L’avantage, quand on travaille dans les infrastructures, c’est que tout le monde sait de quoi il s’agit.
Qui n’a pas eu à régler des factures, été privé de courant pendant une tempête ou ne s’est inquiété de la qualité de l’eau du robinet ? Sans parler du jour où l’on se retrouve bêtement à répéter « Allo, allo ! » dans un machin en plastique devenu muet et auquel on vient de déclarer sa flamme en pensant avoir encore quelqu’un au bout du fil…
Si les professionnels que nous sommes sont attachés à ces services indispensables à notre quotidien, ils savent aussi l’importance particulière que prennent leur fiabilité et leur accessibilité financière du point de vue des populations pauvres. Quand, faute de ligne téléphonique, tout contact avec l’extérieur est impossible ; faute de courant, vous ne pouvez pas étudier ; et, faute d’eau salubre, vos enfants sont malades, alors l’accès aux services d’utilité publique marque la frontière entre stagnation et croissance, pauvreté et opportunités.
Nous voyons tous quand un service fonctionne et quand il ne fonctionne pas. Mais ce que les économistes spécialistes des infrastructures cherchent à comprendre depuis longtemps, c’est le pourquoi. Comment réformer le secteur pour multiplier les raccordements, accroître l’efficacité, améliorer les prestations et faire baisser les prix ?
Des solutions existent, même s’il est illusoire de compter sur une quelconque formule magique. Grâce à l’analyse de données portant sur des centaines de compagnies (électricité, eau et télécommunication) en Amérique latine et aux Caraïbes, un nouveau rapport intitulé Uncovering the Drivers of Utility Performance propose quelques pistes.
Privé ou public ?
Ce débat vieux comme le monde parvient encore à cliver des familles entières ou, à tout le moins, à gâcher un dîner ! Examinons la situation froidement, en laissant les données parler d’elles-mêmes : en moyenne, les entreprises privatisées offrent des services publics plus efficaces et de meilleure qualité que leurs homologues du public. Les déperditions et les coupures diminuent, la productivité augmente et les pannes durent moins longtemps (comme souvent, il y a des exceptions : dans un cas sur dix, l’opérateur public sera plus efficace que l’opérateur privé moyen). Les entreprises privées contribuent aussi à élargir l’accès même si, en moyenne, le rythme est à peu près le même qu’avec les entreprises publiques. Par ailleurs, la privatisation ne fait pas baisser les prix, surtout pour l’eau et l’électricité.
De l’importance de la réglementation
Si l’efficacité augmente mais que les prix restent constants une fois le service privatisé, c’est que deux phénomènes au moins sont à l’œuvre : une diminution du volume de subventions allouées au secteur pour couvrir les frais de recouvrement ; et/ou une récupération plus importante des gains d’efficacité par les opérateurs. Ce qui n’est pas en soi un crime, puisque l’entreprise doit bien acquitter ses impôts, faire un bénéfice et financer des investissements. Mais cela oblige à avoir quelqu’un qui veille au grain.
Pour la plupart des services d’infrastructure, les consommateurs ne peuvent pas compter sur le jeu du marché et de la concurrence pour réguler les tarifs ou la qualité de la prestation. Dans des secteurs comme l’énergie, l’eau et l’assainissement mais aussi la téléphonie fixe, les monopoles naturels tendent à persister. Certes on peut constater que producteurs et fournisseurs se battent, qui pour acheminer, qui pour vendre de l’électricité ou de l’eau transitant par des câbles ou des conduites existants, ou encore que la pression des services de téléphonie mobile contribue à renforcer l’efficacité de la téléphonie fixe. Mais, pour l’essentiel, les lourds investissements dans les actifs indispensables au secteur ne sont pas redondants. Autrement dit, la solution la plus efficace pour construire des infrastructures réside toujours dans un réseau unique desservant particuliers et entreprises.
Une fois le réseau en place, c’est à la réglementation de protéger la relation client-fournisseur. Les données montrent que la règle de séparation du principal et de l’agent (prestataire de service et régulateur en tant que défenseur de l’intérêt public) reste valable. Pour le consommateur, ce sera tout bénéfice : moins de déperditions, moins de pannes, plus d’efficacité et des problèmes résolus plus rapidement. Plus l’organe de réglementation aura des moyens, meilleurs seront les résultats. Et cela s’applique autant aux fournisseurs privés qu’à ceux du secteur public. Et plus l’organe de réglementation aura des moyens, meilleure sera la récupération des coûts, de sorte que même si la facture moyenne augmente légèrement, tout le monde s’y retrouve, y compris le client.
Le mystère des entreprises publiques
En masquant de forts écarts de performance, les moyennes peuvent cependant être trompeuses. Quel est le secret des entreprises publiques dont les performances égalent ou surpassent celles des entreprises privées ? Réponse : la gouvernance d’entreprise et les systèmes d’incitation. Un opérateur public obtiendra de meilleurs résultats dès lors que le cadre juridique est solide et son conseil d’administration indépendant, s’il existe des incitations aux résultats et si le mode de financement est transparent.
Un scénario de réforme scientifique
Pour ceux d’entre nous qui ont passé leur vie d’adulte à tenter d’écrire la réforme de la prestation de services dans les infrastructures, ce travail offre un scénario dûment étayé. En voici les grandes lignes :
- en moyenne, les compagnies privées obtiennent de meilleurs résultats que celles du secteur public, mais la privatisation ne résout pas tous les problèmes d’accès et de tarification ;
- le contrôle et la réglementation influent sur les résultats et restituent en quelque sorte des dividendes aux clients, indépendamment des traditions juridiques du pays et du statut, public ou privé, des opérateurs ; pour ne pas donner des coups d’épée dans l’eau, l’organisme de réglementation doit avoir les moyens de ses ambitions ;
- enfin, rien n’oblige un gouvernement à hérisser l’opinion contre lui en privatisant les opérateurs historiques : certaines entreprises publiques sont performantes. Mais pour obtenir le niveau d’efficacité et de qualité de services que l’on associe en général au privé, il faudra sans doute introduire des réformes structurelles en matière de commercialisation, de transparence et d’indépendance.
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