Notre alimentation est-elle bonne pour notre santé ? Et pour l'environnement ? Est-elle d'un prix abordable, en particulier pour les femmes et les enfants ? Nous réfléchissons souvent à ces questions séparément les unes des autres, alors qu'il faudrait se les poser conjointement de manière à comprendre en quoi il faut changer nos régimes alimentaires afin d'assurer à la fois une meilleure santé pour tous et pour notre planète.
Passer des référentiels mondiaux à une analyse des situations locales
Pour nous donner une idée de la qualité nutritive et diététique de notre assiette par rapport aux normes établies dans notre pays, il existe des recommandations nationales. En général, celles-ci ne tiennent pas compte de l'impact de l'alimentation sur l'environnement.
À l'inverse, le « régime de santé planétaire » (a) formulé par la Commission EAT-Lancet est un référentiel nutritionnel qui tient compte tant de la santé humaine que de l'environnement, en intégrant les enjeux des émissions de gaz à effet de serre (GES), de l'utilisation de l'eau et de la perte de biodiversité. Face à la norme mondiale que propose ce référentiel, le fait est que la consommation alimentaire, son coût et ses conséquences environnementales diffèrent d'un pays à l'autre.
Selon une étude publiée en 2020 dans la revue Nature Food (a), si tous les pays adoptaient le régime de santé planétaire, les émissions totales de GES diminueraient dans une considérable mesure, mais dans certains pays, surtout à revenu faible ou intermédiaire, qui en émettent très peu, cela aurait l'effet inverse. En outre, comme le signale une autre étude, réalisée en 2020 par Global Environmental Change (a), des modifications différentes de nos régimes alimentaires dans un but de protection de l'environnement se traduiront d'un pays à l'autre par des conséquences différentes sur les émissions de GES et sur l'utilisation de l'eau.
Une approche uniforme pour déterminer l'impact des régimes alimentaires sur le milieu naturel ne peut fonctionner. Il faudrait au contraire commencer par évaluer pour chaque pays le modèle alimentaire, la valeur nutritionnelle, les effets environnementaux et l'accessibilité de la nourriture, puis comparer cela aux recommandations locales, selon plusieurs scénarios.
Figure 1 : Les émissions de GES au Bangladesh vont augmenter si la consommation alimentaire suit les recommandations nutritionnelles nationales, et a fortiori celles de EAT-Lancet
Une étude menée par la Banque mondiale et par le Programme alimentaire mondial (PAM) sur le Bangladesh (a) analyse l'évolution de l'alimentation dans ce pays de 2000 à 2016 (figure 1) (a). En 2016, les Bangladais consommaient moins de féculents qu'auparavant et davantage de fruits, légumes, poisson, viande et œufs, mais aussi plus de sucre et d'huile. Si leur alimentation a un peu gagné en qualité nutritive, elle se caractérisait encore en 2016 par de très importantes carences en micronutriments. Les émissions de GES au Bangladesh résultant de l'alimentation ont augmenté de 15 % de 2000 à 2016, en raison principalement d'une consommation plus importante de viande bovine.
Cette analyse montre en outre que les émissions de GES augmenteraient de 10 % si la consommation suivait les recommandations nationales et de plus de 20 % si elle suivait celles de la commission EAT-Lancet, ce qui s'explique surtout par une forte incitation à la consommation de lait. Par conséquent, il faut absolument orienter les investissements visant à accroître la productivité agricole (a) et à diversifier les cultures vers une production moins intensive et plus respectueuse du climat (a).
D'autres études sur le Bangladesh (voir ici [a] et ici [a]) montrent qu'une grande partie de la population n'a pas les moyens de consommer une alimentation saine et nutritive. Certaines personnes, les adolescentes (a) par exemple, dont les besoins énergétiques et donc nutritionnels sont plus élevés, risquent davantage d'être atteintes de malnutrition, puisque l'alimentation qui leur convient est plus coûteuse. Nous savons par ailleurs qu'au niveau mondial, la crise de la sécurité alimentaire et nutritionnelle affecte les femmes de manière disproportionnée (a).
Une analyse menée en Indonésie (a) par des chercheurs extérieurs à la Banque mondiale compare la consommation actuelle dans ce pays à une série de scénarios et produit, pour chacun d'entre eux, une estimation de la valeur nutritionnelle, des émissions de GES, de l'empreinte hydrique et du coût de l'alimentation. L'étude examine ensuite différents moyens d'améliorer la valeur nutritive et l'accessibilité de l'alimentation tout en limitant son impact sur l'environnement (voir aussi ici [a]).
Une plateforme pour trouver des synergies au profit de tous et de la planète
La nécessité de se tourner vers des régimes alimentaires plus sains pour les êtres humains comme pour la planète passe par la recherche de synergies qui aboutissent à un maximum d'avantages pour tous, tout en limitant les compromis. Les pouvoirs publics doivent disposer d'instruments qui permettent d'identifier ces synergies et de prendre des décisions plus éclairées en matière de politiques alimentaires.
ENHANCE (a) est un outil prometteur que développent actuellement le PAM, Capgemini, le Zero Hunger Lab de l'université de Tilburg et l'université Johns Hopkins. Il s'agira d'une plateforme en accès libre qui, d'après des analyses aux niveaux national et infranational, identifiera les synergies entre les coûts, l'impact environnemental, les préférences alimentaires culturelles et l'adéquation nutritionnelle, y compris pour les plus vulnérables, ce qui permettra de mieux concevoir les mesures et actions de transformation des systèmes alimentaires.
Figure 2 : ENHANCE, modèle d'analyse environnementale, nutritionnelle et sanitaire pour les régimes nationaux de consommation courante et d'urgence
Parallèlement au développement de ces outils visant à une meilleure compréhension de l'impact nutritionnel et environnemental des régimes alimentaires, la Banque mondiale aide les États à envisager une refonte de leurs politiques agroalimentaires de façon à favoriser des régimes plus sains et plus durables.
Il existe des moyens de reconcevoir les politiques publiques dans le but de réduire le coût des régimes alimentaires, avec des résultats positifs pour tous (voir ici [a]) :
- Adapter les méthodes de production alimentaire de sorte de réduire leur impact sur l'environnement, et soutenir la production de cultures plus nutritives
- Améliorer la valeur nutritionnelle et limiter les pertes en nutriments lors de la transformation et de l'enrichissement des produits
- Améliorer l'accès à des aliments nutritifs et enrichis pour les plus vulnérables dans le cadre de programmes de protection sociale ainsi qu'au sein des établissements scolaires et sur les lieux de travail
- Influencer les goûts des consommateurs via des stratégies de changement des comportements sociaux
Pour transformer notre système alimentaire (a) de façon à améliorer la santé, la nutrition et l'environnement et pour mettre une alimentation saine et nutritive à la portée de tous, nous devons joindre nos efforts et recourir à des outils d'aide à la prise de décision fondés sur les réalités locales.
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