Mari Pangestu représentait la Banque mondiale lors du Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), tenu à Marseille en septembre 2021. Elle est intervenue lors d’un dialogue de haut niveau sur les enjeux d’une reprise post-COVID respectueuse de la nature, ainsi que lors d’un événement consacré aux progrès réalisés sur le front du climat et de la nature grâce au One Planet Summit. Ce billet a été initialement publié le 4 septembre sous la forme d’une lettre ouverte au Congrès de l’UICN.
Le monde d’aujourd’hui doit faire face à différentes crises de très grande ampleur, en particulier celles liées à la COVID-19, au changement climatique et au déclin de la biodiversité. À l’heure où nous consacrons nos efforts à la relance, nous ne pouvons ignorer les interconnexions entre les populations, la planète et l’économie.
Le déclin de la biodiversité et des services écosystémiques pose un problème de développement dont les pays les plus pauvres sont fréquemment les principales victimes. La nature n’a pas besoin de nous, mais nous avons besoin d’elle. Pourtant, on sous-estime souvent ces services et on n’en tient pas compte dans la planification du développement.
Voyez les enjeux : plus de la moitié du PIB mondial provient d'activités tributaires, dans une plus ou moins large mesure, de services écosystémiques tels que la pollinisation, la filtration des eaux ou les matières premières.
- Alors que plus de 3 milliards de personnes tirent leurs apports en protéines et leurs moyens de subsistance de la biodiversité marine et côtière, 90 % de la ressource halieutique mondiale sont actuellement exploités en totalité ou surexploités.
- Alors que plus de 75 % des récoltes vivrières reposent sur la pollinisation animale, plus de 40 % des espèces d’insectes connues sont en déclin depuis plusieurs décennies.
En fait, sur les dix-huit catégories de services évaluées par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, quatorze sont en déclin depuis 1970.
Le déclin de la nature à l'échelle planétaire risque d'affecter les économies, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire inférieur. Selon une étude récente de la Banque mondiale (a), un effondrement ne serait-ce que partiel des services écosystémiques représenterait en 2030 un coût équivalent à 2,3 % du PIB mondial. L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud pourraient quant à elles perdre respectivement 9,7 % et 6,5 % de leur PIB réel en cas d’effondrement de services écosystémiques essentiels. La Dasgupta Review indique que les ressources en capital naturel par habitant ont diminué de 40 % de 1992 à 2014.
L'inaction n'est plus possible. À l'heure où les pays ont les yeux tournés vers la reprise économique, il faut placer la santé humaine et la santé de la planète sur le même plan. La reprise doit se faire en toute intelligence vis-à-vis de la nature, afin de mettre les pays sur la voie d’un développement vert, résilient et inclusif. Toute décision portant sur le développement, quel que soit le secteur, doit tenir compte de la valeur du milieu naturel.
Le Groupe de la Banque mondiale soutient activement la transition des pays vers une économie plus verte et plus résiliente. Pour cela, il investit dans la protection de la nature, favorise l’innovation financière et encourage l’intégration de pratiques écologiques dans des secteurs comme les transports, l’agriculture, l’exploitation forestière, la pêche ou la gestion des littoraux. L’an dernier, notre portefeuille de solutions fondées sur la nature s'est composé de 70 projets, menés dans 46 pays, aussi divers que, par exemple, la stabilisation des coteaux le long de routes en Inde ou la création de terrasses et de plantations pour éviter l’érosion, limiter le ruissellement et améliorer la productivité des terrains au Burundi. Nous cherchons également à accroître les possibilités de financement public et privé pour aider des pays dont les crises aggravent la situation financière à investir dans la protection de la nature.
Nous ne pouvons agir sur la biodiversité sans prendre également en considération les risques que présente le changement climatique pour le milieu naturel et pour les moyens de subsistance des populations, car la perte en biodiversité et le changement climatique sont les deux faces d'une même médaille. Notre nouveau plan d’action quinquennal sur le changement climatique, annoncé en juin, prévoit d'aligner tous nos financements sur les objectifs de l’accord de Paris. Pour cela, nous allons augmenter nos financements, sachant qu’au cours des cinq prochaines années, 35 % de la totalité de nos financements en moyenne appuieront l'action climatique, notamment sous la forme d'un soutien à des solutions fondées sur la nature pour les zones terrestres, côtières et maritimes. Cela suppose un surcroît de financement alloué aux pays pour qu'ils réduisent leurs émissions en décarbonant leurs systèmes énergétique et de transport, qu'ils reconstituent et protègent leurs forêts et autres composantes du paysage, qu'ils transforment leur système alimentaire, qu'ils rendent leur population résiliente aux impacts climatiques et qu'ils lui procurent de nouveaux emplois et moyens de subsistance, plus respectueux de l'environnement.
Pour répondre à la crise environnementale, qui constitue une menace systémique, il faut une approche économique globale, de façon à transformer les activités, les politiques publiques et les choix d'investissement qui sont aujourd’hui à l’origine des pertes de biodiversité. L'analyse de la Banque mondiale indique que les pertes économiques dues à des changements de politiques destinés à prévenir le déclin de la biodiversité peuvent être en quasi-totalité compensées par les gains économiques résultant de l'amélioration des services écosystémiques.
Un document d'orientation récemment publié par le Groupe de la Banque mondiale (a) sur le thème de la biodiversité et des services écosystémiques définit six champs d'action à mener au niveau international pour aiguiller les économies sur des voies plus durables. Nous vous encourageons à les examiner lors des importants débats qui se tiendront à l'occasion de ce Congrès mondial de la nature de l'UICN. Ces champs d'action consistent à :
- Associer les décideurs économiques et financiers aux efforts de protection de la nature ;
- Intégrer la nature et les solutions fondées sur la nature dans l’ensemble des investissements, quels que soient leurs secteurs de destination, et en particulier ceux qui prélèvent le plus lourd tribut sur le milieu naturel ;
- Accroître les bénéfices résultant de la préservation de la nature et les partager équitablement avec les populations locales ;
- Mobiliser, auprès de sources publiques et privées, des financements en faveur de la nature ;
- Développer des instruments de mesure et des outils d'aide aux décisions afin de guider les processus de planification, les politiques publiques et les choix financiers ;
- Mettre à profit des partenariats qui favorisent le consensus et une gestion durable du bien commun.
Les politiques respectueuses de la nature bénéficient à tous. Les investissements dans la nature peuvent contribuer aux efforts de relance parce qu’ils permettent de créer des emplois, de cibler les communautés les plus pauvres et de renforcer la résilience à long terme. Un écosystème sain contribue à atténuer le changement climatique et augmente la résilience des populations les plus vulnérables. Selon nos estimations, des objectifs ambitieux comme celui d'arriver à protéger 30 % des terres et des mers à l'horizon 2030 (l'objectif « 30x30 ») sont réalisables. Mais cela requiert une action internationale, dans tous les secteurs.
Nous avons pour responsabilité collective — celle des entreprises privées comme du secteur financier, des pouvoirs publics et de la société civile — de nous engager dans des actions décisives, propres à inverser le déclin de la nature par la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité, ainsi que par le partage équitable de ses bienfaits. Le développement de la nature nous est indispensable.
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