Dans un monde de plus en plus interconnecté, la fiscalité internationale n’est plus seulement le domaine spécifique des juristes spécialisés, mais un champ qui intéresse l’ensemble des acteurs du développement économique. De plus en plus de pays ont recours à ce que l’on appelle des conventions fiscales, c’est-à-dire des accords conclus entre deux États pour éviter que des entreprises multinationales ou des particuliers ne soient imposés deux fois. Plus de 3 000 conventions fiscales sont aujourd’hui en vigueur dans le monde. Cependant, même si elles peuvent encourager les investissements, certaines sont aussi devenues des instruments d’optimisation fiscale agressive.
Dans les pays, les conventions fiscales ont, jusqu'ici, peu fait l’objet d’une véritable analyse coûts-avantages. Or, selon plusieurs études globales (a), ces accords peuvent coûter des sommes considérables. Nous nous sommes récemment penchés sur le cas de l’Ukraine, dans une étude consacrée aux coûts directs et indirects des conventions fiscales (a) dans ce pays. Nous espérons que ce travail de recherche pourra servir de base à des analyses permettant une évaluation plus systématique des coûts et avantages liés à ce type d’accord.
Les conventions fiscales visent à prévenir les situations de double imposition et ont pour avantages supposés de faire augmenter les flux d’échanges et d’investissement, de sécuriser les investissements — même si, comme l’a récemment noté Martin Hearson, un accord déséquilibré risque au contraire d’accroître l’incertitude (a) —, de contribuer à la lutte contre la fraude fiscale et de renforcer les relations politiques entre les pays. Mais ces avantages ont également un coût, essentiellement imputable à l’abaissement des taux de retenue et à la limitation de la compétence en matière fiscale. En outre, on constate que de plus en plus d’entreprises et de personnes physiques utilisent ces conventions à des fins d’optimisation fiscale agressive.
Le coût des conventions fiscales est particulièrement important pour les bénéficiaires de flux de capitaux dans les pays en développement, qui, souvent, ne disposent pas des capacités nécessaires pour bien négocier et administrer ces accords. Nous avons cherché à définir une approche permettant aux autorités qui élaborent les conventions fiscales de mieux prendre en compte à la fois les aspects liés au climat d’investissement et la question des recettes. Notre travail a consisté à estimer les coûts directs et indirects des conventions fiscales en Ukraine en combinant des données macro et micro-économiques. Nous avons ainsi tenté de mesurer la sensibilité des flux de revenus agrégés aux variations de la fiscalité, ainsi que la sensibilité des bénéfices déclarés par les entreprises aux changements survenant dans les réseaux de conventions fiscales.
Nous constatons tout d’abord que les coûts liés à la limitation des droits d’imposition sont particulièrement importants en ce qui concerne les entrées de capitaux dans quelques grands centres d’investissement, comme Chypre, les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg. Plus une convention restreint les droits d’imposition, plus les flux de revenus sont substantiels. Comme l’ont fait observer Jim Brumby, directeur au pôle mondial d’expertise en Gouvernance de la Banque mondiale, et Michael Keen, directeur adjoint du Département des affaires fiscales du FMI, « les conventions fiscales sont comme des baignoires : si l’une fuit, un pays perd des revenus » (a).
Cependant, en raison de la forte élasticité des flux de revenus, les changements qui interviennent au niveau du cosignataire d’un accord ne se traduisent pas forcément par une hausse des recettes fiscales. Si les taux de retenue prévus dans une convention fiscale signée avec un pays partenaire sont relevés, les flux de revenus se réorienteront probablement de manière à profiter d’un autre accord plus attractif. Pour éviter que les conventions fiscales n’entraînent des pertes de revenus, il faut une politique globale et une stratégie de négociation globale.
De plus, au vu des bénéfices déclarés par les filiales ukrainiennes des multinationales, on peut penser que la rentabilité est liée à la structure du capital : les multinationales qui ont des filiales dans des pays ayant mis en place des conventions fiscales attractives sont généralement moins rentables. C’est pourquoi les administrateurs fiscaux qui analysent les stratégies comptables internationales, telles que les prix de transfert, devraient s’intéresser davantage à ces multinationales.
Nos constats montrent l’importance d’une approche globale pour guider la négociation ou la révision des conventions fiscales. Une convention fiscale sera bénéfique si ses avantages l’emportent sur ses coûts . L’analyse des avantages doit par conséquent porter sur l’ensemble du réseau de conventions. Rappelons que, lorsque les investissements sont simplement réorientés de façon à profiter d’une convention fiscale, mais qu’ils auraient été quand même réalisés sans cet accord, les gains potentiels ne compensent pas les pertes de revenus.
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