Alors que l’éducation a connu une formidable expansion à travers le monde, le sujet des compétences acquises à l’école fait désormais partie des priorités des acteurs du secteur , voire souvent leur priorité absolue. Les décideurs ayant compris qu’allongement de la scolarité ne rime pas forcément avec progrès sur le plan des apprentissages, du développement des compétences ou de la croissance économique, la plupart des pays ont commencé, surtout depuis le tournant du siècle, à engager des réformes pour une éducation axée sur les compétences. Étonnamment, cela n’a pas induit d’amélioration systématique des acquis scolaires ou, du moins, au rythme attendu. D’où cette question évidente : comment enseigner concrètement les compétences dans chaque classe pour que les plans conçus par les autorités éducatives produisent effectivement des résultats quantifiables chez chaque élève ?
Malgré les innombrables études sur les politiques de développement des compétences, la plupart s’attachent à avancer des recommandations pour identifier les lacunes et déployer des stratégies au niveau global. Les éléments concrets sur les mesures à prendre pour garantir le développement des compétences dans les écoles sont malheureusement plus rares. Pour moi qui ai eu à conduire un vaste programme de développement des compétences, je sais d’expérience qu’une étape incontournable consiste, même si cela peut paraître une lapalissade, à définir aussi précisément que possible les compétences qui seront enseignées et donc à consacrer suffisamment de temps à ce processus.
Au fait, que recouvre la notion de « compétences » ?
Les compétences désignent l’aptitude à faire quelque chose correctement. Alors que les connaissances (ou les savoirs) renvoient à la manière dont nous prenons conscience, comprenons et mémorisons une information, les compétences font référence à la façon dont nous sélectionnons, utilisons et appliquons ce que nous savons en fonction des circonstances, par essence variables et souvent imprévisibles. Prenons l’exemple des e-mails : vous avez beau savoir écrire et comprendre ce qu’est un message électronique, vous ne savez pas forcément comment le rédiger correctement et, encore moins, comment le faire en fonction du contexte, de votre objectif ou de vos destinataires. Le fait de savoir écrire diffère donc du fait de maîtriser les compétences de communication (a). Une définition plus technique des compétences (ou aptitudes) englobe les savoirs et savoir-faire, mais aussi des savoir-être et des valeurs : lorsque vous rédigez un email, vous êtes non seulement censé(e) respecter les règles de grammaire et d’orthographe mais aussi faire preuve d’empathie et de respect.
Approfondissons la réflexion. Les compétences sont :
- multidimensionnelles et interdépendantes : qu’il s’agisse d’aptitudes cognitives (a), socioaffectives et non cognitives (a) ou techniques et liées à un métier (a), il y a une gradation (a) entre toutes ces compétences. Les interactions entre différents types de compétences sont telles qu’il devient difficile d’identifier celles qui engendreront les autres ou de regrouper certaines compétences dans une seule catégorie. Ainsi, les compétences socioaffectives sont indispensables pour apprendre et acquérir des aptitudes cognitives mais, dans le même temps, le développement d’aptitudes cognitives contribue au développement socioaffectif.
- transdisciplinaires : une même compétence peut être enseignée dans plusieurs disciplines à des fins qui ne sont pas forcément identiques. C’est le cas par exemple de la résolution de problèmes.
- transversales : une même compétence sera utile dans un large éventail de métiers ou de secteurs et non pas seulement pour le poste occupé à l’instant T par un individu. Je pense à la communication.
- transférables : l’essence même de l’acquisition d’une compétence consiste à pouvoir la transférer et l’appliquer à un autre métier ou dans un autre contexte. Typiquement, c’est le cas de la prise de décisions.
- acquises à différentes étapes du développement : une compétence peut être acquise et développée à différents âges, en fonction des besoins et de la maturité de l’individu (a). En règle générale, les compétences cognitives se développent pendant la petite enfance et l’enfance et atteignent un plateau à l’âge adulte tandis que les compétences à vocation professionnelle s’acquièrent plutôt vers la fin de l’adolescence et à l’âge adulte.
- évaluées au final dans la vie professionnelle et dans la vie tout court : si chaque individu est censé acquérir certaines compétences fondamentales pendant sa scolarité, ce n’est que plusieurs années après, au travail ou au cours de la vie (a), que l’on pourra apprécier si elles ont ou non été assimilées.
Pourquoi est-ce si compliqué d’enseigner les compétences ?
Pour pouvoir impartir des compétences, les enseignants doivent disposer d’objectifs clairs, précis et quantifiables. C’est particulièrement important pour les compétences socioaffectives dans la mesure où leur appréciation est plus complexe que lorsqu’il s’agit de compétences cognitives. Du fait, entre autres, du caractère multidimensionnel et transdisciplinaire des compétences, les enseignants doivent savoir précisément ce que l’on attend d’eux afin de suivre les progrès obtenus en classe. Il faut pour cela que chaque compétence soit définie de manière simple et précise en fonction du cursus.
Voici un exemple tout à fait concret : en 2008, avec sa réforme du deuxième cycle de l’enseignement secondaire (es), le Mexique a introduit un cadre programmatique commun (es) articulé autour de 11 compétences. L’une d’elles était définie comme suit : « l’élève choisit et pratique [un mode de vie sain] ». Comment, dans la pratique, enseigner ce type d’objectif ? Les enseignants ne peuvent pas toujours obliger un élève à prendre des décisions saines et encore moins évaluer si cet élève le fait ou pas.
Une compétence est parfois définie par le résultat découlant de sa maîtrise (opter pour un mode de vie sain, dans le cas présent) et non comme une aptitude en tant que telle (savoir prendre des décisions responsables, par exemple), ce qui la rend délicate à enseigner et à évaluer. Dans le cadre du programme dont j’ai eu la charge, nous avons décidé de travailler avec des enseignants et des psychologues pour établir des définitions claires, compréhensibles et simples des 18 compétences retenues (y compris la prise de décisions responsables). Cela nous a permis de mettre en œuvre le programme plus rapidement et d’aider les enseignants à mener à bien les activités prévues.
Plus nous saurons précisément ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, plus nous obtiendrons des résultats de qualité. Je vous invite vivement à appliquer vos compétences décisionnelles dans ce but...
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