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Les universités africaines, des leviers pour mettre fin à la fracture numérique

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Deux étudiants africains utilisent leur ordinateur portable et leur téléphone au sein d'une classe | Photo : Shutterstock Deux étudiants africains utilisent leur ordinateur portable et leur téléphone au sein d'une classe | Photo : Shutterstock

Le niveau de connexion des grandes universités en Afrique peine à égaler celui de nombreux établissements secondaires européens ou américains. La bande passante des établissements d’enseignement supérieur africains se situe entre 100 et 1 000 mégabits par seconde, alors que la norme pour les lycées américains est de 3 gigabits par seconde pour 1 000 élèves . C’est en travaillant au rapport Connecting Africa’s Universities to Affordable High-Speed Broadband Internet:What will it take? (a) que je suis tombée sur ces données comparatives qui m’ont stupéfiée.

Certes, la connexion des universités africaines s'est améliorée ces dix dernières années. En Afrique du Sud et dans les pays d’Afrique du Nord, le déploiement est déjà universel. Autre pays leader, le Kenya, où le nombre de campus connectés est passé de 55 en 2009 à 140 en 2013 et 270 aujourd’hui. Toutefois, l’internet reste inaccessible pour de nombreux petits campus du continent.

En 2020, l’épidémie de COVID-19 a entraîné la fermeture des établissements scolaires, coupant le lien des jeunes Africains avec l’éducation et les privant de perspectives professionnelles et de moyens de subsistance, en raison de la place essentielle qu’occupent les technologies dans les études et le monde du travail. Trop d’étudiants sont restés sur le bord du chemin. En 2020, la majorité des étudiants des universités d’État d’Afrique subsaharienne, soit 7 millions de jeunes environ, n’ont pas pu accéder à un enseignement approfondi pendant plusieurs mois. 

La fracture numérique n’a jamais été aussi patente.

Doter les universités africaines d’un accès internet haut débit et abordable fait partie des priorités de l’initiative #DE4A pour l’économie numérique en Afrique (a), dont l’objectif est de faire en sorte que, partout sur le continent, les habitants, les entreprises et les administrations puissent pleinement profiter du numérique d’ici 2030. Les universités africaines ont besoin du haut débit pour élargir l’accès à l’internet, améliorer la qualité de l’enseignement supérieur et promouvoir la recherche et le développement.

L’excellence de la recherche est un élément clé pour l’élaboration de solutions aux défis de développement les plus urgents de l’Afrique. Elle passe par une mise en relation des chercheurs africains avec la communauté scientifique internationale et par une dynamisation des collaborations intercontinentales. Connecter les universités africaines engendrera des retombées positives sur l’ensemble du système éducatif . Et, à la faveur d’une volonté politique affirmée, la connexion des campus pourrait, plus largement, servir de levier à la stratégie de transformation numérique de l’Afrique. 

Doper les réseaux nationaux pour la recherche et l’éducation (NREN)

Les universités constituent un relais essentiel entre universitaires et décideurs politiques, offrant aux chercheurs, aux enseignants et aux étudiants africains la possibilité de collaborer au niveau local et d’être compétitifs au niveau international. De nombreux pays dans le monde ont privilégié le développement de réseaux nationaux pour la recherche et l’éducation (NREN) afin de développer des systèmes dédiés au service des universités et de la communauté scientifique et de doper la connectivité des établissements d’enseignement supérieur.

En Afrique, on assiste aussi à un essor rapide de ces réseaux, qui bénéficient, pour un grand nombre d’entre eux, du soutien de la Banque mondiale. Au Nord, à l’Est et au Sud, les NREN montent en puissance ; en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, ils manquent encore d’élan. D’après le rapport que nous venons de publier, la consolidation et la création de nouveaux NREN sont indispensables pour garantir une connexion haut débit durable et abordable au sein des universités et ailleurs. Les NREN joueront un rôle capital dans le développement d’infrastructures de pointe consacrées à la recherche.

Les plateformes d’apprentissage décentralisées issues de ces réseaux ont assuré des fonctions vitales avec l’apparition de la pandémie. À la suite de la fermeture des établissements, le réseau KENET pour l’éducation au Kenya a permis de basculer en ligne enseignements, recherche et services. Il a bénéficié du soutien de la Banque mondiale dans le cadre du projet pour la transparence et les infrastructures de communication au Kenya (2007-2013) et se classe aujourd’hui parmi les cinq premiers NREN du continent, aux côtés des systèmes mis en place en Afrique du Sud, en Égypte, en Zambie et en Ouganda. L’offre de services de KENET comprend notamment l’hébergement web, la colocalisation de serveurs (pour la récupération de données), des serveurs et des laboratoires virtuels, des ressources cloud dédiées à la recherche, des services web basés sur le cloud et la visioconférence. L’exemple de KENET montre que ces réseaux éducatifs sont susceptibles de se développer plus vite dans les pays où le secteur des télécommunications est libéralisé, gage de tarifs compétitifs pour la location des lignes et d’accès à des opérateurs de fibre optique.

Prix élevés et faible connectivité en Afrique de l’Ouest

Malgré la chute des prix, le développement du haut débit reste confronté à un obstacle financier de taille. Les premiers câbles sous-marins ont connecté la côte Ouest du continent dès 2002, mais le coût de l’internet reste parmi les plus élevés au monde.

Notre rapport montre que dans les pays d’Afrique de l’Ouest, le coût pour le consommateur est souvent alourdi par le « premier kilomètre ». Les monopoles qui régissent les passerelles internationales et les stations d’atterrissage des câbles renchérissent le prix de l’internet au point d’accès. La distribution de bande passante a également un coût élevé. Les NREN font cruellement défaut dans cette partie du continent ; certains viennent d’être créés, mais sans égaler la capacité observée en Afrique de l’Est et australe et en Afrique du Nord.

L’Afrique de l’Ouest vient de lancer une série d’initiatives destinées à inverser ces tendances. Au Sénégal, le gouvernement a pris la décision de généraliser la connectivité dans l’enseignement supérieur. Toutes les universités sont aujourd’hui dotées d’un réseau à fibre optique  directement relié à l’Agence de l’Informatique de l’État. L’installation de la fibre a été subventionnée, et la gestion de l’interconnexion des universités est assurée par les services de l'État. C’est grâce à ce déploiement que l’Université virtuelle du Sénégal a vu le jour. Tous les étudiants du supérieur ont reçu un ordinateur portable (une partie du coût est prise en charge par l’État et le reste est remboursé par l’étudiant sur 12 mois).

L’année écoulée a cruellement mis au jour l’urgence de doter les étudiants de toute l’Afrique d’un accès à l’internet. Les pays qui se mobilisent en faveur d’une connectivité plus rapide et de meilleure qualité seront à même d’améliorer leur système éducatif ainsi que les opportunités, les moyens de subsistance et le bien-être des jeunes générations.


Auteurs

Sajitha Bashir

Cheffe de secteur, Éducation, Afrique orientale et australe

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