Le monde se trouve à un point d’inflexion démographique qui engendre à la fois des défis et des opportunités. D’une part, les pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure, en particulier en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, voient leur population en âge de travailler augmenter alors qu’ils rencontrent un problème majeur : la création d’emplois n’est pas suffisante pour absorber tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail. D’autre part, de nombreux pays à revenu élevé et intermédiaire de la tranche supérieure vieillissent rapidement et pourraient connaître une pénurie cumulée de 750 millions de travailleurs d’ici 2050. Ce déficit ne peut être entièrement résorbé par l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail ou par le report de l’âge de la retraite. En revanche, une solution potentielle réside dans la mobilité internationale de la main-d’œuvre. La création de partenariats mondiaux pour les compétences(a) est l’exemple même d’un modèle qui peut contribuer à relever ces défis en mettant les compétences en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi par-delà les frontières.
Le défi : l’inadéquation des compétences à l’échelle mondiale
Malgré les avantages potentiels de la mobilité internationale de la main-d’œuvre, l’inadéquation des compétences à l’échelle mondiale est considérable. Les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur ont fait des progrès en matière de scolarisation, mais leurs taux bruts dans l’enseignement secondaire et supérieur restent nettement plus bas que ceux des pays à revenu élevé et intermédiaire supérieur. Résultat : la qualité de l’éducation présente de graves lacunes dans ces pays. Par conséquent, les nouveaux arrivants sur le marché du travail dans les pays où la main-d’œuvre est abondante possèdent des niveaux de compétences inférieurs à ceux des travailleurs qui partent à la retraite dans les pays connaissant des déficits de main-d’œuvre. Pour remédier aux pénuries de compétences dans des secteurs tels que la santé, l’hôtellerie, les énergies renouvelables et les technologies de l’information, il faut investir massivement dans l’éducation et la formation technique dans les pays qui abriteront la plus grande part de la main-d’œuvre mondiale.
Éducation et formation : deux moteurs essentiels
Si les inquiétudes concernant la fuite des cerveaux sont légitimes dans certains contextes, la mobilité internationale de la main-d’œuvre peut cependant amplifier les bénéfices de l’éducation et de la formation dans les pays d’origine à revenu faible, comme le prouvent des exemples passés. Ainsi, à l’époque du boom des technologies de l’information dans les années 1990, les investissements de l’Inde dans les universités polytechniques ont permis de former un grand nombre de travailleurs, dont certains sont partis à l’étranger et ont ensuite transféré des connaissances et des technologies à l’Inde à leur retour, soutenant ainsi la hausse des exportations de services dans ce secteur. De même, la possibilité d’émigrer a incité un nombre croissant de Philippins à étudier les soins infirmiers, ce qui a entraîné une augmentation significative du nombre d’infirmières diplômées dans le pays.
Les partenariats mondiaux pour les compétences
Les marchés ne peuvent à eux seuls résoudre l’inadéquation des compétences à l’échelle mondiale. En tant que modèle de mobilité internationale de la main-d’œuvre, les partenariats mondiaux de compétences (ou « GSP » selon l’acronyme en anglais) offrent un « triple avantage » : ils bénéficient aux pays ayant un excédent de main-d’œuvre, à ceux où les emplois sont plus nombreux que les travailleurs, et aux travailleurs eux-mêmes. Les GSP sont des accords bilatéraux de formation et de mobilité entre les pays d’origine et les pays de destination à revenu élevé, conçus pour répondre aux besoins en compétences des deux parties. Ils atténuent les pénuries de main-d’œuvre dans les pays de destination par des voies légales (circuit « extérieur ») tout en amplifiant l’offre de travailleurs sur les marchés de l’emploi des pays d’origine (circuit « intérieur »). Les GSP présentent trois caractéristiques spécifiques :
- La formation dans le pays d’origine — dont le coût financier est généralement inférieur à celui du pays de destination — est déterminée par la demande dans les deux pays.
- Si le financement est une responsabilité partagée par les parties prenantes des deux pays, les employeurs et les gouvernements des pays de destination à revenu élevé sont largement en mesure d’y contribuer.
- La mobilité de la main-d’œuvre est facilitée par des circuits flexibles et légaux.
Quelques exemples de partenariats
L’Australia Pacific Training Coalition (APTC) est un bon exemple de partenariat. Lancée en 2007, la Coalition a contribué à améliorer les systèmes éducatifs et de formation professionnelle dans neuf États insulaires du Pacifique et au Timor-Leste. Depuis le début du programme, l’APTC a formé plus de 20 000 personnes dans des domaines à forte demande tels que la construction, l’hôtellerie, l’ingénierie et les soins de santé. Alors que la plupart des diplômés restent dans leur pays d’origine, depuis 2019, environ 8 % ont migré pour travailler en Australie, ce qui a été facilité par la conformité de la formation avec les exigences légales et l’implication d’employeurs australiens.
De même, le partenariat entre l’Agence allemande pour la coopération internationale et les Philippines (a), dans le domaine des soins infirmiers, démontre qu’il existe des moyens efficaces de gérer la reconnaissance des compétences, la viabilité financière et la fuite des cerveaux. La formation organisée dans des installations modernisées, les modules supplémentaires requis en Allemagne et l’apprentissage de l’allemand aident les participants à faire reconnaître leurs compétences plus rapidement sur le lieu de destination. Le financement par les employeurs allemands du secteur hospitalier permet de maintenir le programme dans la durée, tandis que le fait que davantage de participants restent dans leur pays d’origine contribue à réduire la fuite des cerveaux.
Dans une région comme l’Asie du Sud, où des millions de personnes émigrent pour trouver de meilleurs débouchés, le développement des compétences pourrait jouer un rôle capital en améliorant les perspectives d’emplois de meilleure qualité et mieux rémunérés, tant au niveau national qu’international, tout en réduisant les risques d’exploitation des travailleurs. Lors de la récente Conférence sur la mobilité de la main-d’œuvre en Asie du Sud (a), les responsables politiques ont mis en avant des initiatives telles que le Triple Win Program qui bénéficie aux pays d’origine, de destination et aux migrants eux-mêmes, dans le cadre duquel des infirmières diplômées du Kerala, en Inde, ont reçu une formation linguistique et technique pour travailler en Allemagne.
Recommandations pour les responsables politiques des pays en développement
Pour les économies en développement qui souhaitent maximiser les bénéfices de la mobilité internationale de la main-d’œuvre grâce à des GSP, trois leviers d’action sont à privilégier :
Investir dans l’éducation et la formation : donner la priorité aux investissements dans l’éducation et la formation technique afin d’améliorer les niveaux de compétences et de répondre aux demandes du marché du travail mondial.
Collaborer avec les pays de destination : renforcer les partenariats avec les pays à revenu élevé afin de mettre les programmes de formation en concordance avec les besoins du marché du travail et d’en assurer la viabilité financière.
Limiter la fuite des cerveaux : mettre en œuvre des stratégies destinées à conserver les talents dans le pays tout en bénéficiant du transfert de connaissances grâce à la mobilité internationale de la main-d’œuvre.
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