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Prise en compte des facteurs comportementaux dans les projets de développement : où en sommes-nous ?

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Nos pensées sont rapides et, bien souvent, automatiques. Fortement influencées par des préférences sociales, elles sont aussi soumises à des modèles mentaux et à des visions du monde qui façonnent nos interprétations et nos perceptions. Mais alors, ne serait-il pas judicieux d’intégrer ces comportements et ces modes de pensée dans la conception des politiques de développement ?
 
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La Banque mondiale a répondu à cette question dans son Rapport sur le développement dans le monde 2015 : Pensée, société et comportement. Elle y montre que l’efficacité des interventions peut être grandement améliorée par une compréhension plus réaliste des prises de décision et des comportements. Forts de ce constat, nous avons lancé, en parallèle, deux programmes. Leur objectif : définir comment motiver et guider les équipes de la Banque pour prendre en compte, dans leurs projets, les données comportementales. Dans les deux cas, l’approche retenue a consisté à repérer au sein de l’institution des équipes de projet intéressées par la démarche, identifier une problématique d’ordre comportemental, proposer des solutions, puis en évaluer scientifiquement les résultats.
 
De ces programmes découlent aujourd’hui plus de 80 projets tenant compte des facteurs comportementaux (a). Mis en œuvre dans cinquante pays, ils s’appliquent à des domaines très variés : santé, genre et égalité des sexes, éducation, environnement, eau et assainissement, inclusion financière, emplois ou encore fiscalité. Notons aussi que les problématiques traitées vont des plus simples — comme améliorer le civisme fiscal en Amérique centrale — aux plus complexes — par exemple, réduire la discrimination sexuelle pratiquée en Géorgie par des parents dont la préférence pour les garçons fausse le ratio de masculinité à la naissance.


Des résultats positifs

Nous constatons que les résultats de ces projets sont à la fois positifs et durables. Ainsi, au Pérou (a), les notes obtenues aux examens par les élèves étaient très corrélées au niveau de revenu des familles. Pour traiter ce problème, la méthode classique aurait consisté à investir davantage dans la formation des enseignants et l’équipement des écoles. Notre équipe a préféré adopter une intervention encourageant un « état d’esprit de développement » afin de modifier les croyances et les schémas mentaux des professeurs comme des élèves. L’étude d’impact a montré que cette seule et simple séance de 90 minutes avait permis de réduire l’écart type de 0,2 point, soit l’équivalent de trois ans d’études supplémentaires pour l’un des parents. Le coût de l’opération s’élevant à 0,20 dollar par personne, ce programme pilote a pu être étendu à 50 000 élèves péruviens dès la première année. Aujourd’hui, il est appliqué en Indonésie et en Afrique du Sud, en faveur de plus de 500 000 élèves.

Vous vous demandez sans doute pourquoi cette approche n’est pas plus largement utilisée. En fait, lorsque nous avons commencé à travailler avec les équipes de projet, nous avons constaté une très forte attente, qui se heurtait, dans la pratique, à un manque de temps. Dans notre jargon, nous dirions que leur niveau de « capacité cognitive » était limité par la multiplicité de leurs tâches et qu’elles avaient tendance, pour cette raison, à privilégier les objectifs et les échéances à court terme. Ainsi, le plus souvent, les responsables de projet savaient parfaitement ce qu’il convenait de faire au plan comportemental, mais il leur manquait, pour passer à l’action, le petit coup de pouce que nous leur avons donné.
 
Un nouveau service baptisé « eMBeD »

Au fil des interventions, notre rôle de guide va en se structurant. Le succès très prometteur des deux équipes pionnières a ainsi débouché sur la création du service « eMBeD » (pour Mind, Behavior, and Development) (a). Sa mission : généraliser l’utilisation des sciences comportementales à l’échelle de l’ensemble des opérations du Groupe de la Banque mondiale. À cette fin, le nouveau service s’attachera à identifier un large spectre de facteurs psychologiques, sociaux et économiques influençant le processus de prise de décision et à proposer des solutions rapides et peu coûteuses à mettre en place pour optimiser l’efficacité des projets.


Nos ambitions

L’intégration de nos équipes au sein des projets devrait permettre de renforcer la capacité de notre institution à exploiter l’éclairage des sciences comportementales de manière naturelle, pratique et peu onéreuse. Par ailleurs, nous persévèrerons dans notre réflexion sur l’apport de ces sciences dans la gestion de problèmes complexes tels que ceux soulevés par la crise des réfugiés ou encore les violences faites aux femmes.

Nous voulons aussi renforcer les compétences des gouvernements en matière de psychologie comportementale. L’exemple du MineduLab illustre ce qui a pu être mis en place, avec notre aide, au Pérou par le ministère de l’Éducation. Ce laboratoire d’innovations interne, au budget très raisonnable, pilote aujourd’hui une quinzaine d’interventions visant à réduire les biais comportementaux des enseignants, renforcer leur motivation ainsi que celle des élèves et stimuler l’engagement des parents.

L’objectif final est de mettre à la disposition de tous une boîte à outils où chacun pourrait trouver les solutions comportementales adaptées à ses besoins. Une formule qui permettra, à terme, d’étendre la diffusion de notre travail.
Nous serions heureux de connaître les problèmes auxquels vous êtes confronté(e). Rendez-vous sur notre site web (a) ou abonnez-vous à notre newsletter (a) pour rester connecté(e).
 


Auteurs

Renos Vakis

Lead Economist, Poverty and Equity Global Practice, World Bank

Varun Gauri

Senior Economist, Development Research Group, World Bank

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