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Le paradoxe de la productivité en Macédoine du Nord : pourquoi la croissance des entreprises ne va pas de pair avec celle des rémunérations

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Un principe largement admis en économie est que plus la productivité d’une entreprise est élevée, plus ses salaires augmenteront, ce qui, à terme, conduira à son expansion. La logique est simple : les entreprises qui produisent davantage par travailleur peuvent se permettre de verser des salaires plus élevés tout en restant compétitives et rentables. Ce lien entre productivité et salaires est attesté dans différentes économies, notamment aux États-Unis (Feldstein, 2008 ; Stansbury et Summers, 2018), au Royaume-Uni (Teichgraeber & Van Reenen, 2021) et en Roumanie (Herman, 2020).

Cependant, on observe actuellement un phénomène intéressant en Macédoine du Nord. Depuis la pandémie, la productivité du travail — c'est-à-dire le montant des recettes d'exploitation de l’entreprise moins les coûts matériels, divisé par le nombre d'employés — est en hausse, tant dans l’industrie manufacturière que dans les services. À première vue, c’est un signe positif, puisque, comme on l’a vu, une productivité plus élevée est généralement associée à une meilleure rémunération.

Or les salaires réels n’ont pas suivi cette dynamique (figure 1). Ils ont à peine évolué, rompant avec la trajectoire de croissance régulière observée les années précédentes. Ainsi, même si les travailleurs ont contribué davantage à la production, ils n’en ont pas vu les effets sur leurs bulletins de salaire, du moins en moyenne et jusqu’en 2022.



Pourquoi les salaires n’ont-ils pas augmenté avec la productivité ?

Ce décalage soulève des questions importantes. Les entreprises ont-elles limité les hausses salariales ? Le pouvoir de négociation des travailleurs s’est-il affaibli ? Ou bien les gains de productivité se sont-ils concentrés dans des secteurs qui emploient peu de personnes ? En Macédoine du Nord, une partie de la réponse semble se trouver dans la répartition de la croissance dans l’économiei.

Le problème ne réside pas dans une pénurie d’entreprises productives, mais dans le manque de connexions et l’inadéquation des compétences

Le paradoxe ne s’explique pas par le manque d’entreprises productives. Au contraire, les fortes disparités de productivité indiquent que certaines entreprises (principalement des sociétés tournées vers l’exportation ou détenues par des groupes étrangers) se portent bien et prospèrent. Le véritable problème, c’est que leur succès ne se diffuse pas au reste de l’économie.

Il existe des entreprises très productives, en particulier dans des secteurs comme les technologies de l’information et de la communication (TIC). Mais elles sont souvent de petite taille, concentrées dans certaines zones géographiques, et elles recrutent en général des profils spécialisés. Pour toutes ces raisons, leurs hausses de salaire ne bénéficient qu’à une fraction limitée de la main-d'œuvre. Parallèlement, l’essor de l’emploi concerne surtout les segments les moins productifs du secteur manufacturier (figure 2). Beaucoup de ces entreprises se sont développées après la pandémie, mais leurs gains de productivité restent modestes. Des secteurs comme le textile ou la fabrication de base, qui offrent peu de perspectives d’évolution salariale, continuent d’employer une large part des travailleurs. Même dans des branches en croissance comme l’assemblage automobile, les économies d’échelle ne se traduisent pas toujours par des hausses généralisées de salaires du fait d’une modernisation technologique insuffisante.

Des facteurs structurels — l’inadéquation entre les compétences disponibles et les besoins du marché, la faible mobilité de la main-d’œuvre, et peut-être aussi la concentration géographique des entreprises très productives — empêchent les travailleurs d’accéder à des emplois mieux rémunérés. Ces inefficacités dans l’allocation de la main-d'œuvre enferment une grande partie des travailleurs dans des postes faiblement rémunérés et peu productifs, alors même que certains pans de l’économie sont en pleine croissance.

Quelles implications pour les politiques publiques ?

Pour résoudre ce paradoxe, il ne suffit pas de stimuler la productivité des entreprises. Les décideurs politiques doivent également :

  • favoriser la mobilité sur le marché du travail et réduire l'inadéquation des compétences entre l’offre et la demande ;
  • soutenir la mise à niveau des secteurs à faible productivité ;
  • encourager la diffusion des gains de productivité et de salaires au-delà d’un petit groupe d’entreprises et de travailleurs.

Sans ces mesures, la croissance de la productivité restera dissociée de celle des salaires, ce qui compromet à la fois le développement inclusif et la résilience économique à long terme.

1. Il est également probable que le ralentissement des salaires réels soit, en partie, lié à l’inflation exceptionnelle observée en 2022. 


Arlan Brucal

Économiste au sein de l'unité Climat d'investissement mondial, Pôle mondial d'expertise en Finance, compétitivité et innovation (FCI), Banque mondiale

Sanja Madzarevic-Sujster

Économiste principale pour la Croatie, le Monténégro et la Slovénie, Banque mondiale

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