Les mois qui s’annoncent seront cruciaux pour la communauté internationale du développement. Le premier des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) visait à réduire de moitié le taux d’extrême pauvreté dans le monde. À présent, dans le cadre des nouveaux objectifs de développement durable (ODD), nous devrons nous appuyer sur les progrès obtenus pour aller plus loin et mettre fin à l’extrême pauvreté.
Ne vous y trompez pas, la tâche ne sera pas aisée. Il nous faudra mettre en place une croissance soutenue et partagée, ce qui nécessitera notamment de développer l’agriculture dans les pays les plus pauvres. Il nous faudra veiller à l’équité des politiques et des programmes mis en œuvre, afin de garantir l’égalité des chances à tous les enfants et de veiller à ce que tous les citoyens bénéficient équitablement des systèmes sociaux et fiscaux et qu’ils disposent d’institutions représentatives. Enfin, il nous faudra faire en sorte de protéger ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté — ou qui risquent d’y basculer de nouveau —, contre les chocs de toutes sortes (défaillances des marchés mondiaux ou locaux, épidémies, vagues de sécheresse, etc.).
Mais ce n’est pas tout. Il nous faudra aussi affronter de vieux problèmes avec des idées neuves. Bien que les efforts immenses déployés par la communauté mondiale aient permis de réaliser l’OMD n° 1 avec cinq années d’avance, le plus dur reste à faire pour mettre fin à l'extrême pauvreté d’ici 2030. En effet, plus le temps passe, plus il sera difficile d’atteindre ceux qui sont encore prisonniers de la pauvreté.
Je me trouve actuellement à Londres pour assister à l’International Behavioural Insights Conference (a). Cette manifestation, consacrée à des approches de lutte contre la pauvreté axées sur les comportements, se penche sur un champ de travail prometteur, susceptible de nous aider à agir plus efficacement sur les conditions de vie de ceux qui vivent dans la pauvreté. Il apparaît en effet que les tensions qui pèsent sur les pauvres ont pour conséquence d’accentuer la difficulté des obstacles qu'ils doivent surmonter pour s'en sortir. C’est notamment ce qu’a montré l’édition 2015 du Rapport sur le développement dans le monde, intitulée Pensée, société et comportement. Il faut maintenant passer de la théorie à la pratique.
Fort heureusement pour nous, et comme en témoigne une étude récente sur la pauvreté chronique en Amérique latine (a), il ne sera pas forcément nécessaire de mettre au point des programmes totalement nouveaux et de grande envergure : en intégrant cette perspective comportementale à des programmes existants, et en y introduisant quelques modifications légères mais d’un bon rapport coût-efficacité, on peut réussir à atteindre ceux qui sont laissés pour compte par les programmes traditionnels. Voici trois exemples d’initiatives dans ce sens :
- Un programme de subventions aux entreprises et de formation entrepris dans les zones rurales du Nicaragua a expressément encouragé des interactions sociales dans le cadre d’un lieu unique permettant aux bénéficiaires et aux responsables locaux de se rencontrer. Un petit dispositif qui a eu un impact considérable sur le plan des aspirations personnelles et des résultats commerciaux : les revenus non agricoles ont augmenté de 3,30 dollars par habitant tandis que la valeur moyenne du cheptel d’un ménage grimpait de 12 dollars (a). Cela peut sembler négligeable, mais, sachant que le revenu moyen de référence provenant des activités non agricoles se situe à 8,75 dollars par habitant, l’augmentation observée, attribuable aux interactions sociales et au relèvement des aspirations, est en réalité conséquente puisqu’elle se chiffre à 40 %.
- À Bogota (Colombie), un programme expérimental a examiné les effets du stress sur la façon d’appréhender l’avenir. Les bénéficiaires d’un programme de transferts conditionnels en espèces ont été aléatoirement répartis en deux groupes. Un groupe percevait, comme prévu, la totalité des versements deux fois par mois, tandis que l’autre ne recevait que les deux-tiers des versements deux fois par mois, le dernier tiers étant placé sur un compte d’épargne dont la somme était reversée aux bénéficiaires au mois de décembre, juste avant le paiement des frais de scolarité. Cette modification toute simple des modalités de versement s’est révélée efficace : si les deux formules ont eu les mêmes effets sur le plan de l’assiduité scolaire, la seconde formule a permis aux parents de disposer de fonds lorsqu’ils en avaient le plus besoin et a abouti à des taux de réinscription plus élevés (a).
- Au Pérou, un programme portant sur l’inclusion financière et les comportements d’épargne a d’abord montré que le simple fait d’aider les familles pauvres à ouvrir un compte d’épargne ne suffisait pas à accroître leurs taux d’épargne. Le programme a alors expérimenté une méthode d’incitation consistant à envoyer des SMS aux bénéficiaires du programme pour les encourager à épargner davantage. Des messages de rappel basiques, du type « N’oubliez pas d’épargner ! », ont permis d’augmenter l’épargne de 6 %. En agrémentant cette méthode de messages rappelant explicitement un objectif personnalisé, comme par exemple « N’oubliez pas d’épargner pour atteindre votre objectif de 20 dollars ! », les taux d’épargne ont progressé de 16 % (a).
À ce stade, vous vous demandez certainement pourquoi ces approches ne sont pas reproduites ailleurs puisqu’elles sont si efficaces. En réalité, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas si simple de généraliser les interventions comportementales ; celles-ci doivent être spécifiquement adaptées aux différents groupes de population qui forment la frange des plus pauvres dans les différentes régions du monde. Ce qui marche à Bogota, par exemple, ne fonctionnera peut-être pas dans une autre ville de Colombie, et encore moins ailleurs dans le monde. Pour remédier à cet écueil, il faut notamment veiller à ce que les politiques et programmes mis en œuvre soient suffisamment souples pour prendre en compte ces différences, et adopter des approches éprouvées qui soient adaptées aux communautés qu’elles s’efforcent spécifiquement d’aider.
Il ne s’agit là que d’une piste parmi les innovations qui nous rapprocheront de l’objectif que s’est fixé le Groupe de la Banque mondiale : mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030. En devenant le premier des Objectifs de développement durable, cette ambition bénéficiera à présent du poids de la communauté internationale toute entière. Le défi est imposant mais il n’est pas insurmontable. Il appelle l’ensemble des parties prenantes — pouvoirs publics, institutions de développement, acteurs locaux, société civile et ONG — à s’appuyer sur les progrès accomplis et à étendre les mesures et les programmes efficaces mais aussi à inventer de nouvelles réponses, plus intelligentes, durables et pérennes, au défi de la réduction de la pauvreté dans le monde.
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