Publié sur Opinions

S'attaquer aux défis croisés du changement climatique et des conflits

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Marshall Islands ? Children sitting on a seawall near their family houses. Their home village of Jenrok in Majuro is slowly being destroyed by the rising seas. Marshall Islands – Children sitting on a seawall near their family houses. Their home village of Jenrok in Majuro is slowly being destroyed by the rising seas.

Les conflits et les dérèglements du climat sont deux fléaux qui entravent gravement la réduction de la pauvreté, et ce d’autant plus qu’ils sont concomitants. Le changement climatique peut avoir de fortes répercussions sociales, en particulier dans des environnements fragiles où les États manquent de ressources pour gérer les crises et aider leur population à s’adapter.  Avec son lot d'effets néfastes — pénuries d’eau, mauvaises récoltes, insécurité alimentaire, chocs économiques, migrations et déplacements forcés —, il peut aggraver les risques de conflit et de violence. Parce qu’il a pour conséquence d’exacerber les tensions autour de l’accès à des ressources rares, de réduire les perspectives d’emploi et la cohésion sociale, et d’éroder les institutions publiques et la confiance dans l’État, le changement climatique est un amplificateur de menaces, à la fois à court et long terme.

Les liens entre risques climatiques, d’une part, et risques de fragilité, conflit et violence, d’autre part, sont déjà manifestes à travers le monde. Le changement climatique frappe plus durement les populations les plus pauvres et vulnérables, en particulier lorsqu’elles vivent dans des régions en proie à la fragilité et au conflit.  Faute de mesures pour y remédier, ses conséquences pourraient faire basculer 132 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté à l’horizon 2030 (a). Les conflits, conjugués aux événements météorologiques extrêmes et aux catastrophes naturelles, ont provoqué 33,4 millions de nouveaux déplacements internes dans le monde en 2019. Sur ce chiffre total, 24,9 millions sont imputables à des catastrophes, principalement d’origine climatique (inondations et tempêtes notamment) — c’est le chiffre le plus élevé qui a été enregistré depuis 2012 et c’est trois fois plus que les déplacements causés par les conflits et la violence. Les déplacements de populations contraintes de quitter leur foyer en laissant derrière elles leur terre, leur emploi, leur toit et leurs moyens de subsistance alimentaire peuvent constituer un terrain favorable à l’aggravation de la fragilité et de l'instabilité.

Les dérèglements du climat pourraient devenir une cause majeure de migration, en raison notamment de leurs conséquences sur le stress hydrique, la baisse de la production agricole, l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des ondes de tempête. D'ici 2050, en l’absence de mesures concrètes sur le climat et le développement, plus de 143 millions de personnes — soit environ 3 % de la population d’Afrique subsaharienne, d’Amérique latine et d’Asie du Sud — pourraient être contraintes de migrer à l’intérieur de leur propre pays en raison de l'évolution des conditions climatiques.

Au Sahel, notamment, les périodes de sécheresse plus prolongées, la montée de l'insécurité et la hausse des restrictions imposées au déplacement des éleveurs nomades perturbent sévèrement les modes traditionnels de gestion des troupeaux, conduisant à des conflits plus fréquents et potentiellement plus graves. Afin d'aider les éleveurs à s'adapter face aux menaces de sécheresse et de conflit, le projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel promeut une stratégie de migration transfrontalière reposant sur tout un éventail d’actions : balisage des couloirs de transhumance, points d’eau partagés, surveillance épidémiologique et services vétérinaires, ou encore renforcement des systèmes d'alerte rapide et amélioration des dispositifs d’intervention en cas de crise.

Le lien entre changement climatique, isolement géographique et fragilité est particulièrement prégnant dans les États insulaires du Pacifique. Du fait de leur petite taille, du manque d’infrastructures, de débouchés économiques limités et d’un chômage massif chez les jeunes, ces pays sont confrontés à des difficultés spécifiques qui sont en outre amplifiées par des catastrophes naturelles récurrentes : cyclones tropicaux, activités volcaniques, séismes, sécheresses, inondations... En Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux Îles Salomon ou à Kiribati, qui font partie des pays les plus vulnérables aux aléas naturels, le changement climatique est susceptible d'accroître la fréquence et l'intensité de ces menaces tout en engendrant de nouveaux risques, comme la montée des océans. Alors que les États insulaires du Pacifique perdent déjà entre 0,5 et 6,6 % de leur PIB chaque année en raison des catastrophes naturelles, le changement climatique menace d'accroître encore leurs vulnérabilités et leur fragilité  en mettant en péril les moyens de subsistance, en exacerbant les tensions liées à la pénurie de ressources et en mettant à rude épreuve la capacité des gouvernements à répondre aux besoins des populations.

En 2019, les catastrophes liées au climat ont constitué la première cause d'insécurité alimentaire aiguë pour 34 millions d’habitants dans 25 pays, sachant que les chocs climatiques et les conflits ont été à l'origine de huit des plus graves crises alimentaires intervenues cette même année. Les répercussions des dérèglements climatiques sur la sécurité alimentaire sont particulièrement sévères en Afrique et au Moyen-Orient.

En 2019, des conditions météorologiques inhabituelles, exacerbées par le changement climatique, ont créé les conditions idéales pour une invasion de criquets pèlerins (a). L'augmentation des températures dans l'océan Indien occidental a donné lieu à des précipitations anormalement abondantes, créant des conditions humides idéales pour l'éclosion et la reproduction de ces ravageurs. Le passage de cyclones violents dans des zones habituellement arides d'Afrique et du Moyen-Orient a ensuite favorisé la dispersion de ces essaims géants, qui se sont abattus sur les champs, les arbres et les pâturages, dévastant les récoltes et la végétation et mettant en péril la sécurité alimentaire de nombreux habitants en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud.

Au Yémen, le projet de lutte antiacridienne s’est attaché à apporter une aide immédiate aux agriculteurs, éleveurs et ménages ruraux pauvres et vulnérables afin de compenser les pertes de récoltes et de revenus subies à la suite de l’une des pires invasions de criquets depuis des décennies. Financée à hauteur de 25 millions de dollars par la Banque mondiale et menée en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), cette opération fournit des filets sociaux ciblés, au moyen de transferts monétaires notamment, tout en investissant dans le rétablissement à moyen terme des systèmes de production agricole et d’élevage et plus généralement dans la restauration des moyens de subsistance dans les zones rurales touchées par cette crise. Théâtre d’un conflit dévastateur qui a contribué à aggraver les conséquences de l’invasion de criquets pèlerins, le Yémen est confronté à une crise alimentaire qui est l’une des plus graves crises d’origine humaine dans le monde actuellement , et dont les causes sont liées à la fois aux obstacles qui entravent fortement la production de nourriture et les importations, aux limites de l’offre et de la distribution et à la baisse de la capacité des ménages à assurer l’achat de nourriture. Plus de 20 millions de personnes se trouvent aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire au Yémen, dont 10 millions sont menacés de famine.

Dans le cadre de son Plan d’action sur l’adaptation au changement climatique et la résilience, le Groupe de la Banque mondiale redouble d’efforts pour aider les pays à s’adapter aux dérèglements du climat. Ce qui passe par un soutien accru en faveur de la résilience sociale face à l'accroissement des risques amplifiés par le changement climatique, en matière notamment de chocs migratoires, alimentaires et économiques. Parmi les aspects prioritaires de ce plan figure la nécessité de mieux comprendre et contrer la menace que représentent les risques climatiques dans les situations de fragilité et de conflit. Et de souligner l’importance d’une approche à moyen et long terme plus stratégique qui, au-delà de la gestion des crises, aide les communautés à rester là où elles vivent dès lors qu'elles disposent de possibilités d'adaptation locales viables, mais aussi à accompagner leur déplacement si elles sont exposées à des risques climatiques inévitables. Le cas échéant, il s’agit de veiller à ce que les régions de départ et de destination, ainsi que leurs populations, soient bien reliées entre elles et suffisamment préparées. Le plan du Groupe de la Banque mondiale prévoit de porter son soutien financier direct aux mesures d’adaptation à 50 milliards de dollars sur la période 2021-2025.

Pour obtenir des résultats de développement durables qui concourent à la paix, à la stabilité et à la sécurité, il est essentiel de lutter vigoureusement à la fois contre les situations de fragilité, conflit et violence et contre le changement climatique . L'adoption par le Groupe de la Banque mondiale d’une stratégie dédiée aux environnements fragiles, ainsi que la reconstitution récente des ressources de l’IDA (IDA-19), mettent fortement l'accent sur le lien entre conflit et changement climatique, témoignant ainsi avec force de l’importance à accorder à ces enjeux dans les efforts déployés par la communauté internationale pour mettre fin à l'extrême pauvreté.


Auteurs

Bernice Van Bronkhorst

Directrice mondiale, pôle d’expertise en développement urbain, résilience et gestion foncière

Franck Bousquet

Directeur principal, fragilité, conflits et violence (FCV)

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