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Maroc : comprendre la faible participation des femmes à la vie active

Femmes du Haut Atlas au Maroc - Photo : Shanti Hesse/Shutterstock.com Femmes du Haut Atlas au Maroc - Photo : Shanti Hesse/Shutterstock.com

L’insertion des femmes sur le marché du travail est une difficulté chronique au Maroc. Pourtant, les avantages d’une participation accrue des femmes à la population active sont évidents, tant sur le plan macroéconomique, où elle permettrait d’améliorer la capacité de production du pays et de soutenir la croissance, que sur le plan microéconomique, où elle se traduirait par une plus grande reconnaissance sociale des femmes, avec à la clé un investissement des ménages plus important dans l’éducation et la santé.

À ce jour, le peu d’études microéconomiques examinant les raisons pour lesquelles la participation des femmes demeure si faible au Maroc sont pour la plupart dépassées. Dans un document de travail intitulé Trends and Determinants of Female Labor Force Participation in Morocco: An Initial Exploratory Analysis (a), nous nous penchons sur les défis auxquels le Maroc est confronté. Notre travail dresse dans un premier temps le profil de la main-d’œuvre marocaine, les facteurs démographiques jouant un rôle clé dans les taux d’activité. Dans un deuxième temps, nous analysons les caractéristiques qui défavorisent les femmes, au niveau individuel et des ménages. Les données proviennent de 18 enquêtes nationales sur l’emploi réalisées entre 2001 et 2018, trois enquêtes mondiales sur les valeurs menées entre 2001 et 2011, ainsi que de quatre enquêtes de l’Arab Barometer conduites de 2006 à 2017.

Au Maroc, le taux de participation des femmes à la population active reste l’un des plus bas du monde. Il a même régressé en vingt ans, malgré un PIB par habitant plus élevé, un taux de fécondité plus faible   et un meilleur accès à l’éducation. Avec un taux de 21,6 % en 2018, le Maroc occupait en 2018 la 180e place sur un échantillon de 189 pays. En d’autres termes, 78,4 % des Marocaines âgées de 15 à 65 ans n’étaient ni en activité ni à la recherche d’un emploi. 

En outre, dans une région — Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) — traditionnellement marquée par un faible niveau d’activité féminine, le Maroc figure parmi les rares pays qui ont connu une baisse prolongée de ces taux, et ce depuis le plus longtemps : la participation des Marocaines au marché du travail a culminé à 26,3 % en 2004. Si cette tendance persistait, le taux d’activité féminine au Maroc pourrait être inférieur à la moyenne régionale (21%). 

La démographie : un élément clé 

L’étude des caractéristiques de la main-d’œuvre marocaine nous indique que, même si le taux d’activité des femmes et des hommes a globalement diminué ces vingt dernières années, un écart de 50 points de pourcentage persiste entre les sexes (figure 1), avec des dynamiques différentes en zones urbaines ou rurales. Chez les hommes, ce fléchissement concerne en majorité les jeunes, en raison de leur plus grande scolarisation ; chez les femmes, cette tendance à la baisse touche tous les âges sans être nécessairement corrélée aux études. Ces aspects démographiques ont une incidence sur le taux d’activité, mais aussi sur l’emploi et le chômage.

Figure 1. Taux d’activité des femmes et des hommes : de fortes disparités persistent 

 

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Source : HCP Enquête National sur l’emploi (ENE), 2001-2018

Globalement, ces tendances mettent au jour l’existence de deux marchés du travail distincts : l’un en milieu rural, où l’emploi et l’activité sont plus élevés chez les deux sexes, et l’autre en milieu urbain, où l’inactivité, très majoritaire chez les femmes, reste relativement faible chez les hommes, mais gagne du terrain.

L’importance des rôles assignés à chaque sexe, notamment pour l’activité des femmes

Quels freins entravent l’insertion des femmes sur le marché du travail ? Pour répondre à cette question, nous avons recouru à des modèles probit et à un modèle logit multinomial. D’après nos résultats, certaines caractéristiques chez les individus et dans les ménages font obstacle à l’activité des femmes, la création d’emplois urbains au Maroc n’ayant pas contrebalancé la destruction d’emplois agricoles. Ces caractéristiques s’ajoutent au préalable d’une baisse globale du taux d’activité pour les deux sexes. Voici les principales conclusions de notre étude :

  • Il y a corrélation entre hausse du niveau d’instruction et augmentation du taux d’activité chez les femmes, même si ce lien s’effrite au fil du temps. L’éducation des femmes a un impact très inégal, selon les régions et le niveau d’instruction ;
  • Au sein d’un foyer, plus le chef de famille est instruit, plus il y a de chances qu’une femme ne travaille pas. Cette incidence croît avec le temps, surtout chez les ménages ruraux ; 
  • le mariage diminue la probabilité d’une participation au marché du travail. Le célibat réduit la probabilité d’être inactif de 30 % en milieu urbain et de 20 % en zones rurales ; 
  • au sein d’un foyer, la probabilité qu’une femme ne travaille pas augmente avec la présence d’autres femmes inactives. Cette incidence croît avec le temps en milieu rural comme en milieu urbain. 

Y a-t-il d’autres facteurs susceptibles d’expliquer le déclin de l'activité des femmes au Maroc ? En particulier, les limites qui pèsent sur la demande d’emploi féminin pourraient être liées à une vision traditionnelle à l’égard du travail des femmes qui écarte celles-ci de la vie active.

Dans une enquête réalisée en 2011, 75 % des hommes et 47 % des femmes ont répondu qu’ils étaient d’accord avec l’affirmation suivante : « Quand les emplois sont rares, les hommes devraient avoir plus le droit à un emploi que les femmes ». Par conséquent, en partant de l’hypothèse qu’en matière de travail, les hommes décident pour les femmes, on peut s’attendre à une moindre participation des femmes à la vie active en raison de l’idée profondément ancrée selon laquelle l’homme doit être le soutien de famille et devrait accéder en priorité aux offres d’emploi, tandis que la femme devrait se consacrer aux tâches domestiques.

À l’affirmation « Les femmes peuvent travailler à l’extérieur de leur foyer si elles le souhaitent », 35,6 % des hommes interrogés ont exprimé leur désaccord contre seulement 14,8 % des femmes. Les femmes sont, à l’évidence, nettement plus nombreuses que les hommes à penser qu’elles ont le droit de travailler. 

Au fond, le Maroc doit encore faire le constat des bénéfices induits par la participation des femmes à la vie active en contrepoint de son développement. La persistance des disparités entre les hommes et les femmes peut relever d’une création insuffisante d’emplois en milieu urbain qui compenserait la destruction des emplois en zones rurales. Parallèlement, le taux de chômage des femmes en milieu urbain dépasse celui des zones rurales, ce qui tendrait à indiquer que leur découragement est à l’origine de la progression de l'inactivité féminine. Les caractéristiques démographiques sont également des facteurs importants : nombre d’enfants, situation matrimoniale, niveau d'études du chef de famille, éducation des femmes, etc. Enfin, les rôles assignés à chaque sexe sont susceptibles d’éloigner les femmes du marché du travail et de freiner le redressement des taux d'activité féminine.


Auteurs

Gladys Lopez-Acevedo

Économiste principale, pôle mondial Pauvreté et équité, Banque mondiale

Florencia Devoto

Directeur de projet, Morocco Employment Lab, J-PAL Moyen-Orient et Afrique du Nord

Jaime Alfonso Roche Rodriquez

Consultant, pôle Pauvreté et équité, Banque mondiale

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