Il y a deux ans, nous avions consacré un billet (a) à la durée moyenne de l’exil dans le monde, selon les données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), et décrit notre méthodologie dans ce document de travail (a).
Nous avions pour l’essentiel mis en évidence que la durée moyenne de l’exil avait beaucoup fluctué depuis la fin de la Guerre froide et qu’elle s’élevait à la fin de l’année 2015 à 10 ans environ, la durée médiane s’établissant à 4 ans. Nous avions aussi constaté que dans les situations où les réfugiés l’étaient depuis plus de 5 ans, les durées moyenne et médiane de l’exil étaient respectivement de 17 et 11 ans.
Comment ces chiffres ont-ils évolué depuis ? Nous avons actualisé nos estimations en utilisant les dernières données publiées par le HCR et correspondant à la fin de l’année 2017. Ce travail a principalement débouché sur les résultats suivants.
1. La durée moyenne de l’exil continue de baisser
La durée moyenne de l’exil continue de baisser, pour passer de 14 à 10 ans entre 2012 et 2017 . La durée médiane s’est également réduite de 6 à 4 ans sur la même période, ce qui signifie que la moitié des personnes qui sont actuellement des réfugiés le sont depuis moins de 4 ans.
2. Faut-il s’en réjouir ?
Personne ne souhaite connaître la situation de réfugié, et encore moins sur une période prolongée. Aussi est-il tentant de penser que la baisse de la durée moyenne d’exil constitue une évolution positive. Or, en étudiant les chiffres de plus près, on voit que la réalité est tout autre.
Le graphique ci-dessous montre la décomposition du nombre total de réfugiés en fonction de la durée de l’exil. Par exemple, environ 3,2 millions de réfugiés sont en exil depuis moins d’un an, 2 millions le sont depuis un à deux ans, 2.3 millions depuis deux à trois ans, etc.
Dans ce graphique, on peut notamment observer la « bosse » correspondant à la période comprise entre 37 et 40 ans. Elle est le fait, principalement, des quelque 3 millions d’Afghans qui ont fui leur pays après l’invasion soviétique de 1979. La persistance d’un si grand nombre de personnes en exil sur une période si longue fait à l’évidence monter la durée moyenne mondiale de l’exil. Tant que la situation des réfugiés afghans ne sera pas résolue et que leur séjour dans les pays d’accueil se prolongera, leur nombre continuera d’augmenter automatiquement la moyenne mondiale d’année en année.
De fait, si tous les réfugiés restent là où ils sont, la durée moyenne de l’exil augmentera d’une année chaque année. Comment ce chiffre peut-il baisser ? De deux choses l’une. Soit un grand nombre de personnes jusqu’ici en situation d’exil prolongé en sortent finalement — ce qui n’est pas le cas. Soit on assiste à un afflux massif de réfugiés. La durée d’exil de ces réfugiés récents sera par définition très courte, ce qui contribuera à réduire la moyenne mondiale. Le graphique montre sans aucune ambiguïté que c’est ce qui s’est produit ces dernières années.
Autrement dit, la durée moyenne de l’exil diminue en raison du grand nombre de nouveaux réfugiés. C’est donc le signe d’une aggravation de la crise.
3. On assiste en réalité à une hausse spectaculaire du nombre de réfugiés
Avec 19,5 millions de réfugiés dans le monde aujourd’hui, nous sommes bien au-dessus du précédent « record » atteint au début des années 90. On assiste depuis 2015 à un afflux massif de réfugiés qui fuient la guerre, l’instabilité ou l’oppression . Il s’agit surtout de Sud-Soudanais et de Rohingya (Myanmar), mais aussi de personnes en provenance de Syrie, d’Afghanistan, de Somalie, de la République démocratique du Congo, du Soudan, d’Iraq, d’Érythrée, ou encore de République centrafricaine. Cette hausse spectaculaire est la cause du déclin de la durée moyenne de l’exil.
4. Le nombre de réfugiés en situation d’exil prolongé augmente rapidement
Le nombre de réfugiés qui sont en exil depuis plus de 5 ans avoisine désormais les 10 millions, soit un niveau sans précédent depuis la fin de la Guerre froide. Il augmente rapidement, du fait de l’exil prolongé des premières et nombreuses vagues de réfugiés syriens. Comme nous l’avons vu précédemment, la présence d’un grand nombre de « nouveaux réfugiés en situation d’exil prolongé » se traduit automatiquement par une baisse des durées moyenne et médiane de l’exil pour cette catégorie, qui s’élèvent respectivement à 17 et 10 ans.
5. Quelles conséquences tirer de ces tendances ?
En premier lieu, compte tenu du nombre record de réfugiés et de sa hausse rapide, il est indispensable d’accroître l’aide en direction de ces populations, ainsi que des communautés locales dans les pays d’accueil. En outre, pour garantir la pérennité du système international global de protection des réfugiés face à une crise d’une telle ampleur, il faut redoubler d’efforts pour assurer un meilleur partage des charges et responsabilités entre les pays.
En deuxième lieu, alors que le nombre de réfugiés en situation d’exil prolongé augmente également, il est indispensable d’ajuster les priorités, pour ne plus se focaliser seulement sur la réponse humanitaire mais aussi tenir compte des conséquences socio-économiques à moyen terme en menant des actions de développement.
En troisième lieu, il devient évident que, pour un nombre important de personnes en quête d’un refuge aujourd’hui, l’exil risque de durer longtemps. Aussi devons-nous apporter une réponse qui s’inscrive, d’emblée, dans la durée. Autrement dit, il faut penser en termes de développement même pendant la phase d’aide d’urgence.
Enfin, nos travaux mettent en lumière l’importance des données et d’un effort d’analyse rigoureux. On a besoin de données solides pour apporter une réponse appropriée. Mais il est également nécessaire de bien analyser les données, car certaines conclusions peuvent se révéler contre-intuitives. La baisse de la durée moyenne de l’exil des réfugiés, par exemple, est un exemple de fausse bonne nouvelle.
Prenez part au débat