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Dette publique : empêcher la catastrophe mondiale annoncée

Dette publique : empêcher la catastrophe mondiale annoncée Photo : RomanR/Shutterstock

Malgré une succession de chocs depuis 2020, l'économie mondiale résiste remarquablement bien. Du moins jusqu'à présent, car la marge de manœuvre se réduit dangereusement. La dette mondiale totale est aujourd'hui supérieure de près de 25 % (a) à ce qu'elle était à la veille de la pandémie de COVID-19, alors qu'elle atteignait déjà un niveau record. Ce surendettement pourrait compromettre la capacité de toutes les économies à se protéger contre le dernier choc en date : l'augmentation des droits de douane.

Si la dette est essentielle pour stimuler la croissance économique, elle doit être considérée comme une forme d'imposition différée. En recourant à l’emprunt plutôt qu’à l'impôt, les gouvernements peuvent réaliser des investissements à long terme qui profiteront aux contribuables futurs sans peser sur la génération actuelle. Ils peuvent également soutenir la croissance et les revenus en cas d'urgence économique, alors qu'une hausse des impôts ne ferait qu'aggraver la récession.

Cependant, il faudra bien finir par payer la note et, si le revenu national n'augmente pas plus vite que le coût de l'emprunt, il faudra augmenter les impôts pour rembourser la dette. La persistance d'une dette élevée devient alors un obstacle au progrès économique.

Cet obstacle a rarement été aussi massif. Au cours des 15 dernières années, les pays en développement sont devenus dépendants de la dette, qu'ils ont accumulée à un rythme record : six points de PIB par an (a), en moyenne. Une accumulation aussi rapide de la dette finit souvent mal : le risque qu’elle déclenche une crise financière est de 50 % environ (a).

Cette hausse a en outre la particularité de s’accompagner de l'augmentation des taux d'intérêt la plus rapide (a) depuis 40 ans. Les coûts d'emprunt ont doublé pour la moitié des économies en développement,, les coûts d'intérêt nets en pourcentage des recettes publiques passant de moins de 9 % en 2007 à environ 20 % en 2024. Cette situation constitue en soi une crise.

Même si le monde a réussi jusqu'à présent à éviter une crise financière « systémique » du type de celle de 2008-09 (a), trop d'économies en développement se trouvent aujourd'hui dans une spirale infernale. Pour assurer le service de leur dette, nombre d'entre elles réduisent les investissements dans l'éducation, la santé et les infrastructures dont elles ont besoin pour assurer leur croissance future.

C'est particulièrement vrai pour les 78 pays admissibles à l’aide de l'Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres. Ces pays abritent un quart de la population mondiale et comptent une grande partie des 1,2 milliard de jeunes qui entreront sur le marché du travail au cours des 10 à 15 prochaines années. Pourtant, aux quatre coins du globe, les décideurs politiques ont choisi de tenter le sort. Convaincus une nouvelle fois du triomphe de l'espoir sur l'expérience, ils parient que la croissance mondiale s'accélérera — et que les taux d'intérêt baisseront — juste assez pour désamorcer la bombe de la dette.

Cette passivité est compréhensible. Il s'est avéré extrêmement difficile de donner le jour à un système capable de garantir la viabilité de la dette mondiale et des restructurations rapides (a) pour les pays qui en ont besoin. Faute d'un tel système, les (rares) progrès réalisés (a) ont été trop lents pour éviter les écueils d’une montée de l'endettement.

Mais le monde ne peut pas se permettre une nouvelle décennie de dérive et de déni. Si les politiques actuelles sont maintenues, la croissance mondiale ne s'accélérera pas de sitôt, ce qui signifie que les ratios dette souveraine/PIB pourraient continuer à augmenter (a) jusqu'à la fin de la décennie.

Les guerres commerciales et les niveaux record (a) d'incertitude politique d'aujourd'hui ne font qu'assombrir les perspectives. Au début de cette année, les économistes s'accordaient à prédire une croissance mondiale de 2,6 % pour 2025. Aujourd'hui, ce chiffre a été ramené à 2,2 %, soit près d'un tiers de moins que la moyenne qui prévalait dans les années 2010.

Les taux d'intérêt ne baisseront pas non plus. Dans les économies avancées, les taux directeurs des banques centrales devraient atteindre en moyenne 3,4 % cette année et l'année prochaine, soit plus de cinq fois la moyenne annuelle entre 2010 et 2019. Cette situation aggravera les difficultés des économies en développement. Alors que les ressources publiques se font rares, il faudra une mobilisation totale des capitaux privés pour stimuler la croissance et le développement au cours des cinq prochaines années.

Il est toutefois peu probable que des capitaux privés étrangers affluent dans des économies très endettées dont les perspectives de croissance sont faibles. Les investisseurs privés supposeront, à juste titre, que tout gain provenant de la croissance économique sera tout simplement taxé pour rembourser la dette. Par conséquent, la réduction de la dette devrait être la première des priorités pour les économies en développement dont les ratios dette/PIB restent élevés.

Cependant, nous devons également avoir une vision claire du problème plus vaste : il est urgent (a) d'améliorer le mécanisme mondial d'évaluation de la viabilité de la dette d'un pays. Le système actuel décide trop rapidement que les pays ont simplement besoin de prêts pour survivre, alors que la plupart des économies à faible revenu sont aujourd'hui insolvables et auront besoin d’une annulation de leur dette. Les États devront également perdre l'habitude d'emprunter auprès de créanciers nationaux, car l'augmentation de la dette intérieure (a) asphyxie toute initiative du secteur privé.

Une fois la dette réduite, la priorité suivante sera d'accélérer la croissance. Il est insensé de prétendre que la croissance reviendra comme par magie. Les mesures qui entravent le commerce et l'investissement, comme les droits de douane et les barrières non tarifaires, doivent être démantelées dès que possible et dans toute la mesure du possible. Pour de nombreuses économies en développement, la réduction des droits de douane (a) de manière égale pour tous les partenaires commerciaux pourrait être le moyen le plus rapide de restaurer la croissance. Les économies en développement ont également beaucoup à gagner (a) à favoriser un cadre réglementaire plus propice à l'investissement. Et ces gains peuvent permettre de recentrer l'attention des pays sur le développement, notamment en augmentant les investissements dans les domaines de la santé, de l'éducation et des infrastructures.

Pour le dire prosaïquement, quand on est au fond du trou, il faut arrêter de creuser. Une période de taux d'intérêt extraordinairement bas a encouragé trop de pays à dépenser bien au-delà de leurs moyens. Une série de catastrophes, naturelles ou d'origine humaine, les a empêchés de faire autrement au cours des cinq dernières années. Mais aujourd’hui, c'est la prudence qui s’impose. Les gouvernements devraient en revenir aux prescriptions qui prévalaient auparavant, à savoir rester dans la « limite des 40-60 » : la dette souveraine ne devrait pas dépasser 40 % du PIB pour les économies à faible revenu, 60 % pour les économies à revenu élevé, et se maintenir dans cette fourchette pour toutes les autres.

Cette tribune a initialement été publiée sur le site Project Syndicate.


Indermit Gill

Économiste en chef du Groupe de la Banque mondiale et premier vice-président pour l’Économie du développement

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