Publié sur Opinions

Repenser le financement du développement pour répondre à des aspirations croissantes

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Photo © Dominic Chavez/Banque mondiale.


Nous avons demandé à celles et ceux qui ont participé à la conférence mondiale du Milken Institute (a) de répondre à la question suivante : comment donner du sens à sa vie à l’ère des bouleversements technologiques ?  Vous aussi prenez part à la discussion en publiant votre article ici, avec le hashtag #MIGlobal.

Il n’y a guère d’endroits au monde où vous ne verrez pas des gens utiliser un téléphone portable ou un ordinateur. À l’heure où l’internet et les médias sociaux connectent tout le monde avec tout le monde, chacun sait exactement comment les autres vivent, dans son pays comme à l’étranger. Et cette connaissance aboutit à une convergence planétaire des aspirations individuelles. Des aspirations qui ne portent pas simplement sur ce que les autres possèdent, mais qui concernent aussi l’accès à des opportunités dont beaucoup sont privés.


Lorsqu’elles s’accompagnent d’opportunités, les aspirations peuvent insuffler du dynamisme et favoriser une croissance économique durable et solidaire. Elles peuvent ouvrir la voie à de nouveaux marchés et à de nouvelles possibilités pour les investisseurs. 

En revanche, sans perspective de réalisation, ces aspirations frustrées risquent de se transformer en colère et en ressentiment, voire de basculer dans l’extrémisme. Nous observons déjà des chiffres préoccupants. Deux milliards de personnes vivent dans des pays fragiles et en proie à des conflits ou à la violence ; entre 2012 et 2015, les attentats terroristes ont augmenté de 74 %, avec un nombre de victimes qui s’est alourdi de près de 150 %. 

Face à des aspirations croissantes, il faut mobiliser des milliers de milliards d’investissements dans les marchés émergents, auprès du secteur public comme du secteur privé, à l’échelle nationale comme à l’échelle mondiale. Et nous n’y parviendrons qu’en créant de nouveaux marchés et en faisant bénéficier les pays en développement des bienfaits de la rigueur et de l’innovation du secteur privé. 

Le Groupe de la Banque mondiale s’attache à repenser fondamentalement son approche du financement du développement. Nous devons nous efforcer, dans la mesure du possible, de travailler avec les pays pour attirer des capitaux privés,  tout en apportant notre savoir — nos compétences techniques, notre connaissance des pays et de l’économie — afin que les capitaux produisent effectivement les résultats escomptés sur les populations et les pays pauvres.

Nous estimons que toutes les institutions de financement du développement devraient s’employer à attirer les capitaux privés en adoptant un ensemble de principes qui aideront à mobiliser le maximum de ressources pour les pauvres. Nous n’en sommes pas encore là, mais voici comment nous pensons qu’il faudrait procéder pour y parvenir.

Tout d’abord, nous devons systématiquement nous demander si un projet peut être financé par le secteur privé.

En 2006, le Groupe de la Banque mondiale a collaboré avec le gouvernement jordanien pour financer des aménagements à l’aéroport international Reine-Alia d’Amman. Cette opération aurait pu être réalisée avec des fonds publics uniquement, mais les autorités ont voulu savoir si le secteur privé pouvait y être associé.

Nous nous sommes attachés avec les autorités jordaniennes à réunir les conditions nécessaires à un investissement privé. La Société financière internationale (IFC), notre institution spécialisée dans le secteur privé, a monté une opération satisfaisante, et investi 270 millions de dollars de ses propres ressources dans ce projet. À partir de là, nous avons pu attirer suffisamment de financements aux conditions du marché pour couvrir le reste des besoins. 

Le gouvernement a attribué le marché d’exploitation de l’aéroport à une entreprise française, qui verse une redevance annuelle à la Jordanie. Voilà un véritable partenariat public-privé. La Jordanie perçoit 54 % des recettes nettes de l’aéroport et génère de l’argent chaque année.

Ces neuf dernières années, la Jordanie a reçu plus d’un milliard de dollars de recettes, sans aucun investissement direct ni emprunt à rembourser au titre de ce projet.

Nous devons chercher partout d’autres opportunités comme celle offerte par l’aéroport Reine-Alia. 
Ensuite, nous devons promouvoir les réformes en amont. 

Nous avons vu que cela a marché dans le secteur de l’énergie en Turquie. Pendant plus d’une décennie, en collaboration avec d’autres partenaires, nous avons apporté notre appui à la création des marchés de l’énergie et du gaz, en mettant l’accent sur la réglementation et la structure tarifaire. Nous avons utilisé des fonds publics pour financer des investissements dans des biens publics tels que l’extension du réseau de transport de l’électricité et fourni des services-conseils sur les réformes réglementaires visant l’efficacité énergétique.

Alors que le marché se libéralisait, l’IFC a investi dans les énergies renouvelables. Et la MIGA, l’Agence multilatérale de garantie des investissements, notre institution spécialisée dans l’assurance contre les risques politiques et l’amélioration des termes du crédit, a fourni la couverture nécessaire. Avec seulement 5 milliards de dollars d’investissements publics et de prêts à l’appui des politiques publiques, la Turquie a pu attirer plus de 55 milliards de dollars d’investissements privés énergétiques et gaziers.

Enfin, nous devons utiliser les financements publics ou concessionnels d’une manière innovante pour atténuer les risques, et les financements mixtes pour soutenir l’investissement privé. En ce moment, nous travaillons à un mécanisme d’atténuation des risques baptisé « Programme de portefeuille de prêts conjoints ». Il s’agit d’une plateforme qui permet à des investisseurs institutionnels des pays de l’OCDE d’investir dans des projets dans le monde en développement en contrepartie d’un rendement de leur placement.

L’IFC et l’Agence suédoise de développement international (Sida) fournissent une garantie au premier risque de 10 %, offrant ainsi une bonne cote de placement à un portefeuille de prêts d’investissement dans les infrastructures de marchés émergents. Cette garantie permet à des partenaires qui ont une appétence relativement mesurée pour le risque, d’investir dans ces marchés. L’assureur allemand Allianz met sur la table 500 millions de dollars. Selon nos estimations, la mise en place de cette plateforme peut mobiliser 8 à 10 dollars de cofinancement pour chaque dollar provenant de fonds publics. 

Ce que nous souhaitons, c’est de parvenir à faire en sorte qu’un fonds de pension aux États-Unis puisse investir dans la construction de routes à Dar es Salam, pour permettre aux habitants de se rendre au travail tous les matins et de regagner leur foyer le soir. Les investisseurs pourront ainsi bénéficier d’un retour sur investissement raisonnable et apporter par la même occasion beaucoup de bienfaits. 

Depuis des décennies, les riches s’enrichissent grâce à des instruments financiers sophistiqués (swaps, produits dérivés, dette…). Nous devons inventer de nouvelles manières d’utiliser ces instruments au profit des pauvres. Au Groupe de la Banque mondiale, nous nous considérons comme des conseillers stratégiques et des courtiers honnêtes qui jettent des passerelles entre des capitaux en quête d’un rendement plus intéressant et des pays cherchant à combler leurs plus hautes aspirations.

Nous pensons que chaque membre de la communauté du développement doit être un courtier honnête qui contribue à obtenir des résultats mutuellement bénéfiques, où les détenteurs de capitaux bénéficient d’un retour sur investissement raisonnable, et les pays en développement maximisent les investissements durables.

Le moment n’a jamais été aussi propice pour trouver ces solutions gagnant-gagnant. Il y a actuellement 8 500 milliards de dollars placés dans des obligations à taux d’intérêt négatif, 24 400 milliards de dollars investis dans des titres d’État à faible rendement et une manne d’argent comptant estimée à 8 000 milliards de dollars. Nous devons mobiliser ces capitaux en quête d’une meilleure rentabilité pour combler les aspirations qui montent toujours plus nombreuses aux quatre coins du monde. 

Tout autour de nous, les aspirations grandissent. Et si nous essayions d’élever les nôtres pour parvenir à leur hauteur ?


Auteurs

Jim Yong Kim

Ancien président du Groupe de la Banque mondiale

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