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Les usagers au cœur de la résilience

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 Un groupe de gens rassemblés autour d'une fontaine d'eau potable (Crédit photo : Improved or Not Improved ? Water / Sanitation Photo Catalogue / Flickr CC) Un groupe de gens rassemblés autour d'une fontaine d'eau potable (Crédit photo : Improved or Not Improved – Water / Sanitation Photo Catalogue / Flickr CC)

C’est sans doute le grand sujet de la décennie : la résilience, ou comment rebondir après une crise. Ce terme emprunté à la physique s’est étendu à la psychologie, à la sociologie, à l’économie et bien évidemment à la gestion des risques de catastrophe.

Nous y avons d’ailleurs consacré un rapport majeur cette année, intitulé Lifelines : Pour des infrastructures plus résilientes. Cette publication plaide pour une hausse des investissements dans les infrastructures, l’amélioration de la planification et de la réglementation, la mise en place de mesures d’incitation, l’importance des institutions et la disponibilité d’outils et de données de meilleure qualité. Elle s’articule autour de trois axes : la résilience des actifs, des services et des usagers.

Invitée à participer le mois dernier à une table ronde sur la mise en œuvre des recommandations du rapport, j’ai été amenée à me demander qui sont ces « usagers résilients ». Mais, en réalité, la question qu’il faut d’abord se poser est : c’est quoi un USAGER tout court, et de quels usages parle-t-on ?

Penchons-nous sur les inégalités intrinsèques entre usagers. La première oppose ceux qui ont accès aux actifs d’infrastructure et ceux qui en sont privés : qui est raccordé à l’eau courante ? À une route revêtue ? Au réseau de distribution de gaz ? Deuxièmement, ceux qui ont accès aux infrastructures physiques jouissent-ils des services correspondants ? On peut disposer d’un actif d’infrastructure, disons par exemple des toilettes, sans pour autant bénéficier des services d’assainissement qui vont avec. Ou d’un système de canalisations, mais sans eau. Ou encore d’une route, mais sans moyen de transport. Et ainsi de suite... Par conséquent, après avoir circonscrit la notion d’usagers à ceux qui utilisent effectivement un service d'infrastructure, on se retrouve finalement devant un ensemble restreint d’individus ou de groupes, en fonction du pays ou de la zone concernée.

Nous avons publié récemment un rapport sur l’inclusion en Afrique. Les graphiques ci-dessous dressent un état des lieux des taux d’accès à l'électricité et à l’eau dans les pays africains. Il s’agit de chiffres globaux, qui ne rendent pas compte des fortes disparités au sein de chaque pays. En outre, faut-il en déduire que près de la moitié de la population du Mozambique ou du Niger qui n’a pas accès à des services d’eau de base s’en passent tout simplement ? Assurément non. Au contraire, les ménages et les collectivités s’efforcent de trouver des solutions pour pallier le manque de services d’infrastructure en état de marche. Le plus souvent, ils ont recours à des moyens informels  : ici, des habitants mettront en commun leurs ressources pour nettoyer les canaux de drainage, là, ils achèteront de l’eau à des propriétaires de camions-citernes et autres fournisseurs non officiels.

Accès aux services d’eau et d'électricité

a. Accès à l'électricité                                                                                           b. Accès à une source d’eau potable de base ou améliorée
Accès aux services d?eau et d'électricité
Source : Das et Espinoza, 2019, à partir des Indicateurs de développement dans le monde, 2008–2015/2016.
http://datatopics.worldbank.org/world-development-indicators

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par conséquent, par « résilience des usagers », on désigne cette faculté qu’ont les individus, les ménages et les collectivités à imaginer constamment de nouvelles manières de surmonter le manque d’infrastructures . À innover en permanence, toujours en état d’alerte et quasiment jamais sans plan de secours. Ces solutions d’appoint entament leur épargne et leur capital social, mais elles leur permettent de garder la tête hors de l’eau.

Dans une brève note d’orientation sur les inondations urbaines (a) cosignée avec ma collègue Shruti Majumdar, nous écrivons : « Quand ils sont abandonnés en même temps par l’État et le marché, les communautés et les ménages réagissent en développant tout un maillage de stratégies, d’institutions et de réseaux informels . Pendant et après une inondation par exemple, on verra émerger des écoles de fortune dans les quartiers, des habitants s’improviser petits commerçants ou des jeunes équipés d’un vélo ou d’une moto fournir des services de transport. S’adapter devient un mode de vie. »

Juggad
Sonnette de vélo recyclée sur une canne d’aveugle, à proximité du marché de Mangaldas, à Mumbai (Inde). (Crédit photo : Meena Kadri / Flickr CC)

Les Indiens ont un terme qui fait désormais partie du vocabulaire des manuels de gestion et qui recouvre à la fois la capacité d’adaptation et d'atténuation dont les gens font preuve dans l'adversité. La jugaad (a), c’est l’aptitude à se tirer d’affaire avec tout et n’importe quoi.

Cette forme de système D est à la base de l’innovation. Mais ce n’est pas une fatalité, et il pourrait en être autrement si l’État et le marché fonctionnaient correctement. Il relève de la responsabilité fondamentale des pouvoirs publics d’établir comment les citoyens et résidents de leur pays utilisent les actifs et les services d’infrastructure, quels sont les individus, ménages et groupes qui constituent cette population d’usagers et où ils vivent, et de faire en sorte qu’ils disposent de systèmes garants d’un bon fonctionnement.


Auteurs

Maitreyi Bordia Das

Director, Trust Funds and Partner Relations, Development Finance (DFi)

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