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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le gaspillage alimentaire sans jamais oser le demander

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Le 5 mars dernier, José Cuesta, économiste à la Banque mondiale et auteur du « Food Price Watch »,  a répondu aux questions des internautes lors d’un tchat consacré à la question du gaspillage et des pertes alimentaires dans le monde. Si de nombreuses questions et commentaires ont eu trait aux grandes quantités de produits frais qui se perdent dans les pays en développement – notamment en Afrique – et aux solutions qui permettraient de réduire ces pertes, d'autres ont consisté à identifier les facteurs responsables du gaspillage.

Tchat sur le gaspillage et les pertes alimentaires avec José Cuesta
José Cuesta et l'équipe du tchat ont répondu en direct aux questions des Internautes.
(Pour consulter le tchat dans son l’intégralité, visitez le site Banque mondiale Live.)

Question : Pour commencer, pourriez-vous préciser ce que recouvrent les notions de « gaspillage » et de « pertes » alimentaires ?

José Cuesta : Le « gaspillage », c’est la perte de nourriture qui se produit en bout de chaîne, au niveau du consommateur. Ce gaspillage est le résultat  d'une décision délibérée de jeter de la nourriture, une pratique qui s’observe principalement dans les  pays développés et, plus globalement, chez les populations aisées.

En Afrique, on parlera plus souvent de « pertes » alimentaires. Celles-ci s’observent à toutes les étapes de la filière alimentaire, de la production à la consommation.  Cependant, elles interviennent principalement avant que les produits n’atteignent le consommateur. En effet, la majeure partie des produits concernés sont « perdus » au cours des processus de récolte, de conditionnement et d’acheminement. Ces pertes sont souvent dues à des infrastructures inadaptées.

Q. Dans quelles régions du monde a été menée l’enquête sur laquelle vous vous appuyez dans le rapport Food Price Watch ?

J. Cuesta : Les données utilisées dans ce rapport concernent les pays du monde entier et ont été collectées grâce à des enquêtes menées au niveau national, même s’il convient de préciser que nous ne disposons pas d’enquêtes pour tous les pays du monde.

Q. Comment expliquer que les pertes alimentaires s’élèvent à 23 % en Afrique?

J. Cuesta : D’abord, une précision, le gaspillage ne représente que 5 % des pertes totales de nourriture en Afrique, ce qui signifie que les consommateurs ne sont pas les principaux responsables. Si les causes sont multiples, en Afrique, les pertes alimentaires sont principalement liées à une méconnaissance de techniques de récolte et de conservation doublée d’un manque d’infrastructures adéquates en matière de transport, de stockage, de réfrigération et de communication en général.

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— ONU Développement (@pnud_fr) 5 mars 2014

Q. Que fait la Banque mondiale afin d’aider les agriculteurs des pays en développement à produire dans de meilleures conditions et à réduire les pertes ?

J. Cuesta : La première chose que nous pouvons faire est de sensibiliser l’opinion publique et les décideurs sur l’étendue du problème. On estime aujourd'hui à 842 millions le nombre de personnes qui souffrent de la faim dans le monde. Cela parait incroyable lorsqu’on sait que les pertes alimentaires représentent 500 kilocalories par personne et par jour, rien que sur le continent africain.

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— Banque mondiale (@Banquemondiale) 5 mars 2014

Q. Quel contrôle la Banque mondiale effectue-t-elle sur les dirigeants et gestionnaires des ressources alimentaires ?

J. Cuesta : La Banque mondiale ne contrôle pas les dirigeants ; notre rôle consiste à les informer sur les pratiques recommandées. Nous proposons par exemple de faire des investissements en infrastructure et en logistique en vue de réduire les pertes alimentaires.

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— Cité de l’Économie (@citedeleconomie) 5 mars 2014

Un internaute explique qu’au Tchad, en saison pluvieuse, le lait est jeté ou transformé en lait caillé vendu à très bas prix. Quant aux tomates, après le marché, les invendues sont elles aussi jetées. Comment éviter un tel gâchis ?

J. Cuesta : Certains producteurs en Afghanistan ont mis en place un système de boîtes en plastique pour transporter les tomates. C’est un exemple de bonne pratique qui pourrait être implémentée au Tchad afin de réduire les pertes. 

Il existe aussi des solutions visant à réduire les pertes grâce à des moyens techniques simples dans les pays en développement comme par exemple, l'usage de petits silos en métal testés au Kenya.

Q. En Afrique, le véritable gaspillage se fait au moment même de la récolte. Comment faire pour  convaincre les paysans de  la nécessité de conserver les produits de la récolte pour attendre au moins la période de soudure?

J. Cuesta : Les paysans peuvent, par exemple, utiliser des sacs de stockage des céréales en plastique et scellés de manière hermétique. C’est le cas au Nigéria.

Q. Quelles ont été les suites du G20 agricole qui s'est tenu à Paris pour la première fois le 11 juin 2011 sous la houlette du président français Nicolas Sarkozy ?

J. Cuesta : À la suite du G20 agricole, l’AMIS, un système de surveillance des marchés agricoles, a été mis en place. C'est une mesure concrète visant à accroître la transparence des marchés agricoles.

Q. Pénurie et gaspillage sont deux termes que l’on rencontre fréquemment en Afrique, soit deux extrêmes qui suffisent pour indiquer tous les déficits de planification et de gestion. Sur quels facteurs peut-on agir pour réduire ou minimiser ces deux extrêmes ?

J. Cuesta : Les problèmes de pénurie et de pertes alimentaires sont liés. Certains facteurs permettent de réduire à la fois les pertes et d'agir également sur le problème de pénurie. Par exemple, le fait d’améliorer les techniques de production agricole, les infrastructures de transport et de stockage, ainsi que l’information des producteurs et des commerçants afin qu’ils adoptent de bonnes pratiques.

Q. Peut-on mesurer les pourcentages de pertes des produits alimentaires durant chaque étape ou maillon de la chaîne d'approvisionnement agricole ? Par exemple, pour certains pays ou pour certains produits, comme les céréales ?

J. Cuesta : La plupart des pertes alimentaires interviennent lors de trois étapes de la chaîne productive : 35 % pendant la consommation, 24 % pendant la production et 24 % pendant la manutention et le stockage. En matière de calories, les céréales représentent plus de la moitié du total des pertes et du gaspillage : 53%.  En matière de poids, 44% de tous les fruits et légumes produits pour la consommation humaine sont perdus ou gaspillés. En Afrique, les deux tiers des pertes totales ont lieu pendant les étapes de production et stockage, 20% lors des étapes de transformation et distribution et seulement 5% pendant l'étape finale de consommation.

Q. La grande problématique n'est-t-elle pas aussi l'acheminement des denrées vers les centres commerciaux à temps surtout pour les produits périssables comme les aliments maraîchers ?

J. Cuesta : Absolument, le problème d'acheminement des denrées est crucial et les systèmes logistiques, d’infrastructures de stockage et de transport doivent être améliorés. Certaines solutions sont prometteuses comme le recours à des refroidisseurs par évaporation utilisés par exemple en Inde et en Tanzanie.

Pour résumer, plusieurs défis doivent être relevés afin de réduire les pertes et le gaspillage alimentaires. On a vu que dans les pays en développement les pertes interviennent dès le début de la filière alimentaire, chez le producteur, tandis que dans les pays développés, le problème se situe plutôt en bout de chaîne, au niveau de la distribution et du consommateur.

Dans les pays développés, le gaspillage étant en grande partie un problème culturel, il faut informer la population, la sensibiliser pour qu’elle réduise les quantités de nourriture qu’elle gaspille.

Dans le cas des pays en développement, les efforts doivent se concentrer sur l’optimisation des techniques de production ainsi que sur la mise en place d’infrastructures et de pratiques efficaces pour faciliter le transport, le stockage et la conservation, la transformation et le conditionnement des produits.

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— Banque mondiale (@Banquemondiale) 5 mars 2014

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Auteurs

Anne Senges

Responsable éditoriale des sites web francophones de la région Afrique

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