Publié sur Opinions

Nous dirigeons-nous vers un monde sans emploi ?

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Photo: Wikimedia Commons De la roue à la machine à vapeur, de la voiture à New Horizons, cette sonde spatiale capable de transmettre des photos haute définition de Pluton et de ses lunes, ou encore du boulier aux supercalculateurs travaillant à l’échelle exa, l’humanité a entretenu un flirt appuyé avec la technologie et fait ainsi un sacré bout de chemin. L’innovation ne cesse d’engendrer des changements technologiques rapides et nous vivons dans un environnement de perpétuelle transformation.
 


En 1965, le cofondateur de la société Intel, Gordon Moore, avait prédit que le nombre de transistors par circuit intégré doublerait tous les 18 à 24 mois. Les ramifications de cette fameuse loi de Moore dans pratiquement tous les aspects de notre quotidien sont difficiles à ignorer. L’information devient plus accessible à moindre coût. La population active s’est mondialisée et rares sont les domaines encore épargnés par l’innovation technologique.
 
Pour autant, le caractère universel et éminemment évolutif des technologies de l’information et de la communication (TIC) inquiète, face au risque de nouveaux déplacements de travailleurs avec, en germe, l’aggravation des écarts entre riches et pauvres. L’évolution technologique et l’intelligence artificielle remodèlent rapidement la structure conventionnelle de notre société.
 
Emplois et automatisation
Dans certains domaines, comme la radiologie — une spécialité médicale qui exige de longues années d’études — les ordinateurs commencent à se substituer à l’homme. Ainsi, les appareils mis au point par BD FocalPoint savent interpréter les clichés médicaux et rechercher des anomalies comme les tumeurs plus vite et mieux qu’un cerveau humain.
 
Les avancées du traitement automatique du langage naturel ont permis de créer des serveurs vocaux interactifs qui remplacent les traditionnels centres d’appel et leurs opérateurs avec, en prime pour les entreprises, une efficacité accrue et une baisse des charges. IPSoft affirme que sa plateforme d’intelligence artificielle Amelia peut constituer une aide cognitive pour les opérateurs des centres d’appel, capable d’apprendre et de comprendre comme le fait un être humain.
 
En Chine, des entreprises industrielles comme Foxconn envisagent de remplacer par des robots 1,2 million de salariés afin de préserver leur compétitivité. La hausse des salaires au Viet Nam et en Indonésie érode les profits d’entreprises telles que Nike, qui cherchent déjà des alternatives pour remplacer la main-d’œuvre par du capital.
 
L’essor des voitures autonomes devrait avoir de profondes répercussions sur les postes de travail et l’emploi. Selon une étude, cette automatisation pourrait coûter leur emploi à 10 millions de travailleurs au cours des 10 à 15 prochaines années. Le passage à des voitures sans conducteur risque d’avoir un effet domino dans un certain nombre de secteurs annexes, comme les marchés de l’assurance et du financement automobiles, les sociétés de parking et le service après-vente, pour lesquels la demande devrait disparaître.
 
Certains estiment au contraire que l’équation « automatisation = fin de l’emploi » est erronée, puisque le progrès technologique est créateur d’emplois. Ils considèrent que les gains de productivité et financiers obtenus à travers cette automatisation sont réinjectés dans l’économie pour aider les citoyens à bénéficier de services moins chers, ce qui leur permet de conforter leur épargne et, au final, de consommer plus — enclenchant une spirale créatrice de débouchés professionnels dans le marché des biens de consommations.
 
Plusieurs pays en développement doivent l’amélioration de leur prospérité à la technologie et aux innovations. Ainsi, les Philippines et l’Inde sont devenus d’importants pôles mondiaux pour la sous-traitance avec, à la clé, des centaines de milliers d’emplois. Au Kenya, les systèmes de paiement par téléphone portable comme M-PESA ont révolutionné l’accès aux services bancaires pour le citoyen moyen, tandis que les systèmes de messagerie comme Reuters Market Light ont renforcé la productivité des fermiers indiens en leur donnant accès à des informations sur les prix du marché, les conditions météorologiques et l’état des récoltes.
 
Inégalités salariales et automatisation

La technologie favorise les gains de productivité.

Si, dans l’après-guerre, l’emploi, les salaires et la prospérité ont progressé, depuis les années 1970 pourtant, un phénomène étrange grippe le marché américain du travail. Le salaire moyen des employés a atteint un pic en 1973 et n’a cessé de reculer au cours des décennies suivantes (tout en s’ajustant à l’inflation). Alors que la productivité du travail et les salaires des employés ordinaires du secteur privé affichent une corrélation parfaite entre 1948 et 1973, leurs trajectoires se séparent à partir de cette date, signe que le patrimoine des chefs d’entreprise et des investisseurs augmente tandis que le salaire des ouvriers stagne (voir figure 1 ci-dessous).

 

De plus, la part du revenu national américain allouée au travail dégringole depuis les années 1970 (voir figure 2 ci-dessous).
 

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Source :  Fred, BEA, Quartz
 

Plusieurs théories ont vu le jour pour expliquer ce phénomène — mais la place incontournable prise par les technologies de l’information et l’automatisation ne peut certainement pas être ignorée. Dans son livre consacré à l’avènement des robots et aux risques pour l’avenir de l’emploi (“Rise of the Robots: Technology and the Threat of a Jobless Future”), Martin Ford affirme que les technologies de l’information ont remplacé les ouvriers au lieu de renforcer leur valeur, entraînant un creusement toujours plus flagrant des inégalités entre ceux qui ont les compétences pour s’adapter à ces bouleversements tectoniques et les autres.
 
Les robots ont souvent été considérés comme des machines confinées à des tâches routinières, répétitives et non cognitives. Mais ces machines ont appris à copier les capacités humaines.
 
Un cocktail d’intelligence artificielle, de dextérité et de capacités de vision en 3D (dont l’origine remonte sans doute à la console vidéo Wii de Nintendo), donne aux robots fabriqués par Industrial Perception, une société de Palo Alto (acquise par Google), la capacité de reconnaître, de déplacer et de ranger des boîtes au cours de séquences complexes — une aptitude humaine qui n’avait encore jamais été imitée. En 2012, Amazon a racheté Kiva, une entreprise de robotique produisant des robots autonomes capables de déplacer des objets dans de grands entrepôts. Le géant américain teste aussi la livraison par drone. 
 
Quelle que soit notre vision de l’avenir, avec ou sans emplois, l’innovation technologique permanente pose sans conteste de nouveaux défis pour les postes de travail et les compétences des futures générations. Ces tendances appellent à des actions urgentes de la part des gouvernements, qui doivent s’assurer que les compétences humaines seront adaptées aux emplois et garantir, ce faisant, une prospérité partagée et l’égalité des chances pour tous.


Auteurs

Randeep Sudan

Former Practice Manager, Information and Communication Technologies

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