Leonarda Dibrani, c’est cette élève de 15 ans que la France a expulsé vers le Kosovo, avec sa famille. Au-delà des retombées politiques de cette expulsion, qui a eu pour cadre un bus scolaire, le cas de Leonarda est emblématique. À trois égards : la jeune fille est « étrangère », en situation « irrégulière » et membre de la communauté rom.
Un nouveau rapport, consacré à l’enjeu de l’inclusion sociale pour le partage de la prospérité, aborde précisément les ressorts de l’exclusion qui frappent « les Leonarda ». Il souligne le rôle de l’identité dans ce phénomène de rejet, en plaçant le débat dans le contexte des évolutions et transitions actuelles. La migration constitue aujourd’hui la forme de transition démographique la plus instable. Après la focalisation des décennies précédentes sur la fécondité et la mortalité, on observe un état de semi-panique et de crainte face à l’immigration et aux migrants « illégaux ». Et pas uniquement dans les pays de l’OCDE.
La plupart des pays d’accueil sont en proie à ces sentiments de peur, de ressentiment et de concurrence. Mais c’est particulièrement frappant dans les nations qui, tout en ayant bien compris le caractère indispensable d’une main-d’œuvre étrangère, ne sont pas encore tout à fait prêtes à accepter les mutations sociales que cette immigration engendre.
Les enquêtes mondiales sur les valeurs (a) s’attachent à rendre compte des perceptions en vigueur dans la population. À la question « quels sont pour vous les voisins les plus indésirables », entre 57 et 79 % des personnes interrogées en Malaisie, en Iran, en Jordanie et à Hong Kong répondent « les immigrants et les étrangers » (selon les derniers résultats issus de sondages réalisés entre 2005 et 2008).
Cette animosité prend souvent ses racines dans le sentiment que les migrants viennent voler des emplois réservés à juste titre aux « autochtones », qu’ils ne respectent ni les règles ni la culture de leurs régions d’accueil et qu’ils n’éprouvent aucune reconnaissance. Ce ressentiment peut être exacerbé lorsque la population de la région d’accueil est ethniquement homogène (ce qui rend les étrangers facilement identifiables), lorsque les migrants accaparent un secteur d’activité ou lorsqu’ils s’en sortent mieux que les habitants « de souche ». Ces derniers redoutent parfois que cet afflux de main-d’œuvre moins qualifiée ne fasse baisser les salaires et donc ne pénalise les plus modestes d’entre eux. Dans de nombreux pays, les migrants sont associés à une charge budgétaire, puisque qu’ils utilisent les services publics sans, pense-t-on, acquitter les impôts correspondants. Une situation économique difficile, la recrudescence du chômage et l’austérité budgétaire entraînent le retour de ces préoccupations, faisant des immigrés des boucs émissaires tout trouvés.
Dans le cas de Leonarda et des communautés dont elle est devenue le symbole, vient en outre s’ajouter une peine supplémentaire : Leonarda n’est pas seulement une immigrée irrégulière, elle appartient de surcroît à une minorité ethnique qui alimente tous les clichés. La « question rom », pour reprendre une expression en vogue en Europe ces temps-ci, avec tous ses sous-entendus politiques, attise les passions dans une région en pleine déconfiture économique et sociale.
Pourquoi s’y intéresser ? Parce que le Groupe de la Banque mondiale s’est fixé pour mission de mettre fin à l’extrême pauvreté et de promouvoir la prospérité partagée. Parce que la désinformation et les stéréotypes menacent les acquis de l’insertion sociale. Si nous n’agissons pas, Leonarda, comme d’autres jeunes filles, transmettra son « handicap » à ses enfants.
Le 31 octobre, j’anime une discussion en ligne sur l’inclusion sociale, avec des experts. Suivez les débats sur https://strikingpoverty.worldbank.org (a).
Prenez part au débat