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La sécurisation des droits fonciers, une clé pour l’autonomisation des femmes et le développement des villes et de l’économie

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La terre et les droits de propriété sont au cœur des défis du développement les plus urgents . Un chiffre traduit l’ampleur du problème : dans les zones rurales d’Afrique, 10 % seulement des terres (et c’est une estimation optimiste) sont effectivement cadastrées. La Conférence annuelle de la Banque mondiale sur la terre et la pauvreté, cette semaine, va permettre de comprendre comment, pour des millions de pauvres dans le monde, cette lacune constitue un obstacle pour accéder aux débouchés et aux services essentiels, entretient les inégalités hommes-femmes et menace la pérennité environnementale.
 
Mais cette conférence sera aussi l’occasion de relayer des expériences originales et positives de pays, de villes ou de communautés face à ces difficultés. La présence de nouvelles sources de données et d’options technologiques étend considérablement les possibilités de renforcement de la sécurité foncière et de rapprochement avec l’utilisation des terres — et prouve que ce sont souvent des contraintes politiques et réglementaires qui empêchent la reconnaissance des droits fonciers des pauvres. L’élimination de ces freins et l’expérimentation rigoureuse d’approches systématiques peu coûteuses permettront d’étendre rapidement les zones officiellement recensées avec, à terme, d’importantes retombées pour le développement.
 
Pour les femmes et les groupes défavorisés notamment, des droits fonciers clairement définis peuvent engendrer d’importants bénéfices. Premièrement, la sécurité des droits incite à investir pour améliorer la qualité et la productivité des terres  et évite les pratiques dommageables pour l’environnement (comme l’épuisement des sols). Au Malawi, 22 % des petits exploitants craignent d’être expropriés, ce qui limite la productivité, surtout chez les femmes, et représente un manque-à-gagner global pour l’économie de plusieurs millions de dollars.
 
Ensuite, la possession de terres, qui font en général partie des principaux actifs d’un ménage, conditionne l’égalité des chances — et en particulier le pouvoir de négociation des femmes — mais aussi l’aptitude des parents à investir dans le bien-être matériel et économique de leurs enfants et à surmonter des événements graves (maladies, crise financière ou autres imprévus). Bien souvent, le droit d’une femme à posséder une terre en son nom, à transférer ce droit ou à en hériter est fortement restreint, ce qui lui barre la route vers des débouchés économiques et l’expose à des litiges fonciers en cas de succession.
 
En Inde, les réformes juridiques ayant donné aux femmes et aux hommes les mêmes droits fonciers en cas d’héritage ont renforcé la détention d’actifs par les femmes et leur autonomie (avoir un compte en banque à son nom par exemple) mais également entraîné une hausse des dépenses d’éducation (au détriment des cigarettes et du tabac), créant une spirale vertueuse sur le plan de la fréquentation et des résultats scolaires des filles, qui tendent à se marier plus tard qu’avant.
 
Enfin, l’enregistrement des droits fonciers simplifie considérablement les transactions commerciales, surtout pour la location de terres — une pratique très importante une fois encore pour les femmes et les jeunes — et la consolidation des exploitations en activité. Au Mexique, un programme national de certification des droits fonciers communautaires a servi de base aux baux de longue durée, augmentant ce faisant la productivité agricole et les revenus des ménages. Au Rwanda, la régularisation des droits fonciers a renforcé l’activité sur le marché des baux ruraux avec, pour résultats, une utilisation plus efficace des terres et la possibilité de présenter un montant total de 3 milliards de dollars de garanties pour des crédits hypothécaires.
 
Des droits fonciers mal définis compliquent la donne

La formalisation des droits fonciers participe des biens collectifs et d’une utilisation efficiente des terres. Dans de nombreux pays en développement, les prix du foncier dans les zones périurbaines s’envolent depuis quelques décennies. L’absence ou la médiocrité des relevés cadastraux font que les autorités (locales) ne parviennent pas, à travers l’impôt foncier, à récupérer une partie de ces gains pour financer des services et des infrastructures, la flambée des prix entretenant au contraire la spéculation et un étalement urbain anarchique.
 
Les images satellite gratuites et pratiquement en temps réel sont en mesure d’améliorer sensiblement la surveillance de l’affectation des sols et les mesures prises contre les violations. Avec des images haute résolution (payantes celles-ci), couplées aux données sur les transactions, on peut établir des relevés de propriété plutôt précis à l’échelle d’une ville et récupérer par l’impôt des millions de dollars (à Kigali, les recettes locales ont ainsi été multipliées par quatre). Le pilotage de drones par des habitants formés pourrait également compléter ces options, à condition de mettre en place un cadre réglementaire adapté.

Si l’État ne dispose pas de réserve foncière, il doit acquérir des terres pour construire des infrastructures et des espaces publics. L’incapacité à anticiper les besoins d’infrastructures, la piètre qualité des registres et des estimations obsolètes font de l’expropriation un processus coûteux et source de conflits. Face à la menace d’expropriations sans indemnisation adaptée, un grand nombre de terres périurbaines ne sont pas, le cas échéant, exploitées pour des cultures à forte valeur ajoutée. Si la médiocrité des systèmes d’administration foncière, ou leur couverture limitée, rend impossible l’utilisation des registres existants pour faire valoir des droits, des investisseurs privés peuvent, comme ce fut le cas en Inde, recourir à l’expropriation pour acquérir des terres afin d’effacer toute demande non enregistrée.
 
Le foncier présentant un intérêt particulier (zones humides, forêts, parcs, réserves routières ou écoles par exemple) doit rester dans le giron de l’État. L’incapacité à identifier et à faire connaître les limites d’un terrain public, à contrôler les empiètements et à intervenir rapidement mais aussi à utiliser ces propriétés foncières de manière transparente est la porte ouverte à la corruption avec, pour conséquence, des pertes considérables pour la collectivité et les mesures d’atténuation du changement climatique.
 
Améliorer et suivre les performances
 
Dans de nombreux pays en développement, les dispositifs institutionnels échouent à exploiter le potentiel des droits fonciers pour servir de catalyseur à la transparence, à l’évolution des relations hommes-femmes, à la décentralisation et à l’urbanisation. Cela tient en général au décalage entre des dispositions juridiques souvent très progressistes et leur application.
 
L’amélioration récente de l’accès aux services fonciers et la baisse de leurs coûts, conjuguée au renforcement des capacités de traitement des données, de la connectivité et de télédétection pourrait remédier à ce problème. Premièrement, cela permet de réduire par dix le coût des démarches de sécurisation des droits fonciers. Au Rwanda, le recours à des arpenteurs auxiliaires et à l’imagerie haute résolution a permis de ramener le coût autour de 5 dollars par parcelle, facilitant de ce fait l’accès au foncier des femmes mariées et les investissements dans la conservation des sols.
 
Deuxièmement, l’établissement de registres fonciers peut favoriser les synergies grâce à la synchronisation des informations foncières avec d’autres sources de données (banques, tribunaux, services fiscaux) ce qui permettra, à terme, d’améliorer l’efficacité des services de l’administration et l’accès aux financements.
 
Enfin, la technologie peut renforcer la responsabilité et la transparence en permettant un suivi objectif des avancées des politiques, stratégies et programmes fonciers d’un pays. À l’échelle mondiale, « l’indicateur de qualité de l’administration foncière », intégré depuis 2015 dans les indicateurs du rapport Doing Business de la Banque mondiale, en est une bonne illustration : les données réunies pour 189 pays font apparaître d’importants écarts de mise en œuvre ( tableau [a]). La législation est globalement plutôt bien développée, puisque 90 % des pays imposent l’enregistrement des transferts de propriété, 96 % contrôlent les documents et 78 % ont une garantie d’État. Mais une couverture géographique limitée rend ces dispositions inefficaces : à l’échelle mondiale, la totalité des terrains privés d’un pays/de sa ville principale sont enregistrés à hauteur de 22/42 %, la proportion passant à 3/16 % en Amérique latine et à 4/15 % en Afrique subsaharienne, contre 68/90 % dans les pays de l’OCDE.
 
La qualité des infrastructures pour consigner les éléments textuels et spatiaux des droits fonciers varie considérablement : 39 % des pays (de 75 % en Asie du Sud à 4 % en Europe de l’Est et Asie centrale) ne possèdent que des registres papier. Dans des régions à l’urbanisation galopante, comme en Asie du Sud (88 %) ou en Afrique subsaharienne (81 %), les cartes sur papier sont pratiquement le seul outil utilisé pour organiser l’aménagement du territoire, malgré leurs défauts intrinsèques.
 
Le fait qu’un pays africain comme le Rwanda obtienne un résultat bien supérieur à la moyenne de l’OCDE montre bien le saut qualitatif possible, tandis que les réformes engagées dans un grand nombre de pays pour améliorer leur rang témoignent de l’intérêt d’un suivi de la performance fondé sur des séries de données comparables.
 
Les dispositifs permettant de relier les différentes données administratives (identification de la propriété et de la personne) peuvent améliorer la transparence et renforcer la valeur des registres fonciers. Pour les banques ou les investisseurs privés, des notifications régulières (sur les prix ou la fréquence des transactions) seraient précieuses, car permettant de repérer les actifs fonciers bien gérés et donc moins risqués. Le passage au crible de ces données par des groupes de réflexion locaux peut renforcer la transparence, la comparaison entre unités infranationales et servir de base à un dialogue informé avec toutes les parties prenantes sur la manière d’optimiser la gouvernance foncière en fonction de la spécificité et de l’histoire de chaque pays.
 
Ce billet est le premier d’une série que nous consacrerons tout au long de cette semaine aux différents thèmes, exposés et débats organisés pendant la conférence 2017 de la Banque mondiale sur la terre et la pauvreté.

Pour en savoir plus : http://www.worldbank.org/en/events/2016/08/22/land-and-poverty-conference-2017-responsible-land-governance-towards-an-evidence-based-approach
 

Auteurs

Klaus Deininger

Lead Economist, Development Research Group, World Bank

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