

Sachant qu'il est plus probable qu'une femme aille travailler si l'environnement est sûr et favorable, la Banque mondiale et l'ONU accompagnent les gouvernements provinciaux et fédéraux dans l'adoption de politiques et la conception de programmes qui facilitent l'emploi féminin , tels que des transports sûrs, une aide pour la garde des enfants et la lutte contre le harcèlement sexuel au travail.

Pour aider les parents et les autres membres de la communauté à comprendre les bienfaits de l'éducation des filles et encourager leur retour à l'école, la Banque mondiale va lancer une campagne de sensibilisation basée sur des plateformes en ligne, des programmes radiophoniques et télévisuels et des SMS, couplés à des réunions participatives avec les communautés. 

Par ailleurs, pour lutter contre les violences de genre, tous les gouvernements provinciaux devraient rétablir et renforcer les services destinés aux femmes dès la levée des mesures de confinement. Le ministère des Droits de l'homme, le Fonds des Nations Unies pour la population et l'ONG Rozan ont ainsi élaboré des protocoles de prise en charge destinés aux centres d'accueil pendant la pandémie de COVID-19, qui peuvent être étendus aux établissements de tout le pays. Des solutions technologiques telles que celle mise en place sur WhatsApp par le ministère peuvent également permettre aux victimes de signaler les cas d'agression et de violence domestique.

Enfin, la Banque mondiale soutient un service d'assistance téléphonique national qui traite les cas de harcèlement sexuel sur internet. Elle appuie également la réalisation de campagnes d'information pour faire connaître les services destinés aux victimes et pour contribuer à former les prestataires de soins.

Il est urgent que le Pakistan adopte des politiques inclusives à grande échelle pour combattre les inégalités socio-économiques entre les sexes qui sont profondément ancrées dans la société et qui se sont creusées pendant la crise  du coronavirus. Dans le cas contraire, le pays mettra plus de temps à se relever de la pandémie et ses efforts tenaces pour assurer la prospérité de toute sa population seront compromis.


Auteurs

Uzma Quresh

Spécialiste du développement social et des questions du genre, Banque mondiale

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000