Urbanisation galopante, changement climatique, résilience aux catastrophes naturelles, inclusion sociale… L’équation du développement se complexifie toujours plus et nombre de ses enjeux sont étroitement liés au foncier et à son utilisation. Les solutions qui nous permettront de relever ces défis et de faire en sorte que les individus et les communautés soient en mesure de jouir pleinement de leurs terres passent par un préalable : l’identification cohérente, fiable et accessible des droits fonciers.
En dépit des progrès réalisés ces dernières décennies, les registres fonciers demeurent compartimentés et lacunaires dans de nombreux pays en développement. Moins de la moitié des pays dans le monde (et à peine 13 % des pays d’Afrique) ont enregistré ou cadastré les biens fonciers privés de leur capitale ; au-delà de cet espace, la proportion est encore moindre. Par ailleurs, la terre publique ne donne souvent lieu à aucun enregistrement. Moins d’un tiers des pays — et deux pays africains seulement (le Rwanda et l’Afrique du Sud) — ont des registres numériques qui sont la clé d’une gestion territoriale plus efficace et indispensable pour faire face à un rythme d’urbanisation sans précédent et aux enjeux environnementaux. L’absence généralisée de formalisation est tout particulièrement susceptible d’exposer les femmes et d’autres populations vulnérables à l’insécurité et à la privation de leurs droits.
La régularisation des droits fonciers aurait des répercussions extrêmement bénéfiques. D’abord sur le plan de la transparence : avec la généralisation de la numérisation, les registres seraient plus difficiles à modifier, contrefaire ou égarer, et les services publics du cadastre pourraient faire l’objet d’un suivi plus facile. Les populations pauvres et vulnérables pourraient se libérer de la contrainte de faire protéger leurs droits au foncier. Les autorités locales pourraient générer des recettes qui leur font cruellement défaut en valorisant les terres en milieu urbain, et financer ainsi des services et des infrastructures. Entreprises et consommateurs pourraient bénéficier de la traçabilité des produits tout au long de la chaîne d’approvisionnement à partir de la parcelle. Et la disponibilité immédiate de données pour l’aménagement du territoire, l’anticipation de catastrophes naturelles et les dispositifs d’alerte rapide pourrait sauver des vies et éviter des souffrances inutiles.
Tous ces gains sont pour bientôt, car les progrès technologiques permettent déjà de sécuriser les droits fonciers au moyen de solutions participatives et rentables qui étaient encore inimaginables il y a dix ans. Les images satellites, dont la haute résolution et la fréquence ne cessent de s’améliorer, contribuent au rapprochement du statut foncier avec l’occupation des sols ainsi qu’à l’identification des lacunes dans la couverture administrative. Grâce au cloud et aux logiciels open source, les pays en développement peuvent s’affranchir des limites de leurs infrastructures informatiques. Certains avancent même que la téléphonie mobile et la technologie blockchain sont en mesure de sécuriser les droits fonciers là où les autorités n’en ont pas la capacité ou là où elles se heurtent à un déficit de confiance.
Dans le même temps, les Objectifs de développement durable (ODD) font accroître la demande de données que ces nouvelles technologies sont à même de produire. Les pays sont aujourd’hui tenus de signaler à intervalles réguliers la proportion d’hommes et de femmes pour laquelle l’occupation d’une terre est officiellement enregistrée et considérée comme sécurisée. En rapprochant les données désagrégées par sexe, des résultats issus des enquêtes sur les ménages et des données administratives et spatiales, on pourra envisager une aide internationale et des programmes de réforme intérieure axés sur une approche plus orientée vers les résultats en partant d’une base analytique et plus factuelle.
Des pays aussi divers que l’Uruguay, le Pakistan et le Rwanda nous fournissent la preuve qu’un tel saut qualificatif est possible. Cependant, à elle seule, la technologie ne peut pas tout. Si les acteurs locaux se retrouvent dans l’incapacité d’effectuer un choix technologique approprié et s’il n’existe aucun contrôle réglementaire dédié à la sécurité des données et à la protection de la vie privée, la technologie pourra au contraire favoriser l’exclusion et l’oppression, au détriment de l’inclusion et de l’autonomisation. Les organismes publics qui veulent exploiter efficacement ce large éventail de nouvelles options, tout en évitant leur confiscation par des intérêts particuliers, devront adopter un cadre réglementaire, des processus et des critères de performances adaptés, et informer dûment le grand public. L’expérience montre que si ce préalable est ignoré, les populations ne perçoivent généralement que très peu les bénéfices d’investissements massifs.
Ces enjeux seront au cœur de la 19econférence annuelle de la Banque mondiale sur le foncier et la pauvreté (a) qui se tiendra du 19 au 23 mars prochain, avec 1 800 participants venus d’horizons divers (hauts responsables politiques, universitaires, représentants de la société civile et du secteur privé) et de 124 pays. Cet événement, organisé par le Development Research Group de la Banque mondiale (a), contribue depuis longtemps à dynamiser le partage des savoirs par-delà les frontières, à diffuser l’expertise et les études de la Banque mondiale sur les questions foncières ainsi qu’à explorer des pistes pour dispenser plus efficacement l’appui international sur ce point essentiel du développement. Ceux qui ne pourront pas être présents à la conférence auront la possibilité de suivre en direct une dizaine de sessions retransmises en streaming (a), qui seront notamment consacrées au cadre règlementaire pour gérer le foncier, à l’acquisition de biens fonciers par les pouvoirs publics, à la collecte des données foncières désagrégées par genre et le suivi des ODD, ou encore aux apports potentiels de la blockchain en matière de transparence et de confiance dans le système d’information et gestion du foncier.
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