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Quand la température monte, les droits économiques des femmes reculent

Quand la température monte, les droits économiques des femmes reculent Famille vivant dans une maison inondée chaque année, exposée à des conditions de vie précaires. Colombie : Photo : © Scott Wallace/Banque mondiale

Des températures plus chaudes que la normale font ralentir voire régresser les progrès des droits juridiques des femmes. C’est ce que révèle une nouvelle analyse (a) portant sur cinq décennies et 190 pays : les anomalies de températures, à savoir des années nettement plus chaudes que la moyenne historique d’un pays, s'accompagnent d’un ralentissement des avancées vers l’égalité juridique des femmes, en particulier dans les pays à faible revenu. La raison est simple, mais lourde de conséquences : les phénomènes météorologiques extrêmes pèsent sur les budgets et les institutions, poussant les gouvernements à reporter les réformes qui demandent des efforts financiers soutenus. D’où ce coup de frein porté au processus d’émancipation économique des femmes. 

La hausse des températures modifie-t-elle la trajectoire des réformes juridiques qui élargissent les droits et les opportunités économiques des femmes ?  

Le changement climatique interagit avec les droits juridiques des femmes et leur situation en général, et ces effets qui se renforcent mutuellement ont une incidence sur les priorités politiques. Notre étude rapproche deux constats déjà bien documentés : d’une part, l’égalité juridique entre les sexes constitue le fondement d’une croissance inclusive et de la résilience ; et, d’autre part, les événements météorologiques extrêmes déstabilisent les économies, compriment les finances publiques et accentuent le besoin d’aides immédiates et de court terme. Il s’agit de savoir si ces événements entraînent une réévaluation des priorités de l’action publique au détriment des progrès des droits des femmes. 

Ce que révèlent les données

Notre étude combine les données du projet de la Banque mondiale « Les Femmes, l’Entreprise et le Droit » (WBL), qui couvrent 190 économies de 1970 à 2023, à des données détaillées sur les températures et les précipitations. Il en ressort quatre principaux constats :

  • La chaleur a un impact plus important que la pluie. Des températures supérieures à la normale ralentissent les progrès vers l’égalité juridique des femmes, tandis que les chocs pluviométriques ont peu d’effet.

  • L’impact dépend du revenu des pays. Les phénomènes climatiques freinent les progrès juridiques des femmes dans les pays à faible revenu, mais n’ont pas d’incidence significative dans les pays à revenu élevé.

  • L’impact se ressent d’abord sur les réformes coûteuses. Les réformes exigeant des ressources budgétaires considérables sont les premières à être laissées de côté, tandis que celles moins coûteuses (comme la suppression des restrictions aux droits des femmes) se poursuivent, sans subir d’impact significatif.

  • Les reculs sont durables. Des températures plus élevées peuvent avoir des effets durables dans des domaines qui jouent un rôle essentiel dans la participation économique et la résilience des femmes.

Quelle est l’ampleur de ces effets ? Dans les pays à faible revenu, une hausse d’une unité de l’écart de température par rapport à la normale est corrélée à une baisse de 1,5 point de l’indice WBL (sur une échelle de 0 à 100). Cet impact se fait sentir principalement sur les réformes coûteuses (−3,1 points) — c’est-à-dire celles qui, contrairement aux réformes visant simplement à supprimer des lois discriminatoires, s’attachent à élargir l’accès des femmes aux opportunités économiques et exigent par là même des ressources budgétaires et des capacités administratives considérables. On observe par ailleurs que ces reculs perdurent pendant plusieurs années. Les réformes les plus affectées par une chaleur inhabituelle concernent les domaines de la parentalité, du mariage et de la mobilité, tandis que les chocs pluviométriques ont peu d’effet (figure 1). 

Figure 1. Effets des chocs de températures et de précipitations sur les droits juridiques des femmes dans les pays à faible revenu

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Source : Base de données Les Femmes, l’Entreprise et le Droit.
Note : Les barres horizontales indiquent les variations des scores de l’indice WBL ; les traits horizontaux représentent les intervalles de confiance à 95 %.


Comment expliquer un tel impact ?

Les rouages de l’économie politique permettent de comprendre ces résultats :

  • Pression sur les finances publiques. Les années chaudes provoquent pertes de récoltes, problèmes de santé, dégâts d’infrastructures et hausses des prix alimentaires. Avec peu de marges de manœuvre budgétaires, les gouvernements consacrent les ressources disponibles à l’aide immédiate, reportant à plus tard les réformes coûteuses qui font progresser les droits des femmes.

  • Charge administrative. La gestion des catastrophes et le renforcement de la protection sociale mobilisent fortement les administrations, ralentissant l'adoption et la mise en œuvre de réformes législatives complexes.

  • Contraintes politiques. En période de crise, les mesures d’aide visibles à court terme prennent le pas sur les réformes structurelles, surtout celles perçues comme profitant à un segment spécifique de la population ou impliquant des coûts initiaux élevés.

  • Résistances sociales. Les difficultés économiques tendent à renforcer les normes conservatrices, ce qui rend les réformes davantage sujettes à controverse et limite la possibilité pour les femmes de plaider leur cause.

Ensemble, ces forces créent un cercle vicieux politique : les phénomènes météorologiques extrêmes retardent les réformes en faveur des droits des femmes ; des protections juridiques plus faibles réduisent la résilience, la participation et la capacité d’action des femmes ; et une moindre capacité d’action accroît leur vulnérabilité au prochain choc. 

Pourquoi est-ce important pour les décideurs politiques ?

  • L’égalité juridique est synonyme de résilience. Les lois qui soutiennent les femmes — en matière de propriété, de congé parental, d’égalité salariale, de retraite ou de protection contre le licenciement pendant la grossesse — renforcent aussi les ménages et les communautés, en leur permettant de mieux résister aux chocs et s’en relever plus vite.

  • Les retards dans les réformes ont un coût. Différer les réformes qui favorisent la pleine participation des femmes à l’économie et les priver de ces opportunités, c’est freiner la croissance et compromettre plus largement les objectifs de développement durable.

  • Le financement est crucial. Les réformes coûteuses sont souvent les premières sacrifiées. Mobiliser des ressources pour préserver les efforts en faveur de l’égalité juridique des femmes est donc essentiel pour éviter que les pressions budgétaires n’effacent des progrès durement acquis. 

Un cadre d’action renouvelé

Les événements climatiques extrêmes n’entraînent pas nécessairement un recul des droits des femmes. Mais sans mesures ni financements ciblés, les anomalies de températures peuvent détourner les politiques publiques des réformes essentielles pour l’émancipation économique des femmes, surtout dans les pays à faible revenu. L’étude appelle à placer les droits juridiques des femmes au cœur des plans de résilience climatique, et à les protéger grâce à des outils de réponse aux catastrophes — réserves budgétaires, financements d’urgence et garde-fous institutionnels. C’est ainsi que l’on pourra préserver des acquis obtenus de haute lutte et instaurer une croissance plus inclusive et résiliente face aux chocs.


Daniela Behr

Économiste, projet Les Femmes, l'Entreprise et le Droit, Banque mondiale

Liang Shen

Analyste, Groupe de la Banque mondiale

Ana Maria Tribin Uribe

Économiste senior, projet Les Femmes, l’Entreprise et le Droit, Banque mondiale

Tea Trumbic

Cheffe de programme, projet Les Femmes, l’Entreprise et le Droit, Banque mondiale

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