Il semble qu’il ne se passe pas deux semaines en Afrique subsaharienne sans que de nouvelles découvertes de pétrole, de gaz naturel ou de minéraux ne fassent les gros titres, pays après pays. Lorsque le gisement de pétrole Jubilee au Ghana atteindra son pic de production en 2013, il produira 120 000 barils par jour. Les gisements du bassin du rift du Lac Albert en Ouganda ont le potentiel de produire des quantités encore plus grandes. Des milliards de dollars pourraient affluer chaque année vers le Mozambique et la Tanzanie grâce aux découvertes de gaz naturel. Et, en Sierra Leone, l’extraction du minerai de fer du Tonkolili pourrait faire bondir le PIB de 25 pour cent en 2012.
Mon plus grand espoir est que tous ceux qui vivent dans ces pays d’Afrique riches en ressources reçoivent une part de cette nouvelle richesse en pétrole et en minerai.
Jusqu’à présent, à l’exception du Botswana, les ressources naturelles n’ont pas toujours amélioré les conditions de vie des habitants et de leurs familles. D’après ce que j’ai pu observer lors de mes voyages incessants sur le continent, la croissance économique de la plupart des pays riches en ressources ne se traduit pas automatiquement par une amélioration de la santé, de l’éducation et d’autres services dont dépendent les personnes vivant dans la pauvreté.
Beaucoup de pays riches en ressources ont tendance à ne pas décoller du bas de l’indicateur du développement humain, indice qui prend en compte l’espérance de vie, l’accès à l’éducation et le pouvoir d’achat de la population.
Un moyen étonnamment efficace de s’assurer que tous les gens, et en particulier les plus pauvres, reçoivent une part de la prospérité nouvelle apportée par les richesses minérales consiste à mettre en place des filets de sécurité et des programmes de protection sociale. Ces instruments sont destinés à protéger les familles vulnérables et à donner des possibilités d’emploi aux personnes pauvres en état de travailler. Ils contribuent à renforcer et sécuriser les communautés, tout en réduisant les inégalités les plus criantes .
Les programmes de protection sociale sont déjà au cœur des stratégies nationales d’accélération de la croissance et de lutte contre la pauvreté en Afrique et ils ont joué un rôle important dans la réduction de la pauvreté chronique et dans l’aide apportée aux familles pour amortir les chocs comme le chômage, les maladies soudaines ou les catastrophes naturelles (comme les épisodes de sécheresse ou les inondations). Ces programmes ont également permis à des familles d’acquérir davantage de bétail ou d’étendre leurs cultures vivrières et d’augmenter ainsi leurs revenus.
Le fait que les gouvernements de plus de 35 pays aient mis en place plus de 130 programmes de transferts de fonds illustre l’intérêt croissant de l’Afrique pour les filets de protection sociale. Les transferts directs d’argent liquide aux personnes pauvres coexistent souvent avec des programmes d’assistance-travail qui créent des emplois dans le secteur des travaux publics comme la construction de routes. Lorsque ces programmes ont été bien conçus et gérés, les résultats ont été excellents.
Au Rwanda, le gouvernement attribue en partie l’effondrement du taux de pauvreté, qui est passé de 57 pour cent en 2006 à 45 pour cent en 2011, au programme de transferts de fonds et de travaux publics « Vision 2020 Umurenge ». En Éthiopie, le programme de filet de sécurité productif, qui couvre un dixième de la population mais ne représente qu’un modeste pourcentage du PIB (1.2%), a contribué à la revégétalisation des champs, a permis aux gens d’agrandir leurs troupeaux de chèvres et de vaches tout en réduisant leur vulnérabilité face à la sécheresse ou la hausse du prix des denrées alimentaires, tout en réduisant simultanément le volume des versements d’urgence.
Quoiqu’il soit toujours possible d’améliorer ces programmes, il ne fait aucun doute qu’en plus d’aider les gens à améliorer leur état de santé, leur niveau d’instruction et leurs perspectives d’emploi, ces programmes peuvent également offrir d’autres avantages substantiels.
Prenons le cas de la Zambie où pas moins d’un tiers des transferts de fonds opérés en faveur des ménages les plus démunis affectés par le VIH/sida a été investi dans de petits élevages de bétail, de petites exploitations agricoles ou d’autres petites entreprises. Au Lesotho, le programme de subventions en faveur de l’enfance a eu des retombées significatives, les transferts de fonds permettant d’augmenter le revenu réel des autres membres de la famille de 24 pour cent environ.
Aujourd’hui, les exemples illustrant la façon dont les filets de protection (et d’autres programmes de protection sociale) peuvent aider les gouvernements et les communautés à réduire la pauvreté et les inégalités abondent en Afrique. De tels programmes renforcent également la cohésion sociale et diminuent l’instabilité dans les pays figés dans la pauvreté et affectés par les conflits, en dépit, ou peut-être en raison, de leur richesse en ressources naturelles.
Quand la pauvreté recule et que l’espoir revient, lorsque les revenus engendrés par les ressources naturelles permettent d’envisager la possibilité de changement, les gouvernements font, petit à petit, preuve de plus de responsabilité envers leurs citoyens — une défaillance majeure et fréquente dans les États qui sont touchés par des conflits ou qui en sortent. Les programmes de protection sociale dans des environnements fragiles et violents peuvent également contribuer à la stabilisation rapide de situations à haut risque en créant des emplois et en assurant des revenus indispensables aux personnes ravagées par l’insécurité et la peur. D’une manière générale, les programmes de ce genre peuvent aider les communautés et les familles à reconstruire leurs vies une fois que les armes se sont tues et instaurer la possibilité d’une paix durable et régénératrice pour les générations futures.
La question de comment faire en sorte que les richesses dérivées des ressources naturelles profitent à tous les Africains, et non à quelques privilégiés bien connectés, en leur offrant un meilleur accès à l’éducation et aux services de santé et de meilleures conditions de vie, se pose donc avec acuité. Ceci contribuera à réduire la pauvreté et accélérer la croissance d’économies africaines bien diversifiées dans les années à venir — indépendamment du cours des matières premières.
Investir dans la population est d’autant plus important compte tenu de l’explosion démographique des jeunes en Afrique. La nouvelle stratégie de la Banque mondiale axée sur l’emploi et la protection sociale, qui résulte en grande partie de consultations effectuées auprès des acteurs intervenant en Afrique ainsi que d’enseignements tirés des expériences acquises en Amérique latine et ailleurs, recommande que les gouvernements africains comprennent le vaste potentiel de développement induit par la mise en place de systèmes de protection sociale visant les personnes pauvres et vulnérables dans les pays riches en ressources.
La protection sociale est un moyen intelligent, stratégique et efficace de soutenir la remarquable transformation économique et sociale à l’œuvre, aujourd’hui, dans beaucoup de pays d’Afrique.
Makhtar Diop est vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique
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