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Tirer les leçons de la lutte contre la pollution à Beijing, New Delhi et Mexico

Un paysage urbain à l'atmosphère polluée. Photo : © aapsky/Shutterstock Un paysage urbain à l'atmosphère polluée. Photo : © aapsky/Shutterstock

Comment les pays peuvent-ils à la fois faire prospérer leur économie et maîtriser la pollution de l'air ? Un nouveau rapport (a) de la Banque mondiale se penche sur cette question délicate, en analysant les types de politiques et d'actions mises en place par trois mégalopoles pour lutter contre la mauvaise qualité de l'air et en en tirant des enseignements pour les autres villes du monde. Alors que nous avons célébré la Journée mondiale des villes le 31 octobre, cette étude apparaît plus opportune que jamais.

La pollution atmosphérique est un risque sanitaire majeur à l'échelle mondiale, qui pèse sur la santé des populations, mais aussi sur les économies. On estime qu'en 2017, entre 4,13 et 5,39 millions de personnes sont mortes des suites de leur exposition aux particules fines en suspension d'un diamètre inférieur à 2,5 micromètres (PM2,5), l'une des formes les plus dangereuses  de pollution de l'air. Ces chiffres sont supérieurs à ceux des victimes du VIH/sida, de la tuberculose et du paludisme réunis. Dans un nouveau rapport (a), la Banque mondiale chiffre à 5 700 milliards de dollars le coût associé aux effets de la pollution extérieure sur la santé, soit l'équivalent de 4,8 % du PIB mondial. La pandémie de COVID-19 accentue encore l'importance de la lutte contre la pollution atmosphérique, alors que de premières études mettent en évidence les liens entre pollution atmosphérique, comorbidité et décès dus au coronavirus.  Dans le même temps, la mise à l'arrêt des économies provoquée par la pandémie — bien que catastrophique pour les populations — a entraîné des améliorations de la qualité de l'air notables mais néanmoins inégales, notamment en ce qui concerne les particules fines PM2,5. Ces progrès montrent ce qu'il est possible de faire et donnent un nouvel élan en faveur de changements nécessaires.

« La pandémie de COVID-19 accentue encore l'importance de la lutte contre la pollution atmosphérique, alors que de premières études mettent en évidence les liens entre pollution atmosphérique, comorbidité et décès dus au coronavirus. »

La pollution de l'air est particulièrement marquée dans certaines des zones urbaines qui connaissent la croissance la plus rapide au monde.  Elle est due à la fois à l'explosion démographique, au plus grand nombre de véhicules, à l'utilisation de combustibles fossiles et de biomasse, aux chantiers de construction, à une mauvaise élimination des déchets, ainsi qu'à l'urbanisation rapide. Mais l'agriculture est aussi une cause importante de la pollution atmosphérique, ce qui souligne son caractère multiforme et transfrontalier. Comment les villes peuvent-elles remédier à cette situation ? Pour répondre à cette question, la Banque mondiale a consacré une étude à trois des plus grandes villes du monde : Beijing, New Delhi et Mexico. Ce rapport, intitulé Clearing the Air: A Tale of Three Cities (a), évalue les effets des actions de lutte contre la pollution sur la qualité de l'air.

Clearing the Air : A Tale of Three Cities

 

Mexico était considérée comme la ville la plus polluée du monde au début des années 1990, mais aujourd'hui, bien qu'il reste encore des défis à relever, la qualité de l'air s'y est considérablement améliorée. La concentration quotidienne de dioxyde de soufre (une substance qui contribue à la pollution aux PM2,5) est passée de 300 µg/m3 dans les années 1990 à moins de 100 µg/m3 en 2018. Et actuellement, les niveaux de particules fines sont bien inférieurs à la cible intermédiaire n°1 de l'OMS (35 µg/m3). Plus récemment, Beijing figurait sur la liste des villes les plus polluées au monde, mais grâce à des politiques et des programmes ciblés, les niveaux moyens de PM2,5 sont passés d'environ 90 µg/m3 en 2013 à 58 µg/m3 en 2017.

New Delhi a quant à elle réussi à combattre la mauvaise qualité de l'air à la fin des années 1990 en mettant en œuvre un ambitieux programme de conversion des transports à des carburants propres qui a eu des effets bénéfiques sur ses habitants. Malheureusement, les niveaux de qualité de l'air se sont détériorés depuis, conduisant le gouvernement national et celui de l'État de Delhi à mettre en œuvre de nouveaux plans d'action qui s'attaquent aux multiples sources de pollution. La capitale indienne enregistrerait cependant dernièrement une amélioration de la qualité de l’air (a), même si les niveaux de pollution sont toujours préoccupants. En 2018, les niveaux moyens de PM2,5 s'élevaient à 128 µg/m3, un taux jugé nocif pour la santé.

En examinant la trajectoire de ces villes, nous avons dégagé trois éléments clés de succès.

Des informations fiables, accessibles et en temps réel favorisent une dynamique de réforme

À Mexico, une analyse minutieuse des effets de la pollution atmosphérique sur la santé des enfants a permis de gagner l'adhésion de la population en faveur de la première stratégie de gestion de la qualité de l'air portée par les autorités municipales. En Inde, l'indice national sur la qualité de l'air publie en temps réel les taux de pollution. La population est donc en mesure de prendre des mesures de prévention, mais aussi de se mobiliser pour demander des actions efficaces. Enfin à Beijing, la publication en temps réel de données issues des dispositifs de surveillance continue des émissions sur les sites industriels et dans les centrales électriques a contribué à responsabiliser les exploitants et les régulateurs. 

Les mesures d'incitation ciblant les autorités locales, l'industrie et les ménages doivent être généralisées

Les gouvernements fédéraux doivent prendre l'initiative de mettre en place des mesures incitatives afin que les autorités des États et des villes appliquent des programmes de gestion de la qualité de l'air.  En Inde, à la fin des années 1990, le gouvernement avait défini des plans d'action, mais l'absence de telles incitations a entravé leur mise en œuvre. La Cour suprême est alors intervenue pour contraindre le gouvernement à prendre des mesures efficaces. Dans ce contexte, le récent programme du gouvernement indien qui vise à accorder des subventions récompensant la performance des villes en matière d'amélioration de la qualité de l'air est un pas dans la bonne direction.

Il faut également inciter l'industrie et les ménages à se mobiliser. La municipalité de Beijing, par exemple, a utilisé les fonds alloués par le gouvernement chinois en accordant des subventions pour le contrôle des concentrations aux points de rejet et la modernisation des chaudières dans les centrales électriques et les usines, des primes pour la mise à la casse des véhicules anciens et des aides aux ménages qui remplacent les poêles à charbon par des systèmes à gaz ou électriques. La ville de Mexico a offert des subventions directes aux chauffeurs de taxi acceptant de retirer de la circulation les véhicules anciens très polluants, ainsi que des prêts à faible taux d'intérêt pour rénover ou acheter des véhicules plus respectueux de l'environnement. Elle a aussi mis en place des incitations fiscales et des exemptions aux restrictions d'urgence qui obligent les usines à réduire leur production lorsque la pollution atmosphérique atteint des niveaux élevés. À la fin des années 1990, les autorités de Delhi ont fourni des incitations financières pour adapter 10 000 bus, 20 000 taxis et 50 000 rickshaws à trois roues au gaz naturel comprimé, qui produit moins d'émissions que les autres combustibles fossiles.

Il est capital de développer une approche intégrée qui repose sur des institutions efficaces et associant tous les secteurs et les autorités concernés

La pollution de l’air ne connaît pas de frontières et exige une gestion axée sur les bassins atmosphériques, c'est-à-dire une démarche collaborative entre différentes autorités locales.  La Commission environnementale de la mégapole de Mexico rassemble les ministères fédéraux de l'environnement, de la santé et des transports, ainsi que les autorités locales de la ville de Mexico et de 224 municipalités des États de Mexico, Hidalgo, Morelos, Puebla et Tlaxcala. Ensemble, les membres de la Commission ont défini les contours du bassin atmosphérique de la ville de Mexico et pris des mesures coordonnées pour réduire la pollution. La mauvaise qualité de l'air a de multiples origines : ménages des zones rurales et urbaines, transports, production d’électricité et agriculture notamment. Une structure institutionnelle facilitant la coordination entre tous ces secteurs est donc indispensable. En Chine, les ministères de la protection de l’environnement, de l'industrie et des technologies de l'information, des finances, du logement et du développement rural, ainsi que la Commission nationale du développement et des réformes et l'Administration nationale de l’énergie, ont œuvré ensemble pour mettre au point un plan d'action quinquennal de prévention et de contrôle de la pollution atmosphérique pour toute la région de Jing-Jin-Ji. Celle-ci entoure la capitale et englobe les municipalités de Beijing et de Tianjin, la province du Hebei et de petites parties du Henan, du Shanxi, de la Mongolie intérieure et du Shandong.

Les conclusions de la nouvelle étude sont encourageantes, car elles démontrent qu'avec des politiques, des incitations et des informations adéquates, la qualité de l'air peut considérablement s'améliorer, ce qui est particulièrement important à un moment où les pays cherchent à assurer une croissance plus propre après la pandémie. Cependant, il n'existe pas de solution miracle. La lutte contre la pollution atmosphérique suppose une volonté politique soutenue pour la mise en œuvre de programmes intersectoriels de grande ampleur.  C'est pourquoi la Banque mondiale s'est engagée à accompagner les gouvernements dans leur gestion de la pollution de l'air, en assurant des travaux d'analyse et en fournissant une assistance technique et les prêts nécessaires pour aider les villes à progresser dans la bonne direction.

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Télécharger le rapport : Clearing the Air: A Tale of Three Cities

Portail COVID-19 du Groupe de la Banque mondiale


Auteurs

Karin Kemper

Directrice mondiale du pôle d'expertise en Environnement, ressources naturelles et économie bleue, Banque mondiale

Sameh Wahba

Directeur du Pôle mondial d’expertise en Développement urbain, gestion du risque de catastrophe, résilience et foncier, Banque mondiale

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