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Les liens entre pauvreté et préparation aux catastrophes en Haïti

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Children carrying water in Haiti. Photo: free license (Pixabay) Children carrying water in Haiti. Photo: free license (Pixabay)

La plupart des gens se souviennent du tremblement de terre dévastateur qui a frappé Haïti en 2010, coûtant la vie à plus de 220 000 personnes. Cette tragédie a eu un retentissement mondial, mais elle s’inscrit malheureusement dans une longue liste de calamités. Au cours de la dernière décennie, Haïti a subi neuf catastrophes naturelles, dont l’ouragan Matthew en 2016 et un nouveau séisme en 2021, qui ont eu des effets dévastateurs et fait apparaître la grande vulnérabilité du pays.

Pauvreté et catastrophes naturelles sont inextricablement liées. Les catastrophes exacerbent la pauvreté, avec le risque d’entraîner durablement les pays dans une spirale de vulnérabilité. Son exposition aux risques naturels, conjuguée à une fragilité sociopolitique chronique, rendent Haïti particulièrement vulnérable à l’impact des catastrophes.  Et si le pays a accompli des progrès significatifs en se dotant en 2020 d’un système national de gestion des risques de catastrophe et d’une législation en la matière (avec le soutien de la Banque mondiale et d’autres organisations), les ressources font défaut pour garantir de bonnes mesures de prévention, de préparation, d’intervention et de relèvement.

Les enseignements des enquêtes téléphoniques à haute fréquence

En 2021, en pleine COVID-19, la Banque mondiale a mené deux cycles d’enquêtes téléphoniques à haute fréquence dans l’ensemble du pays. L’exercice visait à recueillir des données sur le bien-être des ménages pendant la pandémie et à mieux comprendre les liens entre pauvreté et résilience aux catastrophes. L’analyse de ces données a débouché sur les constats suivants :

  • La majeure partie de la population haïtienne vit dans des ménages confrontés à la menace de multiples risques naturels.  On estime que 23 % des personnes interrogées vivent dans des ménages exposés à un ou deux types d’aléas naturels, et 68 % dans des ménages touchés par trois types de catastrophes ou plus. Les vagues de chaleur, les cyclones, les précipitations extrêmes et les sécheresses sont les risques naturels les plus fréquemment cités par les ménages.
  • Les ménages les plus pauvres sont davantage exposés que les plus riches. L’enquête montre que la plupart des risques naturels menacent davantage les foyers à bas revenus. Ainsi, 25 % des personnes appartenant aux 40 % de la population dont le niveau de vie est le plus bas ont déclaré vivre dans un ménage exposé aux séismes, contre 17 % chez les 60 % les plus aisés. On observe des écarts similaires pour les autres aléas naturels : inondations, glissements de terrain, fortes houles et incendies de forêt.
  • La plupart des habitants de zones à faible revenu vivent dans des localités où la préparation de la population aux catastrophes est faible. Seulement 9 % des ménages ont accès à un plan d’urgence, et moins de 25 % des ménages disposent de comités ou de personnes formées localement pour intervenir en cas de catastrophe. Bien que rares, les itinéraires d’évacuation (61 %) et les abris de secours (47 %) constituent les mécanismes collectifs de survie les plus courants.

Mécanismes de survie par groupe de niveau de vie (%)

Mécanismes de survie par groupe de niveau de vie (%)

Source : Enquêtes téléphoniques à haute fréquence (HFPS) de la Banque mondiale, 2021 ; estimations des dépenses de consommation calculées selon la méthodologie de l’enquête sur les conditions de vie des ménages après le séisme (ECVMAS).

 

  • Les résultats des enquêtes téléphoniques mettent également en évidence des disparités entre les sexes, les femmes étant confrontées à des difficultés supplémentaires : les ménages dirigés par une femme font état d’un accès moindre aux itinéraires d’évacuation, avec un écart de 5 points de pourcentage par rapport aux ménages dirigés par un homme. Il en est de même en ce qui concerne les taux d’accès aux abris (45 % chez les femmes, contre 48 % chez les hommes).

 

Mécanismes de survie selon le sexe du chef de ménage (%)

Mécanismes de survie selon le sexe du chef de ménage (%)

Source : Enquêtes téléphoniques à haute fréquence (HFPS) de la Banque mondiale, 2021 ; estimations des dépenses de consommation calculées selon la méthodologie de l’enquête sur les conditions de vie des ménages après le séisme (ECVMAS).

 

  • Plus de 80 % des ménages déclarent ne pas être préparés à la survenue d’une catastrophe.  Fait remarquable, le manque de préparation est général, tant chez les pauvres que chez les riches : 15 % seulement des ménages appartenant aux 60 % de la population dont les dépenses de consommation sont les plus élevées ont déclaré faire des réserves dans l’éventualité d’une catastrophe (contre 9 % pour les ménages pauvres).
  • La pandémie a détérioré encore davantage la capacité des ménages à faire face aux catastrophes : 66 % d’entre eux ont indiqué être moins bien préparés qu’auparavant, avec un écart sensible entre les ménages les plus pauvres, où ce chiffre atteint 71 %, et les quintiles les plus riches (63 %).

 

État de préparation des ménages face à une catastrophe par groupe de niveau de vie (%)

État de préparation des ménages face à une catastrophe par groupe de niveau de vie (%)

Source : Enquêtes téléphoniques à haute fréquence (HFPS) de la Banque mondiale, 2021 ; estimations des dépenses de consommation calculées selon la méthodologie de l’enquête sur les conditions de vie des ménages après le séisme (ECVMAS).

 

Cinq mesures pour renforcer la préparation et la réponse aux catastrophes

Les gouvernements et les organisations internationales doivent veiller à ce que les populations défavorisées et marginalisées soient mieux en mesure d’anticiper les risques de catastrophe et d’y faire face. Pour Haïti, cela consiste à :

  1. Accroître les investissements publics dans la préparation et la réponse aux catastrophes, avec notamment la réalisation de plans complets d’évaluation et de gestion des risques. Ces investissements porteront par exemple sur le développement de systèmes d’alerte précoce et d’infrastructures d’intervention d’urgence, ainsi que sur le renforcement des capacités des équipes de protection civile.
  2. Appuyer les capacités de préparation et d’intervention au niveau local, notamment dans le cadre des comités communaux de protection civile (CCPC), ainsi que l’élaboration de plans d’urgence. Ce soutien doit permettre aux CCPC d’accéder à des équipements et des formations qui les aideront à se préparer et intervenir efficacement en cas de catastrophe.
  3. Faciliter un soutien accru en faveur des populations vulnérables en leur apportant des aides financières (subventions ciblées, crédits ou prêts), en leur permettant d’acquérir des terrains sûrs et en construisant des habitations résilientes.
  4. Renforcer l’éducation et la sensibilisation du public à la gestion des risques de catastrophe en ciblant les communautés et les ménages vulnérables.
  5. Lutter contre les inégalités sexuelles en matière de préparation aux catastrophes en fournissant une aide ciblée aux ménages dirigés par des femmes et en veillant à ce que celles-ci soient intégrées dans les programmes de gestion des risques.

Mieux se préparer à affronter l’impact d’une catastrophe relève d’une responsabilité collective. C’est pourquoi il est indispensable d’impliquer toutes les parties prenantes pour veiller à ce que chaque membre de la société, et tout particulièrement les plus vulnérables, dispose des outils et des moyens nécessaires pour se préparer et faire face.


Auteurs

Gustavo Canavire-Bacarreza

Économiste senior, pôle Pauvreté et équité, Banque mondiale

Naraya Carrasco

Spécialiste senior de la gestion des risques de catastrophe, Banque mondiale

Luis Recalde-Ramírez

Consultant, pôle Pauvreté et équité, Banque mondiale

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