Cet article est le 11e d’une série de billets publiés cette année par des doctorants en recherche d'emploi.
De 2010 à 2012, j'ai travaillé comme volontaire du Peace Corps dans les campagnes maliennes. J’ai pu constater que les enfants étaient davantage susceptibles de ne pas aller à l’école durant les périodes de plantation et de récolte. Leurs familles devaient en effet choisir entre les envoyer en classe ou les faire travailler dans les champs, au détriment parfois de l’école. Dans mon rapport de recherche (a), j’examine les répercussions du chevauchement des calendriers scolaire et agricole sur les investissements dans la scolarité des enfants.
Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, les enfants participent fréquemment aux activités de production agricole de la famille, ce qui peut provoquer des conflits avec leur scolarité puisque le calendrier scolaire couvre, en moyenne, plus de 50 % du nombre total de jours de l’année. Les pays ne modifient que rarement leurs calendriers scolaires, qui sont étroitement corrélés à ceux des pays de la région ainsi qu’à ceux des pays dont ils étaient auparavant des colonies. En comparant les calendriers scolaires et agricoles à l’échelle de l’Afrique subsaharienne, j’ai mis en évidence que les pays dans lesquels le pourcentage de jours communs aux deux calendriers est le plus élevé affichent également des taux d’achèvement du primaire plus faibles (graphique 1). Toute augmentation d’un point de pourcentage de ce chevauchement se traduit par une diminution moyenne de 2,4 points de pourcentage du taux de rétention jusqu’en cinquième année du primaire (par rapport à un taux de référence de 71,6 %). Bien que cela ne prouve pas l’existence d’une relation de cause à effet, il semble que ce chevauchement puisse contribuer à expliquer des écarts allant jusqu’à 40 points de pourcentage entre les taux d’achèvement du primaire dans les différents pays d’Afrique subsaharienne.
Figure 1 : Taux d’achèvement du primaire et chevauchement entre les calendriers scolaire et agricole en Afrique subsaharienne
Théoriquement, l’allocation du temps d’un enfant aux activités scolaires et aux activités agricoles a pour limite la somme du nombre total de jours figurant dans le calendrier scolaire et du nombre total de jours figurant dans le calendrier agricole moins le nombre de jours figurant dans les deux calendriers à la fois. Par conséquent, lorsque le nombre de jours communs aux deux calendriers augmente (sous réserve que la durée de ces calendriers ne change pas), le temps total pouvant être consacré aux activités scolaires et aux activités agricoles diminue, et il est vraisemblable que les ménages réduisent le temps affecté par leurs enfants à ces deux types d’activités.
Une « expérience naturelle » au Malawi : modification du calendrier scolaire
Dans le but de déterminer si le chevauchement des calendriers scolaire et agricole a des répercussions, j’ai procédé à l’analyse du glissement de quatre mois du calendrier scolaire au Malawi ; ce dernier constitue l’un des six changements majeurs apportés aux calendriers scolaires en Afrique subsaharienne durant la période 1997-2019. La modification décidée au Malawi, qui avait pour objet de mieux aligner le calendrier scolaire sur ceux des administrations publiques, des universités et des pays voisins, fournit un exemple de choc exogène plausible sur le chevauchement entre calendrier scolaire et calendrier agricole. Le graphique 2 décrit cette expérimentation naturelle en indiquant la modification nette du nombre de jours d’école par mois provoquée par cette décision politique par rapport au calendrier agricole du Malawi. Il montre que cette action a eu pour effet de déplacer des jours de scolarité dans une période durant laquelle la demande de main-d'œuvre agricole est plus forte — à savoir la saison des pluies durant laquelle les plantations ont lieu (plus précisément de novembre à décembre) — ce qui a accru le chevauchement entre le calendrier scolaire et le calendrier agricole normal.
Figure 2 : Les modifications apportées au calendrier scolaire au Malawi ont accru son chevauchement avec la période agricole de pointe
Dans le but d’estimer les facteurs causals, j’ai comparé les niveaux d’instruction les plus élevés atteints par des jeunes d’âge scolaire exposés différemment au choc, à partir des résultats de l’enquête intégrée par panel auprès des ménages réalisée au Malawi. Le degré d’exposition est déterminé par les cultures prédominantes dans la communauté à laquelle appartient l’élève : par exemple, les communautés cultivant surtout du soja (planté en décembre) ont été davantage touchées par l’accroissement du chevauchement entre les calendriers scolaire et agricole que celles cultivant plutôt du sésame (qui est planté en janvier). J’ai donc posé en principe que la modification du chevauchement entre les calendriers scolaire et agricole induite par la décision des pouvoirs publics était une nouvelle variable d’analyse structurelle-résiduelle. L’élément « structurel » est le choc qui s’exerce au niveau des cultures, c’est-à-dire la modification du nombre de jours de chevauchement entre les calendriers cultural et scolaire. L’hypothèse d’identification retenue se présente comme suit : les chocs exercés au niveau des cultures par les chevauchements sont au moins aussi marqués que s’ils se produisaient de manière aléatoire, ce que corroborent la motivation non agricole de la modification du calendrier scolaire, les tests d’équilibre et un test des tendances préalables. J’ai ensuite affecté des coefficients de pondération aux chocs exercés au niveau des cultures, établis en fonction de la proportion (« variable résiduelle ») des terrains affectés à la production de chaque culture, qui peut être considérée comme endogène. J’ai ensuite procédé à une analyse de régression des principaux résultats observés par rapport à la variable de chevauchement de l’analyse structurelle-résiduelle en neutralisant les effets, notamment, de la somme des proportions des terrains affectés aux cultures par les communautés et des résultats obtenus avant le changement de calendrier. Face aux préoccupations récemment formulées quant à un rejet excessif dans le cadre de l’estimation de l’analyse structurelle-résiduelle, j’ai eu recours à une procédure d’induction par randomisation à la frontière et réalisé une analyse de régression des niveaux de choc pondérés par les proportions des terres consacrées aux différentes cultures.
Le chevauchement entre les calendriers scolaire et agricole ralentit le passage d’une année d’études à la suivante
Selon mes résultats, au bout de quatre ans, une augmentation de 10 jours du chevauchement entre le calendrier scolaire et la période agricole de pointe entraîne une réduction du passage à la classe supérieure de 0,34 année d’études — soit une année d’étude par groupe de trois enfants — les impacts les plus négatifs étant enregistrés pour les filles et les ménages les plus pauvres. Ces effets résultent essentiellement du chevauchement avec la période de plantation, activité à forte intensité de main-d’œuvre concentrée sur une période d’environ 45 jours pour toutes les cultures de la saison des pluies. L’ampleur de ces effets indique que la prise en compte des besoins en main-d’œuvre agricole devrait occuper une place de premier plan dans la fixation du calendrier scolaire et que le chevauchement entre les calendriers scolaire et agricole peut effectivement contribuer dans une large mesure à expliquer les disparités observées en Afrique subsaharienne sur le plan des niveaux d’instruction.
D’après mes résultats, toute augmentation de 10 jours du chevauchement du calendrier scolaire avec les périodes agricoles de pointe entraîne aussi une diminution de 11 % de la participation des enfants aux activités de plantation et de récolte des exploitations familiales durant la saison des pluies, ce qui confirme la prédiction selon laquelle le chevauchement entre les calendriers scolaire et agricole réduit le temps consacré aux deux activités. Selon la manière dont est perçu le travail d’un enfant dans une exploitation familiale, ce résultat peut être jugé encourageant ou préoccupant. Abstraction faite de cette considération, je constate également que, bien que les ménages touchés embauchent davantage de main-d’œuvre agricole, cela n’a pas d’effet négatif sur leurs bénéfices agricoles. Ce résultat est intéressant, car il indique que les ménages, soit n’accordent guère de valeur à la scolarité, soit surestiment la productivité de leur enfant avant le changement de calendrier.
Quel est le calendrier scolaire qui réduit le plus le chevauchement avec le calendrier agricole ?
Afin de déterminer le calendrier scolaire qui peut réduire le plus possible ce chevauchement au Malawi, j’ai procédé à des simulations basées sur d’autres calendriers scolaires plausibles pour estimer leur effet sur le passage d’une année d’études à la suivante. Les recommandations particulières formulées pour le Malawi procurent des enseignements de vaste portée que les responsables de l’éducation d’autres pays d’Afrique subsaharienne pourraient souhaiter prendre en compte. Celles-ci consistent à :
1.Établir le calendrier scolaire qui assure la meilleure concordance entre les congés scolaires et les périodes durant lesquelles la demande de main-d'œuvre agricole est la plus forte. Au Malawi, ce calendrier débute à la deuxième semaine de janvier : les congés de fin d’année tombent de ce fait en décembre, à une période de plantation à forte intensité de main-d’œuvre.
2. Envisager la possibilité de procéder à des adaptations du calendrier à une échelle plus locale. Au Malawi, le chevauchement des calendriers scolaire et agricole s’améliore (diminue) de 12 % de plus lorsque les collectivités adoptent leur propre calendrier de manière à réduire le plus possible ce chevauchement dans leur cas particulier, plutôt qu’un calendrier qui réduit le chevauchement moyen pour toutes les communautés. Pourquoi, par exemple, ne pas laisser les conseils locaux de l’éducation fixer une période de vacances scolaires pouvant allant jusqu’à deux semaines qui peut être rattrapée à la fin de l’année (comme les « jours de neige » au Michigan) ?
L’ensemble de ces conclusions montre que le calendrier scolaire peut être lui-même un moyen d’intervention utile pour accroître le temps passé à l’école en Afrique subsaharienne. Au lieu de partir du principe que la répartition du temps de l’enfant entre l’école et le travail agricole est un jeu à somme nulle, les responsables de l’action publique ont la possibilité, grâce au calendrier scolaire, d’alléger la contrainte sur le temps total disponible pour ces deux activités productives. En évitant des chevauchements avec le calendrier agricole, le calendrier scolaire peut avoir pour effet d’accroître la fréquentation scolaire des enfants qui sont les plus susceptibles de manquer l’école en raison des besoins agricoles de leur famille.
James Allen IV (a) est un doctorant en économie et politique publique à l’université du Michigan, spécialiste de l’économie du développement, de l’économie du travail et des politiques publiques. Outre son rapport de recherche, il étudie également les stratégies permettant d’améliorer la prestation de soins de santé aux populations ayant de faibles revenus.
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