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La province de l'Ontario (a), au Canada, a annoncé le mois dernier qu'elle s'associerait à la Californie et au Québec au sein d'un système de plafonnement et d'échange destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Saluée par les observateurs du marché du carbone, cette décision montre comment les administrations locales peuvent éviter les longues batailles politiques que doivent souvent mener les gouvernements nationaux au moment de soumettre leurs objectifs à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (a).
En cette période où les États sont en mal d'ambition, est-ce que cette forme d'action locale pourrait être l'amorce d'un mouvement beaucoup plus étendu ?
La semaine dernière, j'ai assisté à la conférence Navigating the American Carbon World (NACW) à Los Angeles, afin de prendre le pouls, sur le terrain, de la dynamique (a) à l’œuvre autour des mesures de tarification du carbone. J'y ai découvert que beaucoup de collectivités locales prennent des initiatives contre le changement climatique.
L'action locale en Amérique du Nord
Commençons par l'État hôte, la Californie, qui exploite le plus grand système d'échange de quotas d'émission (EQE) au monde compte tenu de son poids économique (si l’on se réfère à son PIB, la Californie a récemment dépassé la Russie et l'Italie pour devenir la huitième économie de la planète). Après deux ans de fonctionnement sous ce régime, les statistiques révèlent que l'économie californienne est en plein essor : elle a un taux de progression de 3,3 %, alors que celui du pays est de 2,5 %. Parallèlement, selon une évaluation de l'Environmental Defense Fund (a), la pollution climatique émise par la Californie, pour chaque dollar de PIB, a diminué de 6,6 % en 2013 par rapport à 2009.
La mise en place du système d'EQE en Californie a coïncidé avec le début d’une grave sécheresse (a), aux effets sensibles pour la population. Aussi observe-t-on, sur le plan politique, un soutien beaucoup plus marqué en faveur de la lutte au changement climatique. Mercredi dernier, le gouverneur Jerry Browne a publié un décret (a) accélérant le rythme d'un programme déjà ambitieux en la matière et visant à mettre en œuvre la loi historique de 2006 exigeant de réduire, d’ici 2050, les émissions de GES de 80 % par rapport à leur niveau de 1990. En vertu du décret, l'État doit atteindre la moitié de cet objectif, soit une réduction de 40 %, d'ici 2030.
Aux États-Unis, la Californie n'est pas le seul champion de l’action climatique locale. Des États habituellement conservateurs, comme le Texas et le Michigan (a), dont le gouverneur a récemment fixé un objectif de 40 % d'énergie propre, s’emploient à accélérer la production d'énergies renouvelables pour réduire les importations de charbon et créer de l'emploi. À la NACW, des représentants de l'État de Washington et de l'Oregon se sont joints à ceux de la Californie pour évoquer des plans de tarification du carbone dont l’adoption pourrait être imminente. Alors que l’État de Washington (a) est aux prises avec un budget déficitaire et peine à financer le transport et l'éducation, son gouverneur Jay Inslee a proposé il y a quelques mois l’instauration d’un marché du carbone qui pourrait générer des revenus annuels de 1,5 million de dollars. L'Oregon, qui est membre du Pacific Coast Collaborative, s'est inspiré de l'exemple de ses voisins pour proposer, le mois dernier, une norme relative aux carburants propres.
Un peu plus au nord, au Canada, la Colombie-Britannique a mis en place une taxe fructueuse sur le carbone et l'Alberta adopté un règlement sur les grands émetteurs industriels ; après la décision de l'Ontario de se joindre au Québec pour créer une bourse du carbone d'ici 2017, ce seront bientôt près de 75 % des Canadiens qui vivront sous un système ou un autre de tarification du carbone.
Pour le ministre de l'Environnement du Québec, David Heurtel, les administrations locales comme la sienne montrent que « c’est possible » : il est possible de lutter contre le changement climatique tout en faisant croître l'économie et en créant de nouveaux débouchés commerciaux. Le système d'EQE du Québec générera 3,3 milliards de dollars canadiens d'ici 2020 ; ces recettes viendront garnir le Fonds vert, qui a pour mission d'investir dans l'énergie, l'efficacité énergétique et le développement des transports en commun. Selon David Heurtel, même si la population doit faire face à une légère hausse du prix de l'essence, elle comprend que le prix à payer pour le carbone est un investissement dans son avenir.
Le ministre de l'Environnement de l'Ontario, Glen Murray, considère pour sa part que sa province adopte des mesures « de rationalisation du carbone, pas de tarification du carbone ». À ses yeux, la taxe sur le carbone est en effet un catalyseur essentiel pour que la province se dote d'industries moins énergivores et plus productives. Elles seront alors capables de combler l'écart qui les sépare des États-Unis, premier partenaire commercial de l'Ontario.
Les industriels s'engagent
Chose intéressante, face à cet élan des administrations locales, le milieu des affaires est largement favorable aux mesures mises en place.
Le rapport de l’Environmental Defense Fund conclut que le prix des droits d’émission a permis aux sociétés californiennes d'intégrer le prix du carbone dans leurs stratégies commerciales et d'investir davantage dans l'efficacité énergétique et les énergies propres. Il y a aussi un nombre croissant d'entreprises qui s'intéressent au « filon » que constitue le système d’EQE californien. Les enchères d'EQE ont à ce jour produit des recettes de 900 millions de dollars, qui alimentent un « fonds pour la réduction des émissions de GES » (a). Ce fonds finance des projets visant à réduire encore davantage les émissions, et réserve aussi 25 % de son capital aux collectivités défavorisées.
On entend aussi un message de plus en plus engagé de la part des entreprises californiennes. Apple a annoncé récemment qu'elle finançait une grande centrale solaire en Chine, dans le cadre de sa stratégie d'approvisionnement exclusif et rentable en énergie renouvelable. Le Silicon Valley Leadership Group (a). qui inclut Apple et d'autres géants de la technologie comme Facebook, Google et HP, appuie le programme du gouverneur Browne, considérant que la lutte contre le changement climatique est une source d'emplois et de croissance.
Selon une enquête récente de l'Advanced Energy Economy Institute, la Californie est l'État américain qui compte le plus d'emplois de pointe reliés à l'énergie, avec 430 000 travailleurs employés dans le secteur des énergies propres (a). Entre 2006, quand la Californie a adopté sa loi révolutionnaire B32 (a), et 2013, l'État a reçu plus d'investissements en capital-risque dans les technologies propres (a) que tous les autres États américains combinés : 21 milliards de dollars, contre 19 milliards.
Du local au mondial
Que conclure de tout cela ?
Les ministres et les hauts fonctionnaires présents à la NACW se sont entendus sur l'idée que c’est aux gouvernements locaux comme la Californie, le Québec et l'Ontario qu’il incombe de gérer les risques climatiques. En effet, ils en constatent les effets sur le terrain et comprennent que l'inaction coûte bien plus cher que n’importe quelle mesure de tarification du carbone. Ils ne croient pas que les gouvernements nationaux agiront à temps, dans le contexte politique actuel. Par ailleurs, ils font la preuve que l'action climatique se traduit par une hausse de la croissance, de la productivité et de la prospérité.
Ils ne vont pas s'arrêter là. Plus de 20 villes, États fédérés et provinces (a) se sont déjà dotés d’un système de tarification du carbone, sous une forme ou une autre, et leurs dirigeants s’investissent activement dans l’échange d’idées au sein de groupes comme le C40 Cities Network (a) et le Partenariat pour le développement des marchés du carbone (a).
Ils encouragent aussi d’autres collectivités locales à se fixer des objectifs de « décarbonisation » afin que leur économie stabilise le réchauffement planétaire en deçà de deux degrés Celsius. La Californie (a), par exemple, travaille activement avec le Mexique et la Chine — qui expérimente déjà sept systèmes d'EQE locaux et projette d’adopter sous peu un système national — pour partager son savoir-faire tout en établissant de précieux liens intellectuels et commerciaux avec des dirigeants du monde entier.
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