La faim et la malnutrition regagnent du terrain dans le monde après plusieurs décennies de recul. En 2024, 343 millions de personnes dans 74 pays ont été confrontées à une insécurité alimentaire aiguë aggravée par les effets durables de la pandémie de COVID-19, les conflits et les chocs économiques.
En outre, les perturbations mondiales et locales de l'approvisionnement alimentaire sont devenues plus fréquentes et plus prononcées. Depuis la flambée des prix alimentaires mondiaux de 2007-2008, on assiste à une recrudescence des restrictions à exportation de certaines denrées de base en période d’inflation, ce qui accentue les risques d’approvisionnement pour les pays tributaires de ces importations. En raison des tensions géopolitiques, le commerce international a encore plus de mal à amortir rapidement les chocs des prix alimentaires. À tout cela s’ajoute le manque de ressources et d’accès qui empêche de porter secours à des ménages en situation d’insécurité alimentaire aiguë via les canaux de l’aide humanitaire ou des filets de protection sociale.
Les réserves stratégiques de céréales peuvent contribuer à remédier à ces difficultés
Dans ce contexte, la constitution de réserves stratégiques de céréales par les États peut jouer un rôle essentiel. Ces stocks peuvent en effet permettre d’assurer la disponibilité de produits alimentaires en situation d’urgence, en particulier dans les pays tributaires des importations, vulnérables et isolés, et de parer ainsi aux ruptures d’approvisionnement. La gestion de réserves stratégiques nécessite toutefois d'évaluer avec soin leurs coûts budgétaires et les risques de distorsion du marché qu’elles peuvent engendrer. Elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont intégrées à des stratégies plus larges de sécurité alimentaire dans lesquelles le commerce, le développement du secteur privé et les filets sociaux jouent des rôles complémentaires importants. Une chose est sûre : la constitution de réserves stratégiques de céréales risque d'être vouée à l'échec si elle vise uniquement à stabiliser les prix alimentaires.
Ces questions sont au cœur d’un nouveau rapport publié conjointement par la Banque mondiale, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Intitulé en anglais Strengthening Strategic Grain Reserves to Enhance Food Security (a), cette publication propose des principes directeurs à l’intention des décideurs publics et des professionnels du développement afin de les aider à mettre en place et gérer efficacement des réserves stratégiques de céréales, dans la perspective de renforcer durablement la sécurité alimentaire.
Le rapport traite spécifiquement des réserves constituées au niveau national, sachant que les initiatives régionales ou mondiales se sont traditionnellement heurtées à des difficultés considérables pour diverses raisons. Il en ressort que les stocks stratégiques de céréales peuvent jouer un rôle plus important dans les pays importateurs nets de produits alimentaires et qu’ils doivent être conçus en tenant compte des spécificités de chaque contexte national.
Principes directeurs pour le maintien de réserves relativement limitées, au fonctionnement simple et rationnel, et qui renforcent la sécurité alimentaire
Selon le rapport, la constitution de réserves stratégiques de céréales peut produire des résultats positifs si elle s’inscrit dans le cadre plus large d’une stratégie de sécurité alimentaire et si elle répond à des principes directeurs clés, parmi lesquels notamment :
Assurer une gouvernance et une communication efficaces : Le succès des réserves stratégiques de céréales repose sur le respect d’objectifs clairs et bien définis, sans lesquels les initiatives de stocks publics finissent souvent par échouer. Les décisions concernant le volume des stocks, l’achat et la mise en vente doivent suivre les principes du marché, avoir une portée limitée et être communiquées en temps opportun.
Maîtriser les volumes et les coûts : Le maintien de réserves stratégiques de céréales peut s’avérer coûteux en raison de leur taille et des incertitudes inhérentes aux situations d’urgence. Afin de réduire les coûts, les pays devraient maintenir leurs réserves à des niveaux relativement bas, choisir au mieux le moment des achats et des mises sur le marché, et limiter au minimum les dépenses engendrées par leur gestion. Afin de contenir les distorsions de prix, les réserves doivent viser en priorité à atténuer les perturbations de l’approvisionnement alimentaire et à apporter une aide en temps de crise, et non à générer des profits ou à stabiliser les prix.
Rationaliser les opérations de reconstitution et de mise sur le marché : Une stratégie d’approvisionnement efficace réside notamment dans l’achat de céréales aux prix du marché, via des appels d’offres ouverts et transparents. Le fait d’intégrer les petits exploitants agricoles dans ces mécanismes d’achat et de s’approvisionner en priorité dans des régions comptant peu de négociants peut en outre générer des retombées positives pour le développement. La mise sur le marché des stocks par le biais de ventes aux enchères ou de bourses de marchandises permet d’améliorer l'efficacité du marché, de garantir des prix transparents et d’accroître l’offre alimentaire en cas de flambée des prix.
Intégrer les réserves stratégiques dans les programmes de protection sociale : Lorsque les mécanismes de mise sur le marché ont un impact limité, les réserves stratégiques doivent être intégrées aux programmes de filets sociaux de sorte que la nourriture parvienne aux populations vulnérables pendant les situations d’urgence.
Investir dans les infrastructures et l’innovation : Des investissements dans les liaisons de transport, dans des équipements de stockage modernes et résilients et dans des technologies de surveillance numérique permettront de réduire encore davantage les coûts et de préserver la qualité des céréales stockées en limitant les pertes et en assurant une détection précoce des risques de détérioration et d’éventuelles infestations.
La constitution de réserves stratégiques de céréales doit par conséquent faire l’objet d’une attention renouvelée et d’investissements ciblés. Elle peut être compatible avec le fonctionnement de marchés céréaliers libéralisés, éviter le recours à des interventions de grande envergure et permettre de répondre efficacement aux perturbations de l’approvisionnement alimentaire. La conception de ces stocks stratégiques variera d’un pays à l’autre. Cependant, le rapport préconise globalement le maintien de réserves relativement limitées, au fonctionnement simple et rationnel, de manière à en optimiser la gestion efficace, la rentabilité et l’impact sur la sécurité alimentaire, et à faire en sorte que cet instrument vienne compléter autant que possible les autres mesures prises dans ce domaine.
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